Le Groupe de la Veillée fête ses quarante ans. Salutations et félicitations au passage à une compagnie qui a su rester fidèle à elle-même et proposer aux spectateurs des expériences théâtrales souvent exigeantes, cherchant toujours à jouer sur la corde raide d’un théâtre « pauvre », dans le sens où l’entendait Grotowski, c’est-à-dire un théâtre basé sur les émotions, l’impulsion, le corps parlant et les objets. Un théâtre d’exploration où Gabriel Arcand, parmi les fondateurs, a joué des rôles inoubliables. Au fil des ans, on y a entendu des textes forts (avec sous-textes à l’avenant) : Milosz, Kafka, Dorst, Strindberg, Brecht, en passant par Bernhard, Gombrowicz, Artaud, entre autres. Et, en tout premier, Dostoïevski.
C’est donc avec cet auteur que le Groupe marque le coup. Deux spectacles sont à l’affiche : Le Joueur, dans une mise scène de Gregory Hlady et L’Homme du sous-sol, une adaptation des Carnets du sous-sol, du Théâtre Liria (France), invité pour l’occasion.
Dans la tradition du théâtre grotowskien misant sur le rapport intime avec le spectateur, et donc très proche de l’esthétique du Groupe de La Veillée, Simon Pitaqaj, qui joue le texte qu’il a adapté et mis en scène, propose aux spectateurs une expérience intense dans les couloirs et la petite salle du sous-sol du Théâtre Prospero. Espace pour le moins adéquat pour ce monologue de Dostoïevski aux accents existentialistes. Impossible à résumer, car il ne s’agit pas d’un récit, le texte se développe au gré de réflexions, d’hésitations, de questionnements, de colères, de désespérances. Qu’est-ce que vivre ? Comment peut-on vivre ? Telles pourraient être les questions condensant le mieux le propos. Le personnage se présente comme un ex-fonctionnaire reclus depuis des années dans son sous-sol, incapable de vivre parmi les hommes, sous-sol à la fois refuge et piège. Fustigeant l’« homme d’action », qui ne peut être qu’ « essentiellement borné », il en appelle à la « conscience » pour s’interroger sur soi et sur le monde, car, dit-il, « être des hommes nous pèse ».
Mais, attention, cela ne se fait pas sur le mode prêchi-prêcha. Nous assistons plutôt à un déferlement de pensées, certains dirons un délire, l’homme étant mû par un besoin irrésistible de partager ses réflexions, sinon de sortir de sa solitude. Et c’est énergique ! Il s’agite dans cet espace clos, y va et vient sans arrêt, manipulant des marionnettes, dansant au son de chants traditionnels albanais (Simon Pitaqaj est kosovar), fabriquant des objets qu’il empile dans ce capharnaüm, qui peut bien représenter finalement sa propre tête. On voyagerait dans l’inconscient d’un homme anéanti par ses incertitudes, paralysé par un sentiment d’impuissance (« je n’ai rien pu commencer, ni rien finir »), bouleversé par des souvenirs d’enfance et d’un amour malheureux. Mais aussi propulsé par l’instinct de survie.
Le spectacle atteint peut-être le plus son objectif quand le personnage remet en question toute notion de progrès dans l’histoire prenant pour appui la propension des hommes à s’entretuer et se faire la guerre. En comparaison avec les époques passées, « est-ce qu’elle s’adoucit notre civilisation ? », nous demande-t-il. Ses adresses directes aux spectateurs ne peuvent que forcer ceux-ci à au moins s’interroger sur la chose ! Dostoïevski l’intemporel.
Le texte de l’auteur russe est nettement plus long que ce que nous donne à entendre L’Homme du sous-sol (ceci n’est pas un regret). Simon Pitaqaj, qui a manifestement ce texte « dans la peau », se l’est approprié et en a tiré ce qui lui semblait le mieux à même de nous bousculer en ces temps d’incertitudes et de quête d’authenticité.
Pessimiste ? Lucide ? Cynique ? Provocateur ? À chacun de trouver son compte dans ce spectacle. Chose certaine, la performance de Simon Pataqaj est remarquable. Il réussit à entrainer le spectateur dans l’intimité d’un personnage qui se déclare au départ « méchant » mais auquel on finit par s’attacher. Ni « héros ni goujat ». Apparemment amer, ce personnage se démène, en fait, contre une vision trop marchande de la vie humaine ; l’homme rêve de liberté et de fantaisie alors qu’on lui impose un modèle où seule la productivité est valorisée. On appelle cela une quête d’absolu.
D’après Dostoïevski. Adaptation et mise en scène de Simon Pitaqaj. Une co-production de la compagnie Liria et la Villa Mais d’ici. Présenté au Théâtre Prospero du 28 janvier au 13 février 2016.
Le Groupe de la Veillée fête ses quarante ans. Salutations et félicitations au passage à une compagnie qui a su rester fidèle à elle-même et proposer aux spectateurs des expériences théâtrales souvent exigeantes, cherchant toujours à jouer sur la corde raide d’un théâtre « pauvre », dans le sens où l’entendait Grotowski, c’est-à-dire un théâtre basé sur les émotions, l’impulsion, le corps parlant et les objets. Un théâtre d’exploration où Gabriel Arcand, parmi les fondateurs, a joué des rôles inoubliables. Au fil des ans, on y a entendu des textes forts (avec sous-textes à l’avenant) : Milosz, Kafka, Dorst, Strindberg, Brecht, en passant par Bernhard, Gombrowicz, Artaud, entre autres. Et, en tout premier, Dostoïevski.
C’est donc avec cet auteur que le Groupe marque le coup. Deux spectacles sont à l’affiche : Le Joueur, dans une mise scène de Gregory Hlady et L’Homme du sous-sol, une adaptation des Carnets du sous-sol, du Théâtre Liria (France), invité pour l’occasion.
Dans la tradition du théâtre grotowskien misant sur le rapport intime avec le spectateur, et donc très proche de l’esthétique du Groupe de La Veillée, Simon Pitaqaj, qui joue le texte qu’il a adapté et mis en scène, propose aux spectateurs une expérience intense dans les couloirs et la petite salle du sous-sol du Théâtre Prospero. Espace pour le moins adéquat pour ce monologue de Dostoïevski aux accents existentialistes. Impossible à résumer, car il ne s’agit pas d’un récit, le texte se développe au gré de réflexions, d’hésitations, de questionnements, de colères, de désespérances. Qu’est-ce que vivre ? Comment peut-on vivre ? Telles pourraient être les questions condensant le mieux le propos. Le personnage se présente comme un ex-fonctionnaire reclus depuis des années dans son sous-sol, incapable de vivre parmi les hommes, sous-sol à la fois refuge et piège. Fustigeant l’« homme d’action », qui ne peut être qu’ « essentiellement borné », il en appelle à la « conscience » pour s’interroger sur soi et sur le monde, car, dit-il, « être des hommes nous pèse ».
Mais, attention, cela ne se fait pas sur le mode prêchi-prêcha. Nous assistons plutôt à un déferlement de pensées, certains dirons un délire, l’homme étant mû par un besoin irrésistible de partager ses réflexions, sinon de sortir de sa solitude. Et c’est énergique ! Il s’agite dans cet espace clos, y va et vient sans arrêt, manipulant des marionnettes, dansant au son de chants traditionnels albanais (Simon Pitaqaj est kosovar), fabriquant des objets qu’il empile dans ce capharnaüm, qui peut bien représenter finalement sa propre tête. On voyagerait dans l’inconscient d’un homme anéanti par ses incertitudes, paralysé par un sentiment d’impuissance (« je n’ai rien pu commencer, ni rien finir »), bouleversé par des souvenirs d’enfance et d’un amour malheureux. Mais aussi propulsé par l’instinct de survie.
Le spectacle atteint peut-être le plus son objectif quand le personnage remet en question toute notion de progrès dans l’histoire prenant pour appui la propension des hommes à s’entretuer et se faire la guerre. En comparaison avec les époques passées, « est-ce qu’elle s’adoucit notre civilisation ? », nous demande-t-il. Ses adresses directes aux spectateurs ne peuvent que forcer ceux-ci à au moins s’interroger sur la chose ! Dostoïevski l’intemporel.
Le texte de l’auteur russe est nettement plus long que ce que nous donne à entendre L’Homme du sous-sol (ceci n’est pas un regret). Simon Pitaqaj, qui a manifestement ce texte « dans la peau », se l’est approprié et en a tiré ce qui lui semblait le mieux à même de nous bousculer en ces temps d’incertitudes et de quête d’authenticité.
Pessimiste ? Lucide ? Cynique ? Provocateur ? À chacun de trouver son compte dans ce spectacle. Chose certaine, la performance de Simon Pataqaj est remarquable. Il réussit à entrainer le spectateur dans l’intimité d’un personnage qui se déclare au départ « méchant » mais auquel on finit par s’attacher. Ni « héros ni goujat ». Apparemment amer, ce personnage se démène, en fait, contre une vision trop marchande de la vie humaine ; l’homme rêve de liberté et de fantaisie alors qu’on lui impose un modèle où seule la productivité est valorisée. On appelle cela une quête d’absolu.
L’Homme du sous-sol
D’après Dostoïevski. Adaptation et mise en scène de Simon Pitaqaj. Une co-production de la compagnie Liria et la Villa Mais d’ici. Présenté au Théâtre Prospero du 28 janvier au 13 février 2016.