Il n’est pas si fréquent d’avoir l’occasion, chez nous, d’assister à une production étrangère d’un texte québécois. La présentation de Fratrie de Marc-Antoine Cyr, par ailleurs auteur en résidence au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’en 2018, permet de se frotter à un objet théâtral inhabituel.
Le texte, qui semble s’adresser d’abord aux adolescents sans que cela ne soit dit, regorge de mots et d’expressions d’ici qui, dans la bouche de comédiens français, se teintent d’une bizarrerie qu’il nous faut apprivoiser. Comme les quatre personnages doivent s’approprier leur nouvelle réalité.
La scène se passe en hiver, au plein cœur d’une tempête de neige. Quatre frères, réunis à l’intérieur de la maison familiale, ont vu leur père tomber dans l’immensité blanche. Pendant qu’il sera soigné à l’hôpital, puis opéré au cœur, la mère à son chevet, les frères tentent tant bien que mal de poursuivre une vie normale. Laissés à eux-mêmes, aux prises avec leurs peurs, les tensions et les non-dits, ils doivent se réinventer, s’exprimer, se comprendre. Parmi eux, Léo, jugé « différent », depuis toujours semble-t-il, parle peu, mais sa « voix du dedans », qu’aucun ne veut entendre, laisse échapper ses pensées réelles, sa souffrance et sa force de caractère.
Sur un plancher de bois incliné, qui servira à l’occasion d’écran où seront projetées des ombres, des formes en mouvement, des taches de couleur, incluant le rouge sang, les acteurs évoluent en une sorte de rituel bien rôdé. Il faut un moment pour se faire à l’idée qu’ils jouent des enfants, dont les âges ne sont pas précisés.
L’action tourne autour de Léo : dans un jeu où on lui demande « c’est qui ton amour préféré, Léo, qui tu aimes le plus? », le garçon répond toujours Arthur, l’aîné. Mais vite, il se rend compte qu’Arthur a usurpé la couronne du roi son père pour mieux dominer.
Poétique, allusive, la pièce se fait symbolique, métaphorique, avec l’irruption sur scène du fantôme d’un roi espagnol donnant une mission au long cours à Léo. Plus tard, Christophe Colomb apparaîtra, alors que l’un des frères, Jules, se demandera si le célèbre conquistador ne s’est pas trompé en asservissant, en pillant les peuples du Nouveau Monde et en s’emparant de leur territoire, plutôt qu’en reconnaissant leur existence, leur différence, en égal. Une allégorie illustrant l’intransigeance d’Arthur et, dans une moindre mesure, des deux autres frères envers Léo. Cette intrusion du fantastique donne lieu à des passages d’une belle théâtralité, où l’un danse avec une cape rouge, où le roi en manteau et couronné s’avance sur la scène, majestueux.
Léo, qui a été impliqué dans un incident dans un boisé près de l’école se voit menacé par décision du père d’être envoyé au pensionnat, ce qu’il refuse obstinément. Ce qui s’est passé « dans les branches » n’est pas nommé, Léo dira : « Cela brise le cœur de tout le monde, sauf le mien, que ça répare ». Les allusions au cœur, celui du père et le sien, sont nombreuses. Les comédiens campent bien des personnages dissemblables, leur jeu se fait direct, sans affectation, avec de l’humour et de la vigueur. L’émotion affleure à plusieurs moments, pourtant on reste sur sa faim.
Des pans de cette fable demeurent imprécis : où sommes-nous exactement? Dans un Québec imaginaire? À quelle époque? Le pensionnat nous ramène en arrière de quelques décennies. L’auteur a voulu exprimer le passage de l’enfance, de l’adolescence à l’âge adulte, et la construction identitaire d’un garçon « différent » au contact de ses frères. La réflexion qui en ressort, portée par l’équipe, atteint parfois sa cible, mais à trop vouloir dire l’indicible, l’œuvre demeure beaucoup dans l’évocation, comme si on n’osait pas nommer les choses. En notre ère d’hyper-sexualisation où il n’y a plus de tabou, cela lui donne un côté vieillot, fragile, trop pudique?
Texte de Marc-Antoine Cyr. Mise en scène de Didier Girauldon. Une production de la compagnie Jabberwock, présentée à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 26 mars 2016.
Il n’est pas si fréquent d’avoir l’occasion, chez nous, d’assister à une production étrangère d’un texte québécois. La présentation de Fratrie de Marc-Antoine Cyr, par ailleurs auteur en résidence au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’en 2018, permet de se frotter à un objet théâtral inhabituel.
Le texte, qui semble s’adresser d’abord aux adolescents sans que cela ne soit dit, regorge de mots et d’expressions d’ici qui, dans la bouche de comédiens français, se teintent d’une bizarrerie qu’il nous faut apprivoiser. Comme les quatre personnages doivent s’approprier leur nouvelle réalité.
La scène se passe en hiver, au plein cœur d’une tempête de neige. Quatre frères, réunis à l’intérieur de la maison familiale, ont vu leur père tomber dans l’immensité blanche. Pendant qu’il sera soigné à l’hôpital, puis opéré au cœur, la mère à son chevet, les frères tentent tant bien que mal de poursuivre une vie normale. Laissés à eux-mêmes, aux prises avec leurs peurs, les tensions et les non-dits, ils doivent se réinventer, s’exprimer, se comprendre. Parmi eux, Léo, jugé « différent », depuis toujours semble-t-il, parle peu, mais sa « voix du dedans », qu’aucun ne veut entendre, laisse échapper ses pensées réelles, sa souffrance et sa force de caractère.
Sur un plancher de bois incliné, qui servira à l’occasion d’écran où seront projetées des ombres, des formes en mouvement, des taches de couleur, incluant le rouge sang, les acteurs évoluent en une sorte de rituel bien rôdé. Il faut un moment pour se faire à l’idée qu’ils jouent des enfants, dont les âges ne sont pas précisés.
L’action tourne autour de Léo : dans un jeu où on lui demande « c’est qui ton amour préféré, Léo, qui tu aimes le plus? », le garçon répond toujours Arthur, l’aîné. Mais vite, il se rend compte qu’Arthur a usurpé la couronne du roi son père pour mieux dominer.
Poétique, allusive, la pièce se fait symbolique, métaphorique, avec l’irruption sur scène du fantôme d’un roi espagnol donnant une mission au long cours à Léo. Plus tard, Christophe Colomb apparaîtra, alors que l’un des frères, Jules, se demandera si le célèbre conquistador ne s’est pas trompé en asservissant, en pillant les peuples du Nouveau Monde et en s’emparant de leur territoire, plutôt qu’en reconnaissant leur existence, leur différence, en égal. Une allégorie illustrant l’intransigeance d’Arthur et, dans une moindre mesure, des deux autres frères envers Léo. Cette intrusion du fantastique donne lieu à des passages d’une belle théâtralité, où l’un danse avec une cape rouge, où le roi en manteau et couronné s’avance sur la scène, majestueux.
Léo, qui a été impliqué dans un incident dans un boisé près de l’école se voit menacé par décision du père d’être envoyé au pensionnat, ce qu’il refuse obstinément. Ce qui s’est passé « dans les branches » n’est pas nommé, Léo dira : « Cela brise le cœur de tout le monde, sauf le mien, que ça répare ». Les allusions au cœur, celui du père et le sien, sont nombreuses. Les comédiens campent bien des personnages dissemblables, leur jeu se fait direct, sans affectation, avec de l’humour et de la vigueur. L’émotion affleure à plusieurs moments, pourtant on reste sur sa faim.
Des pans de cette fable demeurent imprécis : où sommes-nous exactement? Dans un Québec imaginaire? À quelle époque? Le pensionnat nous ramène en arrière de quelques décennies. L’auteur a voulu exprimer le passage de l’enfance, de l’adolescence à l’âge adulte, et la construction identitaire d’un garçon « différent » au contact de ses frères. La réflexion qui en ressort, portée par l’équipe, atteint parfois sa cible, mais à trop vouloir dire l’indicible, l’œuvre demeure beaucoup dans l’évocation, comme si on n’osait pas nommer les choses. En notre ère d’hyper-sexualisation où il n’y a plus de tabou, cela lui donne un côté vieillot, fragile, trop pudique?
Fratrie
Texte de Marc-Antoine Cyr. Mise en scène de Didier Girauldon. Une production de la compagnie Jabberwock, présentée à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 26 mars 2016.