Vladimir et Estragon sont sur une butte de sable au pied d’un arbre et ils attendent un certain Godot. Jour après jour. Seuls, peut-être, les jeunes spectateurs peuvent-ils encore espérer avec eux qu’il arrive, ce Godot, censé les « sauver ». Mais, bien sûr, il ne viendra pas. Car s’il venait, ce serait la fin… donc plus de Vladimir ni d’Estragon.
Et c’est justement Vladimir et Estragon qui intéressent Beckett, plus spécifiquement ce que font Vladimir et Estragon en attendant Godot. Et que font-ils ? Ils causent, se rappellent leur passé, s’inquiètent l’un de l’autre, s’étreignent, se racontent des histoires, s’engueulent parfois, et tiens, pourquoi pas, jouent à se poser des questions. Bref, ils vivent. Et le temps passe.
Surgissent Pozzo et Lucky, le maître et l’esclave, que Didi et Gogo vont tour à tour blâmer ou encourager. « Est-ce que j’ai dormi pendant que les autres souffraient ? » Voilà une des phrases-choc de ce chef-d’œuvre qui en compte plusieurs, texte que l’on n’a de cesse de monter partout dans le monde et que le TNM permet d’entendre ces jours-ci dans une mise en scène bien fignolée de François Girard. Cette phrase, que lance un Vladimir presque honteux, porte tout le poids de la responsabilité humaine dans l’état de monde.
Peu importe l’époque. On ne montera jamais assez En attendant Godot. Chaque génération doit entendre ce texte qui n’en finit pas de nous surprendre par sa fausse simplicité qui recèle un questionnement métaphysique essentiel tout en posant la question fondamentale de la liberté de l’homme. Que faisons-nous de ce temps que nous passons sur terre ? Vladimir et Estragon sont l’incarnation de la condition humaine. Nés pour mourir. Mais entretemps ? est-il légitime de se demander.
Dès la première image, devant ce décor-métaphore absolument génial de François Séguin, on sait ce qui s’en vient. Chaque jour sera la réplique du précédent… On n’a qu’à retourner le sablier (gardons la surprise). Confinés sur leur îlot, Vladimir et Estragon, les compagnons de toujours, peinent à garder espoir, mais le font tout de même.
Alexis Martin et Benoît Brière campent le duo, parfaitement complémentaires dans leur manière de rendre l’anxiété de l’un et la naïveté de l’autre. Tous deux parviennent à faire voir les multiples couches du texte qu’ils maîtrisent parfaitement. On rit et on se désole avec eux. Alexis Martin joue ce petit côté intello qu’on lui connaît et qui rend son Vladimir juste assez lucide pour être inquiet. Il est la « tête » et la mémoire de la paire, celui qui relance toujours l’attente. De son côté, Benoit Brière mise sur une bonhomie toujours bien équilibrée qui donne à son Estragon une dimension très attachante. C’est un pur bonheur de les voir aller.
Le Pozzo de Pierre Lebeau (dont la voix rauque et éraillée peut agacer) en impose comme il se doit : il est le maître et le fait bien sentir, bien qu’il soit conscient du hasard de la chose. « J’aurais pu être à sa place », dira-t-il de Lucky, son domestique. Ce qui adviendra presque d’ailleurs… Quant à Lucky, rôle casse-gueule par excellence, il est joué de manière très convaincante par Emmanuel Schwartz, qui offre là une performance formidable.
Le spectacle est en tout point remarquable. Si François Girard ne propose pas une lecture radicalement novatrice (on se rappellera qu’André Brassard en 1992 avait fait de Vladimir et Estragon des comédiens déchus), il réussit ce qu’il avait annoncé, à savoir faire entendre avec intelligence les mots de Beckett.
Autant le spectacle force chaque individu à s’interroger sur sa propre existence autant il incite à se voir comme partie d’un tout. Quand Pozzo implore l’aide des compères, Vladimir lance un « Faisons quelque chose » avant d’ajouter : « L’appel que nous venons d’entendre, c’est plutôt à l’humanité tout entière qu’il s’adresse. Mais à cet endroit, en ce moment, l’humanité, c’est nous, que ça nous plaise ou non. » Et si, à la fin, le tas d’ossements découvert sous le sable peut représenter les os que Pozzo lançait à Estragon, il peut aussi, de manière plus incriminante, suggérer les multiples charniers dont l’homme s’est rendu coupable au fil du temps. « D’où viennent tous ces cadavres ? » demande Vladimir. À nous de répondre.
Texte de Samuel Beckett. Mise en scène de François Girard. Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 26 mars 2016 (supplémentaires les 29, 30 et 31 mars).
Vladimir et Estragon sont sur une butte de sable au pied d’un arbre et ils attendent un certain Godot. Jour après jour. Seuls, peut-être, les jeunes spectateurs peuvent-ils encore espérer avec eux qu’il arrive, ce Godot, censé les « sauver ». Mais, bien sûr, il ne viendra pas. Car s’il venait, ce serait la fin… donc plus de Vladimir ni d’Estragon.
Et c’est justement Vladimir et Estragon qui intéressent Beckett, plus spécifiquement ce que font Vladimir et Estragon en attendant Godot. Et que font-ils ? Ils causent, se rappellent leur passé, s’inquiètent l’un de l’autre, s’étreignent, se racontent des histoires, s’engueulent parfois, et tiens, pourquoi pas, jouent à se poser des questions. Bref, ils vivent. Et le temps passe.
Surgissent Pozzo et Lucky, le maître et l’esclave, que Didi et Gogo vont tour à tour blâmer ou encourager. « Est-ce que j’ai dormi pendant que les autres souffraient ? » Voilà une des phrases-choc de ce chef-d’œuvre qui en compte plusieurs, texte que l’on n’a de cesse de monter partout dans le monde et que le TNM permet d’entendre ces jours-ci dans une mise en scène bien fignolée de François Girard. Cette phrase, que lance un Vladimir presque honteux, porte tout le poids de la responsabilité humaine dans l’état de monde.
Peu importe l’époque. On ne montera jamais assez En attendant Godot. Chaque génération doit entendre ce texte qui n’en finit pas de nous surprendre par sa fausse simplicité qui recèle un questionnement métaphysique essentiel tout en posant la question fondamentale de la liberté de l’homme. Que faisons-nous de ce temps que nous passons sur terre ? Vladimir et Estragon sont l’incarnation de la condition humaine. Nés pour mourir. Mais entretemps ? est-il légitime de se demander.
Dès la première image, devant ce décor-métaphore absolument génial de François Séguin, on sait ce qui s’en vient. Chaque jour sera la réplique du précédent… On n’a qu’à retourner le sablier (gardons la surprise). Confinés sur leur îlot, Vladimir et Estragon, les compagnons de toujours, peinent à garder espoir, mais le font tout de même.
Alexis Martin et Benoît Brière campent le duo, parfaitement complémentaires dans leur manière de rendre l’anxiété de l’un et la naïveté de l’autre. Tous deux parviennent à faire voir les multiples couches du texte qu’ils maîtrisent parfaitement. On rit et on se désole avec eux. Alexis Martin joue ce petit côté intello qu’on lui connaît et qui rend son Vladimir juste assez lucide pour être inquiet. Il est la « tête » et la mémoire de la paire, celui qui relance toujours l’attente. De son côté, Benoit Brière mise sur une bonhomie toujours bien équilibrée qui donne à son Estragon une dimension très attachante. C’est un pur bonheur de les voir aller.
Le Pozzo de Pierre Lebeau (dont la voix rauque et éraillée peut agacer) en impose comme il se doit : il est le maître et le fait bien sentir, bien qu’il soit conscient du hasard de la chose. « J’aurais pu être à sa place », dira-t-il de Lucky, son domestique. Ce qui adviendra presque d’ailleurs… Quant à Lucky, rôle casse-gueule par excellence, il est joué de manière très convaincante par Emmanuel Schwartz, qui offre là une performance formidable.
Le spectacle est en tout point remarquable. Si François Girard ne propose pas une lecture radicalement novatrice (on se rappellera qu’André Brassard en 1992 avait fait de Vladimir et Estragon des comédiens déchus), il réussit ce qu’il avait annoncé, à savoir faire entendre avec intelligence les mots de Beckett.
Autant le spectacle force chaque individu à s’interroger sur sa propre existence autant il incite à se voir comme partie d’un tout. Quand Pozzo implore l’aide des compères, Vladimir lance un « Faisons quelque chose » avant d’ajouter : « L’appel que nous venons d’entendre, c’est plutôt à l’humanité tout entière qu’il s’adresse. Mais à cet endroit, en ce moment, l’humanité, c’est nous, que ça nous plaise ou non. » Et si, à la fin, le tas d’ossements découvert sous le sable peut représenter les os que Pozzo lançait à Estragon, il peut aussi, de manière plus incriminante, suggérer les multiples charniers dont l’homme s’est rendu coupable au fil du temps. « D’où viennent tous ces cadavres ? » demande Vladimir. À nous de répondre.
En attendant Godot
Texte de Samuel Beckett. Mise en scène de François Girard. Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 26 mars 2016 (supplémentaires les 29, 30 et 31 mars).