Après Denis Marleau, c’est au tour du fulgurant Christian Lapointe de mettre en images le chef d’œuvre sombre, mystérieux et poétique de Maeterlinck. Une pièce cependant beaucoup moins connue – et jouée – que le somptueux opéra que Debussy en a tiré sur un livret de l’auteur flamand lui-même. Par un ensemble de procédés ingénieux, le metteur en scène d’Axel va à la fois créer un monde de rêve et en détruire l’illusion.
L’argument est simple et connu : le prince Golaud, un veuf aux tempes déjà grisonnantes, trouve dans la forêt la troublante et belle Mélisande. Elle semble égarée. Il la ramène au château d’Allemonde et l’épouse. Mais il a un demi-frère, Pelléas, et sans qu’ils le veuillent, une passion irrésistible va attirer les deux jeunes gens l’un vers l’autre et sceller leur destin.
Ce drame se situe dans des temps très anciens, dans un univers archétypal dont les symboles sont ceux des contes de fées. On les retrouve dans la production du TNM : un château-fort, une porte à ouvrir, des sombres salles, la forêt où l’héroïne s’égare, la fenêtre où elle se penche, l’anneau qu’elle perd dans la fontaine. C’est aussi une tragique histoire d’amour. Pelléas et Mélisande rappelle leurs semblables shakespeariens, Roméo et Juliette, bien sûr, mais aussi Hamlet et Ophélie. Quant à Golaud, (poignant Marc Béland), sa jalousie maladive à l’égard de la délicate et innocente Mélisande n’est pas sans évoquer Othello. Le thème de l’amour coupable et pourtant pur, de même que l’atmosphère archaïque, aux résonances mystiques, rejoint par contre la légende de Tristan et Iseut.
Dense, allusif et métaphorique, tissé de silences, de phrases entrecoupées, de points de suspension, le texte de Maeterlinck est une sorte de partition. D’où peut-être le nombre de compositeurs qui ont été séduits par sa musicalité. Et l’importance, dans la mise en scène du TNM, de la bande sonore originale de Nicolas Basque, qui emprunte aussi bien à Debussy, Fauré ou Sibelius qu’aux codes du rock (une rupture de ton qui laisse perplexe).
Avec la scénographe Geneviève Lizotte et le concepteur vidéo Lionel Arnould, Christian Lapointe a réalisé un spectacle sans décor traditionnel, sinon la petite cage qui emprisonne deux symboliques colombes, et le lit du dernier tableau. En avant scène, des micros où vont parler et chanter les personnages, rompent l’illusion du jeu, et sur le plateau, des maquettes (des jouets appartenant au petit Yniold, fils de Golaud) nous offrent le monde en modèle réduit. Un technicien les manipule sous nos yeux et les projette en grand, et en noir et blanc, sur des écrans horizontaux et latéraux. Dans une scène d’une grande violence, Golaud, penché avec l’enfant sur la maquette, l’oblige – et nous aussi − à espionner ce qui se passe dans la chambre de Mélisande. Ce procédé de distanciation – efficace mais difficile à suivre de certains endroits de la salle − place le spectateur à la fois dans et à l’extérieur du drame, et le personnage, à la fois dans son histoire et dans sa reproduction.
D’ailleurs, les comédiens ne jouent pas. Ils représentent leurs personnages. Pelléas et Mélisande n’ont pas de psychologie, ils n’ont qu’un destin. Ils vivent leur passion par micro et écran interposés, à des mètres l’un de l’autre, et leurs visages ne se rejoignent que sur l’écran, en gros plan. Il faut attendre le magnifique tableau du quatrième acte, pour qu’ils s’enlacent enfin, dans un bref baiser. Unique moment de bonheur réel, menacé par les silhouettes de Golaud et de l’inquiétant château en contre-jour.
Amplifiée et comme désincarnée, leur voix vient de plus loin qu’eux; elle est celle du mythe, du rêve, des forces obscures émanant de ce monde où le soleil ne pénètre pas, véritable philtre de mort.
S’imposant au sein d’une excellente distribution, Sophie Desmarais est une Mélisande hiératique et énigmatique, que les beaux costumes d’Elen Ewing transforment en sainte ou en idole. Sa douceur n’est qu’absence au monde : «C’est un petit être fragile, si silencieux, comme tout le monde.» Elle n’est que de passage. Comme tout le monde. Et c’est ce qui nous touche le plus.
Texte de Maurice Maeterlinck. Mise en scène de Christian Lapointe. Une production du TNM en coproduction avec le Théâtre Blanc. Au TNM jusqu’au 6 février 2016.
Après Denis Marleau, c’est au tour du fulgurant Christian Lapointe de mettre en images le chef d’œuvre sombre, mystérieux et poétique de Maeterlinck. Une pièce cependant beaucoup moins connue – et jouée – que le somptueux opéra que Debussy en a tiré sur un livret de l’auteur flamand lui-même. Par un ensemble de procédés ingénieux, le metteur en scène d’Axel va à la fois créer un monde de rêve et en détruire l’illusion.
L’argument est simple et connu : le prince Golaud, un veuf aux tempes déjà grisonnantes, trouve dans la forêt la troublante et belle Mélisande. Elle semble égarée. Il la ramène au château d’Allemonde et l’épouse. Mais il a un demi-frère, Pelléas, et sans qu’ils le veuillent, une passion irrésistible va attirer les deux jeunes gens l’un vers l’autre et sceller leur destin.
Ce drame se situe dans des temps très anciens, dans un univers archétypal dont les symboles sont ceux des contes de fées. On les retrouve dans la production du TNM : un château-fort, une porte à ouvrir, des sombres salles, la forêt où l’héroïne s’égare, la fenêtre où elle se penche, l’anneau qu’elle perd dans la fontaine. C’est aussi une tragique histoire d’amour. Pelléas et Mélisande rappelle leurs semblables shakespeariens, Roméo et Juliette, bien sûr, mais aussi Hamlet et Ophélie. Quant à Golaud, (poignant Marc Béland), sa jalousie maladive à l’égard de la délicate et innocente Mélisande n’est pas sans évoquer Othello. Le thème de l’amour coupable et pourtant pur, de même que l’atmosphère archaïque, aux résonances mystiques, rejoint par contre la légende de Tristan et Iseut.
Dense, allusif et métaphorique, tissé de silences, de phrases entrecoupées, de points de suspension, le texte de Maeterlinck est une sorte de partition. D’où peut-être le nombre de compositeurs qui ont été séduits par sa musicalité. Et l’importance, dans la mise en scène du TNM, de la bande sonore originale de Nicolas Basque, qui emprunte aussi bien à Debussy, Fauré ou Sibelius qu’aux codes du rock (une rupture de ton qui laisse perplexe).
Avec la scénographe Geneviève Lizotte et le concepteur vidéo Lionel Arnould, Christian Lapointe a réalisé un spectacle sans décor traditionnel, sinon la petite cage qui emprisonne deux symboliques colombes, et le lit du dernier tableau. En avant scène, des micros où vont parler et chanter les personnages, rompent l’illusion du jeu, et sur le plateau, des maquettes (des jouets appartenant au petit Yniold, fils de Golaud) nous offrent le monde en modèle réduit. Un technicien les manipule sous nos yeux et les projette en grand, et en noir et blanc, sur des écrans horizontaux et latéraux. Dans une scène d’une grande violence, Golaud, penché avec l’enfant sur la maquette, l’oblige – et nous aussi − à espionner ce qui se passe dans la chambre de Mélisande. Ce procédé de distanciation – efficace mais difficile à suivre de certains endroits de la salle − place le spectateur à la fois dans et à l’extérieur du drame, et le personnage, à la fois dans son histoire et dans sa reproduction.
D’ailleurs, les comédiens ne jouent pas. Ils représentent leurs personnages. Pelléas et Mélisande n’ont pas de psychologie, ils n’ont qu’un destin. Ils vivent leur passion par micro et écran interposés, à des mètres l’un de l’autre, et leurs visages ne se rejoignent que sur l’écran, en gros plan. Il faut attendre le magnifique tableau du quatrième acte, pour qu’ils s’enlacent enfin, dans un bref baiser. Unique moment de bonheur réel, menacé par les silhouettes de Golaud et de l’inquiétant château en contre-jour.
Amplifiée et comme désincarnée, leur voix vient de plus loin qu’eux; elle est celle du mythe, du rêve, des forces obscures émanant de ce monde où le soleil ne pénètre pas, véritable philtre de mort.
S’imposant au sein d’une excellente distribution, Sophie Desmarais est une Mélisande hiératique et énigmatique, que les beaux costumes d’Elen Ewing transforment en sainte ou en idole. Sa douceur n’est qu’absence au monde : «C’est un petit être fragile, si silencieux, comme tout le monde.» Elle n’est que de passage. Comme tout le monde. Et c’est ce qui nous touche le plus.
Pelléas et Mélisande
Texte de Maurice Maeterlinck. Mise en scène de Christian Lapointe. Une production du TNM en coproduction avec le Théâtre Blanc. Au TNM jusqu’au 6 février 2016.