Depuis son déambulatoire photographique intitulé La porte du non-retour, qui dénonçait notamment le rôle des compagnies minières canadiennes dans les conflits armés en Afrique, l’intérêt de Philippe Ducros pour la République démocratique du Congo ne s’est pas démenti. Avec la pièce Bibish de Kinshasa, adaptée du roman Samantha à Kinshasa de Marie-Louise Bibish Mumbu, il nous présente ce pays sous un tout autre angle.
Le Congo c’est la guerre (plusieurs millions de morts en 20 ans), les viols, les soldats sans foi ni loi, le pillage des minerais, mais c’est aussi le quotidien, la débrouille, les rapports de voisinage, la tchatche, la sape, la drague. C’est cet aspect du pays que nous montre la pièce, comme une ode à la vie, 24 heures à la fois.
Embarquée dans un Airbus en direction de Paris, une journaliste quitte son Congo natal, un endroit qui ne lui «donne aucun espace de rêve». En plein vol, elle est prise de vertige existentiel, se demandant si elle a fait le bon choix. Entre deux verres de vin, elle plonge dans les souvenirs de ce qu’elle quitte: les batailles vestimentaires dans lesquelles s’affrontent les habitants du quartier, les filles qui cherchent des vêtements à mettre le soir pour se trouver un homme, les enfants des rues, les vendeurs ambulants, la télé qu’on se partage entre voisins, la bouffe de rue, les relents de colonialisme, et ce désir d’ailleurs, omniprésent.
Grâce à la bande sonore et surtout au talent de conteuse de Gisèle Kayembe, on s’y croirait, et on se ravit de l’enchaînement d’anecdotes colorées, qui nous plongent au cœur de ce pays immense, un monde si différent du nôtre. On entend presque les rires, et les éclats de voix; on sent presque la chaleur du soleil sur notre peau, l’odeur des pots d’échappement qui se mêle à celle de la chèvre grillée…
On connaît Ducros pour les prises de position politiques de ses spectacles. Malgré une certaine légèreté, Bibish de Kinshasa nous rappelle que ces «migrants», comme on les appelle, quittent souvent leur terre natale à cause des bouleversements que les sociétés occidentales y ont provoqués, et continuent de causer. Ainsi, au Congo, au Nord-Kivu plus précisément, de nombreuses multinationales profitent de la guerre impliquant différents groupes armés pour acheter des minerais à bas prix, notamment le Coltan, indispensable à la fabrication de certains composants électroniques (utilisés par exemple dans les téléphones cellulaires).
De nombreux théâtres organisent des rencontres avec les artistes à la fin d’une représentation. Ici, Ducros a fait le pari d’incorporer une discussion avec l’auteure dans le spectacle lui-même. Assis derrière une table à tréteaux sur laquelle reposent des réchauds et ustensiles de cuisine, préparant un plat de morue salée qui sera plus tard offert aux spectateurs, Philippe et Bibish jasent. Pour ajouter à l’ambiance décontractée, un service de bar est également offert pendant le spectacle.
La tentative, si elle est séduisante en théorie, s’avère malheureusement laborieuse en pratique, cassant le rythme du spectacle sans offrir de contenu satisfaisant, et ce, malgré l’intérêt des sujets abordés (la destitution de Mobutu, les armées composées d’enfants, les enfants dits sorciers…). Difficile de retirer de ces échanges une information claire sur la situation socio-géo-politique du Congo, à moins de la connaître déjà, tant le discours de l’auteure est confus (précisons, à sa décharge, qu’elle monte sur scène alors que son nouveau-né a à peine quelques semaines) et tant les tentatives d’éclaircissement de Ducros sont insuffisantes. Manque de rodage peut-être?
Dans la dernière scène, l’auteure prend la place de la comédienne et nous décrit brièvement son acclimatation à la culture québécoise, racontant comment son immigration lui a finalement permis de se trouver elle-même. Là encore, l’idée est bonne, mais sa mise en œuvre tombe à plat, et, à la fin de la représentation, on applaudit plus le courage et la résilience de la femme que l’œuvre théâtrale.
Texte: Marie-Louise Bibish Mumbu. Mise en scène et adaptation: Philippe Ducros. Avec Gisèle Kayembe, Marie-Louise Bibish Mumbu, Philippe Ducros et Papy Maurice Mbwiti. Une production d’Hôtel-Motel. À Espace Libre jusqu’au 24 octobre 2015. Au Théâtre la Seizième du 28 novembre au 2 décembre 2017.
Depuis son déambulatoire photographique intitulé La porte du non-retour, qui dénonçait notamment le rôle des compagnies minières canadiennes dans les conflits armés en Afrique, l’intérêt de Philippe Ducros pour la République démocratique du Congo ne s’est pas démenti. Avec la pièce Bibish de Kinshasa, adaptée du roman Samantha à Kinshasa de Marie-Louise Bibish Mumbu, il nous présente ce pays sous un tout autre angle.
Le Congo c’est la guerre (plusieurs millions de morts en 20 ans), les viols, les soldats sans foi ni loi, le pillage des minerais, mais c’est aussi le quotidien, la débrouille, les rapports de voisinage, la tchatche, la sape, la drague. C’est cet aspect du pays que nous montre la pièce, comme une ode à la vie, 24 heures à la fois.
Embarquée dans un Airbus en direction de Paris, une journaliste quitte son Congo natal, un endroit qui ne lui «donne aucun espace de rêve». En plein vol, elle est prise de vertige existentiel, se demandant si elle a fait le bon choix. Entre deux verres de vin, elle plonge dans les souvenirs de ce qu’elle quitte: les batailles vestimentaires dans lesquelles s’affrontent les habitants du quartier, les filles qui cherchent des vêtements à mettre le soir pour se trouver un homme, les enfants des rues, les vendeurs ambulants, la télé qu’on se partage entre voisins, la bouffe de rue, les relents de colonialisme, et ce désir d’ailleurs, omniprésent.
Grâce à la bande sonore et surtout au talent de conteuse de Gisèle Kayembe, on s’y croirait, et on se ravit de l’enchaînement d’anecdotes colorées, qui nous plongent au cœur de ce pays immense, un monde si différent du nôtre. On entend presque les rires, et les éclats de voix; on sent presque la chaleur du soleil sur notre peau, l’odeur des pots d’échappement qui se mêle à celle de la chèvre grillée…
On connaît Ducros pour les prises de position politiques de ses spectacles. Malgré une certaine légèreté, Bibish de Kinshasa nous rappelle que ces «migrants», comme on les appelle, quittent souvent leur terre natale à cause des bouleversements que les sociétés occidentales y ont provoqués, et continuent de causer. Ainsi, au Congo, au Nord-Kivu plus précisément, de nombreuses multinationales profitent de la guerre impliquant différents groupes armés pour acheter des minerais à bas prix, notamment le Coltan, indispensable à la fabrication de certains composants électroniques (utilisés par exemple dans les téléphones cellulaires).
De nombreux théâtres organisent des rencontres avec les artistes à la fin d’une représentation. Ici, Ducros a fait le pari d’incorporer une discussion avec l’auteure dans le spectacle lui-même. Assis derrière une table à tréteaux sur laquelle reposent des réchauds et ustensiles de cuisine, préparant un plat de morue salée qui sera plus tard offert aux spectateurs, Philippe et Bibish jasent. Pour ajouter à l’ambiance décontractée, un service de bar est également offert pendant le spectacle.
La tentative, si elle est séduisante en théorie, s’avère malheureusement laborieuse en pratique, cassant le rythme du spectacle sans offrir de contenu satisfaisant, et ce, malgré l’intérêt des sujets abordés (la destitution de Mobutu, les armées composées d’enfants, les enfants dits sorciers…). Difficile de retirer de ces échanges une information claire sur la situation socio-géo-politique du Congo, à moins de la connaître déjà, tant le discours de l’auteure est confus (précisons, à sa décharge, qu’elle monte sur scène alors que son nouveau-né a à peine quelques semaines) et tant les tentatives d’éclaircissement de Ducros sont insuffisantes. Manque de rodage peut-être?
Dans la dernière scène, l’auteure prend la place de la comédienne et nous décrit brièvement son acclimatation à la culture québécoise, racontant comment son immigration lui a finalement permis de se trouver elle-même. Là encore, l’idée est bonne, mais sa mise en œuvre tombe à plat, et, à la fin de la représentation, on applaudit plus le courage et la résilience de la femme que l’œuvre théâtrale.
Bibish de Kinshasa
Texte: Marie-Louise Bibish Mumbu. Mise en scène et adaptation: Philippe Ducros. Avec Gisèle Kayembe, Marie-Louise Bibish Mumbu, Philippe Ducros et Papy Maurice Mbwiti. Une production d’Hôtel-Motel. À Espace Libre jusqu’au 24 octobre 2015. Au Théâtre la Seizième du 28 novembre au 2 décembre 2017.