Critiques

Mille batailles : Une parfaite maîtrise du geste

Mille batailles, la nouvelle création de Louise Lecavalier, était fort attendue, trois ans après So Blue. La chorégraphe poursuit son travail sur la recherche du dépassement de soi, aux limites de l’effort physique.

Au mélange de guitare électrique et d’échantillonnage binaire et saccadé, exécuté en direct par Antoine Berthiaume, la danseuse s’avance sur la pointe des pieds. Sa main tressaille jusqu’à bouger à un rythme exalté, fait des circonvolutions, entrainant dans son sillage un mouvement complet du bras, puis de la tête. Les gestes sont rapides et totalement conscients. Chaque muscle qui bouge a une signification et une intention, rien n’est fait par hasard, tout est assumé. Elle se déplace ensuite en faisant mille et un petits pas, semblable à un personnage de jeu vidéo coincé dans ses déplacements d’avant en arrière et de droite à gauche.

Entièrement moulée dans un costume noir soyeux, la danseuse et chorégraphe tente de repousser les limites du corps. Quand le fond de scène, composé de grands panneaux de bois clairs, découpe un terrain de jeu plus restreint, son corps se dédouble comme devant un miroir, avec les deux parties qui évoluent en parallèle et en opposition. À un moment, son double masculin (Robert Abudo) arrive sur scène comme par magie. Un jeu s’installe entre les deux, à mi-chemin entre la confrontation et l’acceptation. Ils se parlent, se répondent, se questionnent, s’imitent jusqu’à ne faire qu’un par intermittence.

Pour cette création, Louise Lecavalier s’est inspirée du Chevalier inexistant d’Italo Calvino qui se maintient en vie uniquement par la force de sa volonté. C’est aussi le cas de la chorégraphe dont le double sur scène semble se battre, danser, bouger frénétiquement dans le seul but d’exister et de survivre à elle-même. Son second semble moins tendu vers cette quête du geste définitif dont la finalité est de sortir du symbole de l’humain robotisé. La scène des deux corps inversés qui tentent de survivre, les jambes en l’air et la tête au sol, en prenant appui sur le mur en fond de scène, est d’une puissante intensité, les roulades circulaires se finissant ensuite au sol, autour du carré de jeu central.

Avec Mille batailles, Louise Lecavalier arrive à renouveler son langage chorégraphique, tout en préservant ce qui fait son essence et son génie. Le public a été visiblement sensible à cette écriture moderne et intense en l’applaudissant chaleureusement de longues minutes à la fin de la première, mardi soir.

Mille batailles

Chorégraphie: Louise Lecavalier. Musique: Antoine Berthiaume. Éclairages: Alain Lortie. Costumes: Yso. Avec Louise Lecavalier et Robert Abubo. Une production de la compagnie Fou glorieux. Au Monument-National, à l’occasion du Festival TransAmériques, jusqu’au 2 juin 2016. À la Maison des arts de Laval le 26 octobre 2017. Au Grand Théâtre de Québec les 12 et 13 décembre 2017. À l’Usine C les 9 et 10 octobre 2018.