Critiques

Macbeth : La tragédie dépoussiérée d’Angela Konrad

© Vivien Gaumand

Au moment d’écrire ces lignes, les représentations de Macbeth à l’Usine C affichent complet (sauf quelques billets le dernier soir). Ce n’est pas étonnant. Le travail exceptionnel de la metteure en scène Angela Konrad fait mouche : les vrais amateurs de théâtre ne s’y trompent pas, voici quelqu’un qui dépouille les œuvres classiques de leurs oripeaux poussiéreux pour en mettre le cœur à nu. Pari à nouveau réussi, avec ce Macbeth incandescent, dans la « tradaptation » québécoise inouïe – et quasi injouable – qu’en avait signée le poète Michel Garneau en 1978.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce texte culte dont il n’existe pas d’équivalent, mais la force du spectacle tient également à l’approche iconoclaste et impétueuse de la troupe d’acteurs réunis par Konrad. Philippe Cousineau et Dominique Quesnel, qui incarnent ce couple damné du roi d’Écosse et de sa Lady, et le trio formé par Alain Fournier, Gaétan Nadeau et Olivier Turcotte, qui jouent tous les autres personnages, en particulier les trois « sarciéres », sont tous d’une justesse et d’un aplomb exemplaires dans l’outrance. Une outrance nécessaire pour exprimer l’ignominie.

© Vivien Gaumand

Un solo de batterie tonitruant, qui ponctuera la représentation, un sifflet strident, des cris horrifiants, bref une ambiance de fin du monde accueille le public dans la petite salle, où déjà les trois comédiens en kilts à carreaux rouges, torses nus aux seins encerclés d’encre noire, se démènent dans l’espace vide. Cet espace, la metteure en scène saura l’exploiter au mieux, laissant surgir les « imaginâtions » des personnages au gré de pénombres et de quelques effets saisissants. Lors d’orages, une eau versée des cintres dans un seau de bois et quelques éclairs lumineux feront le travail. Une caméra cachée derrière le mur du fond, où seront projetées les images, nous permettra d’entrer dans la chambre, puis dans l’âme de Macbeth, le tyran déchiré par la culpabilité.

D’autres trouvailles de mise en scène, tel le fantôme de l’ami assassiné Banco, apparaissant au banquet offert par le couple royal sous la forme d’un rôti qu’on s’apprête à déguster, émaillent le spectacle. Le trio des hommes en kilts, décadents, aux rires démoniaques, forme une sorte de chœur trash : il nous fait voir et ressentir avec force la mécanique destructrice et la vraie décadence, morale et sexuelle, animant ce couple assoiffé de pouvoir, qui s’enfonce dans la folie et le meurtre, incapable d’échapper à l’engrenage qu’il a lui-même mis en branle.

On ne dira pas assez l’ampleur du travail accompli ici : la seule mise en bouche de ce texte en québécois archaïsant et poétique, qui peut faire rire à l’occasion – Garneau a de l’humour ! – mais révèle peu à peu une langue à la hauteur du mythe shakespearien, représente un défi de taille, bien relevé. Toute la complexité de l’œuvre s’y déploie, limpide. La démarche de la Compagnie La Fabrik devra être suivie, car elle marque un renouveau percutant sur notre scène théâtrale.

Macbeth

Texte : William Shakespeare. Traduction : Michel Garneau. Mise en scène : Angela Konrad. Une production de la Fabrik. À l’Usine C jusqu’au 10 octobre 2015, puis du 29 novembre au 17 décembre 2016.