Critiques

Siri : Cœur de robot

Du chef-d’œuvre de Stanley Kubrick 2001, l’Odyssée de l’espace aux péripéties surannées des lieutenants à mini-jupes et chandails colorés de la série Star Trek, en passant par l’incontournable corpus littéraire d’Isaac Asimov, l’humain se questionne depuis longtemps, à travers la culture, sur les liens qui l’unissent à l’intelligence artificielle.

Posée crûment, la question essentielle et commune à ces productions serait sans doute celle-ci : une machine peut-elle avoir une âme, avec ce qu’elle comporte d’ambition, de sensibilité et de subjectivité ? L’humain peut-il créer une âme à partir non pas de zygotes, mais bien d’algorithmes ? Or, aussi bien les développements exponentiels de la technologie que la solitude croissante liée au mode de vie occidental contemporain, où bien des relations sont entretenues par écrans interposés, confèrent à ce questionnement ontologique un caractère on ne peut plus pertinent.

siri_production-2_laurena-mayifuila-mayoweleAvec Siri, les auteurs Maxime Carbonneau et Laurence Dauphinais jouxtent le questionnement à l’expérimentation. Seule sur scène, cette dernière tentera d’initier une conversation existentielle avec Siri, l’assistante automatisée que lui propose son téléphone intelligent, celui-ci servant, de ce fait, à la fois d’accessoire et de partenaire de scène.

Sens de la vie, relations interpersonnelles et émotions diverses seront au nombre des thèmes abordés, suscitant des répliques pré-programmées des types les plus variés. En effet, si certaines constituent de prévisibles fins de non-recevoir (« Je ne comprends pas la question » et ses dérivés), d’autres étonnent par l’humour pince-sans-rire insufflé à cet être virtuel par ses concepteurs (notamment, à la question « Quelle est ta couleur préférée ? », Siri répondra qu’elle prise particulièrement le violet argenté teinté de reflets terre de sienne), tandis que d’autres encore déstabilisent par leur subtilité. Lorsque interrogée quant à la définition de la notion d’amitié, par exemple, Siri riposte par une citation issue du Petit Prince.

Le fait, avoué en entrevue par le metteur en scène Maxime Carbonneau, que certaines réponses de Siri ne soient pas livrées en direct, mais aient plutôt été enregistrées au préalable, corrompt toutefois légèrement l’expérience. Plutôt que de s’abandonner tout entiers à cette aventure inusitée, certains spectateurs seront perturbés par cet alliage d’échanges spontanés et de dialogues organisés, se demandant sans cesse quelles interventions de Siri sont orchestrées par la régisseuse, à partir de sa console ostensiblement installée à côté de la scène.

tumblr_o94npjczm01sjp0gzo8_1280L’aspect visuel enchâssant ce curieux échange – inséré entre une introduction et une conclusion livrées par la comédienne en s’adressant directement au public – se révèle fort simple. Une structure rectangulaire faite d’un mur et de quelques madriers accueille tant la protagoniste que la retransmission agrandie de l’écran du téléphone, que celui-ci dévoile des griffonnages esquissés sous les yeux du public par son utilisatrice, des reproductions modifiées de son visage ou simplement un menu d’options.

Laurence Dauphinais, qui se livre en tant qu’elle-même et avec une louable impudeur à cette exploration, ne trouvera donc pas une amie en la « personne » de Siri, quoi que cette entité fictive puisse complaisamment prétendre. Le leurre, si high tech soit-il, ne tardera pas, lorsque soumis à des questions abstraites ou à des inquisitions d’ordre émotionnel, à révéler sa teneur factice. D’ailleurs, que l’exercice ne dure qu’une heure apparaît judicieux, car s’il est intéressant, il a sans doute ses limites… Les limites d’une machine confrontée à la psyché humaine, en l’occurrence.

Car Siri est sans doute « proche d’un humain », telle qu’elle se définit elle-même ou, plutôt, telle qu’on l’a programmée à se définir. Lui manque néanmoins, comme le corrobore le singulier et somme toute sympathique spectacle du même nom, ce « tout petit supplément d’âme » que chante France Gall et qui fait encore – du moins pour l’heure – toute la différence.

Siri

Texte : Maxime Carbonneau, Laurence Dauphinais et Siri. Mise en scène : Maxime Carbonneau. Scénographie : Geneviève Lizotte. Éclairages : Julie Basse. Musique : Olivier Girouard. Vidéo : Félix Fradet-Faguy. Une production de la Messe Basse. Avec Laurence Dauphinais. Au Théâtre Prospero, à l’occasion du Festival TransAmériques, jusqu’au 3 juin 2016 et au Théâtre d’Aujourd’hui du 17 janvier au 4 février 2017.