Julien et Marguerite sont les enfants de Jean III de Ravalet, seigneur de Tourlaville, en Normandie. Cela aurait pu être une histoire banale de fratrie, mais leur complicité se mue en quelque chose qui les dépasse, qui pousse leur famille à les séparer et marier Marguerite à Jean Lefevre. Elle finit par retrouver son frère à Paris. Jugés pour adultère et inceste (accusations toujours niées), ils seront décapités le 2 décembre 1603, après la naissance de l’enfant de Marguerite.
La légende a interpelé les peintres (on peut évoquer une toile de Pierre Mignard), les auteurs (Jules Barbey d’Aurevilly, Byron et Juliette Benzoni notamment) et les cinéastes. Truffaut avait été tenté par le sujet, mais abandonna le projet en 1973. L’année dernière, un film de Valérie Donzelli faisait partie de la sélection à Cannes.
Plus près de nous, l’œuvre radiophonique conçue par John Rea en 1983 sera présentée le 16 mai prochain dans le cadre de la Série hommage de la SMCQ. Elle est proposée dans une mise en scène de Denis Marleau et Stéphanie Jasmin, et placée sous la direction de Walter Boudreau.
Une œuvre représentative d’une démarche
Lors de sa création radiophonique, Le petit livre des Ravalet a remporté le Grand Prix Paul-Gilson de la Communauté des radios publiques de langue française et conserve une indéniable pertinence. L’intégration d’instruments du passé et de technologie de l’époque favorise un postmodernisme qui lie d’un même souffle théâtre, musicologie, modernisme, favorisant comme souvent chez ce compositeur les strates du langage. « La musique de John Rea comporte une part importante de réflexion sur son état même », rappelle Walter Boudreau, directeur de la SMCQ.
Le défi pour le chef se révèle d’abord théâtral puisque celui-ci doit composer avec des comédiens, qui intègrent un texte d’une façon différente d’un musicien, conscient des battues ou des signes musicaux à transmettre. « À toute fin pratique, je deviendrai une extension du metteur en scène. Les comédiens n’ont pas beaucoup de latitude », précise en souriant Boudreau, qui se compare volontiers à « un préfet de discipline. »
On oublie trop souvent que musiques contemporaine et ancienne ont plus en commun que l’on pourrait le croire. « Il y a comme une autoroute directe qui passe par-dessus ce que l’on pourrait appeler les excès du romantisme, rappelle Walter Boudreau. Il ne faut pas oublier le côté révolutionnaire de l’ars nova. On créait à toute fin pratique le contrepoint, l’harmonie, mais avec une certaine distance. Les modernistes se sont découvert des atomes crochus avec toute cette démarche. Dans Le petit livre des Ravalet, on patauge dans cet univers ambigu, dans lequel on peut se perdre, mais aussi distinguer les contours avec une lunette d’approche ou un microscope, tantôt au ou hors focus. »
Mettre en scène un texte radiophonique
Comment peut-on transformer une œuvre radiophonique sans la dénaturer? Denis Marleau (qui avait revisité il y a deux ans sa musique de scène avec son complice Denis Gougeon dans le cadre de la Série hommage précédente de la SMCQ) et Stéphanie Jasmin souhaitaient avant toute chose inscrire leur lecture de l’œuvre dans le prolongement de sa nature même.
Il n’était pas ici pertinent de lier tel ou tel personnage à un élément scénique, de faire revivre le drame, de l’illustrer, mais plutôt de viser une installation scénique. Stéphanie Jasmin évoque plutôt un « tableau vivant » porté par un ensemble de musique ancienne, mais conçu par un compositeur contemporain, le tout soutenu par des projections vidéo.
« Le texte est très imagé, précise Stéphanie Jasmin. On cherche à faire entendre cette narration. D’une certaine façon, les deux acteurs narrateurs sont traités en exergue. On les ressent comme deux voix, pas seulement musicales. Les instruments donnent déjà l’essence ancienne et nous ne voulions pas dédoubler cette impression avec la mise en scène. Ainsi, nous tenions à ce qu’il y ait une sorte d’intemporalité dans la représentation du couple amoureux. »
Détail intéressant, les rôles muets de Julien et Marguerite sont tenus ici par de vrais jumeaux, ce qui ajoute une tension supplémentaire au propos. La musique magnifie cette impression de décalage temporel, ce qui permet de ne pas lier directement narration et imagerie.
« Que l’opéra soit petit ou grand [le duo Marleau et Jasmin a également travaillé sur la mise en scène de l’opéra L’autre hiver, présenté prochainement au FTA], nous sommes au service de la musique. C’est elle qui donne le sens, lui confère son intensité, son étrangeté, sa poétique propre. On ne parle pas ici d’un voyage dans le temps, mais plutôt dans les oppositions de lumière, entre le côté obscur de la radio (on entend, on écoute, mais on ne voit pas) et le tableau d’icône de ce couple, dont on parle déjà comme d’une image diffuse. »
Relecture ou intemporalité? Le point de vue du compositeur
Le petit livre des Ravalet a séduit à la première lecture John Rea. Présenté au théâtre dans les années 1960 à Montréal, le texte serait offert au compositeur 10 ans plus tard, mais il ne travaillerait qu’en 1983 à cette commande radiophonique.
« Je me suis rapidement rendu compte de la possibilité de rendre l’œuvre charnelle, réelle, explique Rea. L’amour n’est pas une seule chose; c’est une chose complexe. Non seulement j’ai été séduit par la beauté de la langue de ce texte, mais j’ai eu envie de me pencher sur les divers regards de l’amour. »
Walter Boudreau a proposé de revisiter l’œuvre et de condenser un peu le tissu instrumental. Le tout est maintenant défendu par six musiciens (plutôt que huit) et trois récitants, sans dénaturer l’esprit du texte original, porté notamment par la voix « si je puis dire de la deuxième chaîne » de Yanick Villedieu. « On peut parler d’une petite expérience qui va se dérouler dans l’esprit des auditeurs ou spectateurs. Jusqu’à un certain point, les yeux pourraient être fermés. »
John Rea se révèle profondément touché par cette année hommage qui se termine bientôt. « C’est une expérience absolument exceptionnelle, évoque-t-il, comme faire la biographie d’une personne à travers des images prises aux rayons X. Chaque œuvre devient un portrait de ma façon de penser la musique à un certain moment, facette d’un esprit musical. Dans ma façon de penser la musique, les perspectives ont été changeantes par rapport au style, à l’expression, le contenu. » Souvent, date et styles ne sont pas synonymes. « Si l’œuvre continue de résonner, l’âge chronologique n’est plus pertinent. Le sens réside plutôt dans la résonance du propos. »
Opéra parlé mis en musique par John Rea, sur un texte de Mignolet Brochocka. Mise en scène de Denis Marleau et Stéphanie Jasmin. Direction de Walter Boudreau. Une coproduction SMCQ et Ubu Théâtre de création, présentée à L’Usine C le 16 mai à 19 h.
Julien et Marguerite sont les enfants de Jean III de Ravalet, seigneur de Tourlaville, en Normandie. Cela aurait pu être une histoire banale de fratrie, mais leur complicité se mue en quelque chose qui les dépasse, qui pousse leur famille à les séparer et marier Marguerite à Jean Lefevre. Elle finit par retrouver son frère à Paris. Jugés pour adultère et inceste (accusations toujours niées), ils seront décapités le 2 décembre 1603, après la naissance de l’enfant de Marguerite.
La légende a interpelé les peintres (on peut évoquer une toile de Pierre Mignard), les auteurs (Jules Barbey d’Aurevilly, Byron et Juliette Benzoni notamment) et les cinéastes. Truffaut avait été tenté par le sujet, mais abandonna le projet en 1973. L’année dernière, un film de Valérie Donzelli faisait partie de la sélection à Cannes.
Plus près de nous, l’œuvre radiophonique conçue par John Rea en 1983 sera présentée le 16 mai prochain dans le cadre de la Série hommage de la SMCQ. Elle est proposée dans une mise en scène de Denis Marleau et Stéphanie Jasmin, et placée sous la direction de Walter Boudreau.
Une œuvre représentative d’une démarche
Lors de sa création radiophonique, Le petit livre des Ravalet a remporté le Grand Prix Paul-Gilson de la Communauté des radios publiques de langue française et conserve une indéniable pertinence. L’intégration d’instruments du passé et de technologie de l’époque favorise un postmodernisme qui lie d’un même souffle théâtre, musicologie, modernisme, favorisant comme souvent chez ce compositeur les strates du langage. « La musique de John Rea comporte une part importante de réflexion sur son état même », rappelle Walter Boudreau, directeur de la SMCQ.
Le défi pour le chef se révèle d’abord théâtral puisque celui-ci doit composer avec des comédiens, qui intègrent un texte d’une façon différente d’un musicien, conscient des battues ou des signes musicaux à transmettre. « À toute fin pratique, je deviendrai une extension du metteur en scène. Les comédiens n’ont pas beaucoup de latitude », précise en souriant Boudreau, qui se compare volontiers à « un préfet de discipline. »
On oublie trop souvent que musiques contemporaine et ancienne ont plus en commun que l’on pourrait le croire. « Il y a comme une autoroute directe qui passe par-dessus ce que l’on pourrait appeler les excès du romantisme, rappelle Walter Boudreau. Il ne faut pas oublier le côté révolutionnaire de l’ars nova. On créait à toute fin pratique le contrepoint, l’harmonie, mais avec une certaine distance. Les modernistes se sont découvert des atomes crochus avec toute cette démarche. Dans Le petit livre des Ravalet, on patauge dans cet univers ambigu, dans lequel on peut se perdre, mais aussi distinguer les contours avec une lunette d’approche ou un microscope, tantôt au ou hors focus. »
Mettre en scène un texte radiophonique
Comment peut-on transformer une œuvre radiophonique sans la dénaturer? Denis Marleau (qui avait revisité il y a deux ans sa musique de scène avec son complice Denis Gougeon dans le cadre de la Série hommage précédente de la SMCQ) et Stéphanie Jasmin souhaitaient avant toute chose inscrire leur lecture de l’œuvre dans le prolongement de sa nature même.
Il n’était pas ici pertinent de lier tel ou tel personnage à un élément scénique, de faire revivre le drame, de l’illustrer, mais plutôt de viser une installation scénique. Stéphanie Jasmin évoque plutôt un « tableau vivant » porté par un ensemble de musique ancienne, mais conçu par un compositeur contemporain, le tout soutenu par des projections vidéo.
« Le texte est très imagé, précise Stéphanie Jasmin. On cherche à faire entendre cette narration. D’une certaine façon, les deux acteurs narrateurs sont traités en exergue. On les ressent comme deux voix, pas seulement musicales. Les instruments donnent déjà l’essence ancienne et nous ne voulions pas dédoubler cette impression avec la mise en scène. Ainsi, nous tenions à ce qu’il y ait une sorte d’intemporalité dans la représentation du couple amoureux. »
Détail intéressant, les rôles muets de Julien et Marguerite sont tenus ici par de vrais jumeaux, ce qui ajoute une tension supplémentaire au propos. La musique magnifie cette impression de décalage temporel, ce qui permet de ne pas lier directement narration et imagerie.
« Que l’opéra soit petit ou grand [le duo Marleau et Jasmin a également travaillé sur la mise en scène de l’opéra L’autre hiver, présenté prochainement au FTA], nous sommes au service de la musique. C’est elle qui donne le sens, lui confère son intensité, son étrangeté, sa poétique propre. On ne parle pas ici d’un voyage dans le temps, mais plutôt dans les oppositions de lumière, entre le côté obscur de la radio (on entend, on écoute, mais on ne voit pas) et le tableau d’icône de ce couple, dont on parle déjà comme d’une image diffuse. »
Relecture ou intemporalité? Le point de vue du compositeur
Le petit livre des Ravalet a séduit à la première lecture John Rea. Présenté au théâtre dans les années 1960 à Montréal, le texte serait offert au compositeur 10 ans plus tard, mais il ne travaillerait qu’en 1983 à cette commande radiophonique.
« Je me suis rapidement rendu compte de la possibilité de rendre l’œuvre charnelle, réelle, explique Rea. L’amour n’est pas une seule chose; c’est une chose complexe. Non seulement j’ai été séduit par la beauté de la langue de ce texte, mais j’ai eu envie de me pencher sur les divers regards de l’amour. »
Walter Boudreau a proposé de revisiter l’œuvre et de condenser un peu le tissu instrumental. Le tout est maintenant défendu par six musiciens (plutôt que huit) et trois récitants, sans dénaturer l’esprit du texte original, porté notamment par la voix « si je puis dire de la deuxième chaîne » de Yanick Villedieu. « On peut parler d’une petite expérience qui va se dérouler dans l’esprit des auditeurs ou spectateurs. Jusqu’à un certain point, les yeux pourraient être fermés. »
John Rea se révèle profondément touché par cette année hommage qui se termine bientôt. « C’est une expérience absolument exceptionnelle, évoque-t-il, comme faire la biographie d’une personne à travers des images prises aux rayons X. Chaque œuvre devient un portrait de ma façon de penser la musique à un certain moment, facette d’un esprit musical. Dans ma façon de penser la musique, les perspectives ont été changeantes par rapport au style, à l’expression, le contenu. » Souvent, date et styles ne sont pas synonymes. « Si l’œuvre continue de résonner, l’âge chronologique n’est plus pertinent. Le sens réside plutôt dans la résonance du propos. »
Le petit livre des Ravalet
Opéra parlé mis en musique par John Rea, sur un texte de Mignolet Brochocka. Mise en scène de Denis Marleau et Stéphanie Jasmin. Direction de Walter Boudreau. Une coproduction SMCQ et Ubu Théâtre de création, présentée à L’Usine C le 16 mai à 19 h.