Si on peut concevoir que la maladie mentale ne soit pas forcément le plus affriolant des sujets, on aurait bien tort de se laisser rebuter par si peu. Pascal Brullemans, à qui l’on doit entre autres Beauté, chaleur et mort ainsi que la remarquable pièce pour jeune public Vipérine, aborde cette «réalité inconfortable», comme le dira le personnage de Sylvie Drapeau, avec autant d’humanité, dans ce qu’elle exige de simplicité, de désarroi et de bouffées d’humour, que de véritable agilité artistique.
Dans Ce que nous avons fait, la même histoire, à peu de chose près, celle d’une jeune femme qui appelle un membre de sa famille à la rescousse lors d’un accès de folie, sera racontée trois fois en empruntant autant de points de vue et de tons différents. Or la mise en scène de Michel-Maxime Legault, avec qui Brullemans poursuit l’heureux partenariat entamé au sein du spectacle Moi et l’autre, sert fort habilement cette partition pour quatre voix désaccordées.
D’emblée, l’espace exigu tenant lieu de décor, d’une profondeur d’à peine plus d’un mètre et peint d’une nuance œuf de merle, bien qu’il soit simplissime, s’avère éloquent. Assez pastelle pour évoquer presque subliminalement un couloir d’hôpital, mais assez vive pour s’inscrire dans la palette tendance à laquelle aurait plausiblement recours un banal couple de jeunes retraités, la teinte des murs, dans son ambiguïté, illustre le carrefour où sont coincés les parents, déchirés entre l’appel d’une vie dite «normale» et le rôle d’intervenants qui leur incombe.
Comment goûter les bonheurs simples de la vie (une fête, un vin, un bon livre) quand à tout moment peut survenir ce funeste coup de téléphone qui fera tout voler en éclat? Car au bout du fil les attendent à la fois la détresse de leur enfant et l’impuissance aliénante dans laquelle sont encarnanés ses proches.
Ainsi, c’est sans complaisance qu’est traité le délicat sujet de l’impact délétère que la folie peut avoir sur une famille toute entière. Avec doigté, sensibilité et franchise, plusieurs questions sont soulevées. Lorsque la raison d’un être cher s’évade, l’amour, voire la dévotion familiale peut-elle ramener celle-ci au bercail? Comment peut-on soi-même conserver son équilibre psychologique en assistant aux dérapages schizophréniques d’un être que l’on a mis au monde, cajolé et pour qui l’on a légitimement espéré toutes les beautés que la vie puisse offrir? Est-il acceptable de se détacher d’un proche que l’on a sincèrement aimé, mais qui est transformé par la maladie?
Si fins et subtils que soient le texte et la mise en scène, leur efficacité requérait des interprètes de talent et ceux-ci ne font pas défaut (outre Sylvie Drapeau et Robert Lalonde, Marie-Pier Labrecque, en jeune femme aux prises avec un cerveau qui déraille, se montre particulièrement adroite). D’autant plus que les acteurs oscillent, dans le cadre de ce «théâtre-vérité», entre leur propre rôle et le personnage qu’ils incarnent.
Cette distanciation brechtienne aurait pu briser le fil de la narration et rompre du même coup la complicité tissée entre personnages et auditoire, mais il n’en est rien. Au contraire, les interruptions narratives permettant aux spectateurs d’entendre, d’une part, les comédiens partager leurs propres expériences relatives aux égarements psychiques d’un tiers et, d’autre part, les enregistrements de véritables messages téléphoniques laissés à Michel-Maxime Legault par sa sœur, elle-même schizophrène, nous rappellent que le propos de la pièce n’est pas confiné à cet espace protégé, isolé qu’est la scène, mais qu’il touche chaque individu présent, autant en tant que spectateur ou acteur, qu’en tant qu’être humain qu’absolument rien ne préserve d’avoir éventuellement à affronter la folie.
Texte de Pascal Brullemans. Mise en scène de Michel-Maxime Legault. Une production du Théâtre de la Marée Haute, présentée à la salle Jean-Claude-Germain du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 22 octobre.
Si on peut concevoir que la maladie mentale ne soit pas forcément le plus affriolant des sujets, on aurait bien tort de se laisser rebuter par si peu. Pascal Brullemans, à qui l’on doit entre autres Beauté, chaleur et mort ainsi que la remarquable pièce pour jeune public Vipérine, aborde cette «réalité inconfortable», comme le dira le personnage de Sylvie Drapeau, avec autant d’humanité, dans ce qu’elle exige de simplicité, de désarroi et de bouffées d’humour, que de véritable agilité artistique.
Dans Ce que nous avons fait, la même histoire, à peu de chose près, celle d’une jeune femme qui appelle un membre de sa famille à la rescousse lors d’un accès de folie, sera racontée trois fois en empruntant autant de points de vue et de tons différents. Or la mise en scène de Michel-Maxime Legault, avec qui Brullemans poursuit l’heureux partenariat entamé au sein du spectacle Moi et l’autre, sert fort habilement cette partition pour quatre voix désaccordées.
D’emblée, l’espace exigu tenant lieu de décor, d’une profondeur d’à peine plus d’un mètre et peint d’une nuance œuf de merle, bien qu’il soit simplissime, s’avère éloquent. Assez pastelle pour évoquer presque subliminalement un couloir d’hôpital, mais assez vive pour s’inscrire dans la palette tendance à laquelle aurait plausiblement recours un banal couple de jeunes retraités, la teinte des murs, dans son ambiguïté, illustre le carrefour où sont coincés les parents, déchirés entre l’appel d’une vie dite «normale» et le rôle d’intervenants qui leur incombe.
Comment goûter les bonheurs simples de la vie (une fête, un vin, un bon livre) quand à tout moment peut survenir ce funeste coup de téléphone qui fera tout voler en éclat? Car au bout du fil les attendent à la fois la détresse de leur enfant et l’impuissance aliénante dans laquelle sont encarnanés ses proches.
Ainsi, c’est sans complaisance qu’est traité le délicat sujet de l’impact délétère que la folie peut avoir sur une famille toute entière. Avec doigté, sensibilité et franchise, plusieurs questions sont soulevées. Lorsque la raison d’un être cher s’évade, l’amour, voire la dévotion familiale peut-elle ramener celle-ci au bercail? Comment peut-on soi-même conserver son équilibre psychologique en assistant aux dérapages schizophréniques d’un être que l’on a mis au monde, cajolé et pour qui l’on a légitimement espéré toutes les beautés que la vie puisse offrir? Est-il acceptable de se détacher d’un proche que l’on a sincèrement aimé, mais qui est transformé par la maladie?
Si fins et subtils que soient le texte et la mise en scène, leur efficacité requérait des interprètes de talent et ceux-ci ne font pas défaut (outre Sylvie Drapeau et Robert Lalonde, Marie-Pier Labrecque, en jeune femme aux prises avec un cerveau qui déraille, se montre particulièrement adroite). D’autant plus que les acteurs oscillent, dans le cadre de ce «théâtre-vérité», entre leur propre rôle et le personnage qu’ils incarnent.
Cette distanciation brechtienne aurait pu briser le fil de la narration et rompre du même coup la complicité tissée entre personnages et auditoire, mais il n’en est rien. Au contraire, les interruptions narratives permettant aux spectateurs d’entendre, d’une part, les comédiens partager leurs propres expériences relatives aux égarements psychiques d’un tiers et, d’autre part, les enregistrements de véritables messages téléphoniques laissés à Michel-Maxime Legault par sa sœur, elle-même schizophrène, nous rappellent que le propos de la pièce n’est pas confiné à cet espace protégé, isolé qu’est la scène, mais qu’il touche chaque individu présent, autant en tant que spectateur ou acteur, qu’en tant qu’être humain qu’absolument rien ne préserve d’avoir éventuellement à affronter la folie.
Ce que nous avons fait
Texte de Pascal Brullemans. Mise en scène de Michel-Maxime Legault. Une production du Théâtre de la Marée Haute, présentée à la salle Jean-Claude-Germain du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 22 octobre.