Dans une rare collaboration à la mise en scène, Robert Lepage s’allie à Jean-Pierre Cloutier pour Quills, qui ouvrira la saison hivernale du Trident. Les deux hommes de théâtre cherchaient depuis plusieurs années un projet commun ; ils l’ont trouvé avec ce texte de l’Américain Doug Wright, librement inspiré de la vie du marquis de Sade.
Cette collaboration, tout d’abord, a quelque chose d’étonnant…
Jean-Pierre Cloutier : Ça faisait longtemps que nous voulions travailler ensemble ; Robert et moi, nous nous connaissons depuis 2001. Nous nous sommes rencontrés alors que j’étais en tournée avec le cirque Éos et Robert réalisait La face cachée de la lune. Ces dernières années, nous nous sommes rapprochés et nous avons cherché un projet qui nous animerait, qui nous mettrait en danger et nous stimulerait, tout en représentant une sorte de fantasme artistique. Je me souvenais d’avoir vu Quills, et j’y trouvais quelque chose de très compatible avec la nature de Robert comme acteur, comme interprète.
Robert Lepage : La pièce de Doug Wright a été inspirée par ce qui s’est passé à la fin des années 1990 dans le milieu des arts visuels à New York. Il y a eu une grande censure, le sénateur Jesse Helms avait réussi à faire couper les fonds du National Endowment for the Arts, et quelques expositions de Robert Mapplethorpe, de Andres Serrano ont été fermées au public. Doug Wright s’est inspiré de ces événements et il les a transposés à l’époque où le marquis de Sade est interné pour ses écrits et pour certaines actions qu’il a commises. Il s’en est servi comme métaphore pour parler de la liberté de l’artiste, mais également de sa responsabilité. À partir du moment où tu l’as, cette liberté, qu’est-ce que tu en fais?
Le film réalisé par Philip Kaufman en 2000, sur un scénario de Doug Wright, présentait une version amoindrie du marquis de Sade, non?
J.-P. C. : Nous voulions faire une adaptation qui serait plus… mordante, plus puissante. Le film est vraiment hollywoodien, tout est calmé, les personnages sont des demi-mesures. Dans la pièce, les mécaniques, les dynamiques des personnages débordent clairement davantage; même les idées philosophiques sont portées beaucoup plus loin.
R. L. : La pièce est plus hardcore que le film, qui a été édulcoré pour le grand public, parce que c’est quand même un film avec Kate Winslet et Joaquin Phoenix… Au cinéma, il faut faire avec l’idée du réalisme, que les choses soient crédibles et vérifiables, tandis que le théâtre ne semble pas s’embarrasser de ça. Il y a dans la pièce une poésie, des permissions que le film ne pouvait pas se permettre, autour de la véracité notamment. La pièce a un pouvoir poétique qui lui permet de dire, de faire ce qu’elle veut. Je pense qu’elle a une plus grande force principalement à cause de la forme.
Votre travail sur ce texte a-t-il ouvert des portes pour l’écriture scénique?
R. L. : Comme je dis souvent à Jean-Pierre, lorsqu’on fait une traduction à partir d’un texte anglais vers le français, on perd quelque chose, on perd un esprit. C’est toujours ça, le problème de la traduction : on finit par trahir la pièce… Avec cette pièce, on est dans un contexte français, on parle de la Révolution française, du marquis de Sade, de Napoléon, de la force de l’écriture et de la langue à cette époque-là. Doug Wright, un Américain, s’est senti obligé d’en faire une pièce jacobéenne avec des tournures de phrases à la britannique. Nous, on a l’avantage de ramener tout ça en français. S’est présenté par ailleurs le défi de garder le wit anglais, cet esprit noir et froid, l’humour flegmatique des anglais dans les situations très graves.
J.-P. C. : On a rencontré Doug Wright à New York, qui nous a dit : «Si j’avais pu l’écrire en français, si j’avais été francophone, je l’aurais fait. Aussi, je vous donne carte blanche.»
R. L. : Il était très heureux qu’on le fasse. C’est d’ailleurs étonnant que cette pièce, qui a eu un très grand succès et qui a été montée plusieurs fois, ne l’ait jamais été en français…
Les deux hommes de théâtre, loin des portraits trop doux, défendront une traduction que Cloutier a souhaitée musicale et forte, chargée de la parole troublante de Sade. Deux cents ans plus tard, le divin marquis continue de fasciner. Quills marquera d’autre part l’occasion, pour plusieurs, de renouer avec un comédien de talent ; le plaisir sera grand de retrouver Lepage dans la peau d’un personnage d’une telle ampleur.
Quills
Texte : Doug Wright. Traduction : Jean-Pierre Cloutier. Mise en scène : Jean-Pierre Cloutier et Robert Lepage. Une coproduction d’Ex Machina et du Théâtre du Trident. Au Théâtre du Trident du 12 janvier au 6 février 2016 et à l’Usine C du 16 mars au 9 avril 2016.
Dans une rare collaboration à la mise en scène, Robert Lepage s’allie à Jean-Pierre Cloutier pour Quills, qui ouvrira la saison hivernale du Trident. Les deux hommes de théâtre cherchaient depuis plusieurs années un projet commun ; ils l’ont trouvé avec ce texte de l’Américain Doug Wright, librement inspiré de la vie du marquis de Sade.
Cette collaboration, tout d’abord, a quelque chose d’étonnant…
Jean-Pierre Cloutier : Ça faisait longtemps que nous voulions travailler ensemble ; Robert et moi, nous nous connaissons depuis 2001. Nous nous sommes rencontrés alors que j’étais en tournée avec le cirque Éos et Robert réalisait La face cachée de la lune. Ces dernières années, nous nous sommes rapprochés et nous avons cherché un projet qui nous animerait, qui nous mettrait en danger et nous stimulerait, tout en représentant une sorte de fantasme artistique. Je me souvenais d’avoir vu Quills, et j’y trouvais quelque chose de très compatible avec la nature de Robert comme acteur, comme interprète.
Robert Lepage : La pièce de Doug Wright a été inspirée par ce qui s’est passé à la fin des années 1990 dans le milieu des arts visuels à New York. Il y a eu une grande censure, le sénateur Jesse Helms avait réussi à faire couper les fonds du National Endowment for the Arts, et quelques expositions de Robert Mapplethorpe, de Andres Serrano ont été fermées au public. Doug Wright s’est inspiré de ces événements et il les a transposés à l’époque où le marquis de Sade est interné pour ses écrits et pour certaines actions qu’il a commises. Il s’en est servi comme métaphore pour parler de la liberté de l’artiste, mais également de sa responsabilité. À partir du moment où tu l’as, cette liberté, qu’est-ce que tu en fais?
Le film réalisé par Philip Kaufman en 2000, sur un scénario de Doug Wright, présentait une version amoindrie du marquis de Sade, non?
J.-P. C. : Nous voulions faire une adaptation qui serait plus… mordante, plus puissante. Le film est vraiment hollywoodien, tout est calmé, les personnages sont des demi-mesures. Dans la pièce, les mécaniques, les dynamiques des personnages débordent clairement davantage; même les idées philosophiques sont portées beaucoup plus loin.
R. L. : La pièce est plus hardcore que le film, qui a été édulcoré pour le grand public, parce que c’est quand même un film avec Kate Winslet et Joaquin Phoenix… Au cinéma, il faut faire avec l’idée du réalisme, que les choses soient crédibles et vérifiables, tandis que le théâtre ne semble pas s’embarrasser de ça. Il y a dans la pièce une poésie, des permissions que le film ne pouvait pas se permettre, autour de la véracité notamment. La pièce a un pouvoir poétique qui lui permet de dire, de faire ce qu’elle veut. Je pense qu’elle a une plus grande force principalement à cause de la forme.
Votre travail sur ce texte a-t-il ouvert des portes pour l’écriture scénique?
R. L. : Comme je dis souvent à Jean-Pierre, lorsqu’on fait une traduction à partir d’un texte anglais vers le français, on perd quelque chose, on perd un esprit. C’est toujours ça, le problème de la traduction : on finit par trahir la pièce… Avec cette pièce, on est dans un contexte français, on parle de la Révolution française, du marquis de Sade, de Napoléon, de la force de l’écriture et de la langue à cette époque-là. Doug Wright, un Américain, s’est senti obligé d’en faire une pièce jacobéenne avec des tournures de phrases à la britannique. Nous, on a l’avantage de ramener tout ça en français. S’est présenté par ailleurs le défi de garder le wit anglais, cet esprit noir et froid, l’humour flegmatique des anglais dans les situations très graves.
J.-P. C. : On a rencontré Doug Wright à New York, qui nous a dit : «Si j’avais pu l’écrire en français, si j’avais été francophone, je l’aurais fait. Aussi, je vous donne carte blanche.»
R. L. : Il était très heureux qu’on le fasse. C’est d’ailleurs étonnant que cette pièce, qui a eu un très grand succès et qui a été montée plusieurs fois, ne l’ait jamais été en français…
Les deux hommes de théâtre, loin des portraits trop doux, défendront une traduction que Cloutier a souhaitée musicale et forte, chargée de la parole troublante de Sade. Deux cents ans plus tard, le divin marquis continue de fasciner. Quills marquera d’autre part l’occasion, pour plusieurs, de renouer avec un comédien de talent ; le plaisir sera grand de retrouver Lepage dans la peau d’un personnage d’une telle ampleur.
Quills
Texte : Doug Wright. Traduction : Jean-Pierre Cloutier. Mise en scène : Jean-Pierre Cloutier et Robert Lepage. Une coproduction d’Ex Machina et du Théâtre du Trident. Au Théâtre du Trident du 12 janvier au 6 février 2016 et à l’Usine C du 16 mars au 9 avril 2016.