1932-1934. Une correspondance entre deux amis Max Eisenstein et Martin Schulse, partenaires dans une galerie d’art de San Francisco. Il suffira de moins de deux ans pour qu’on découvre avec stupeur, comme Max, resté aux Etats-Unis alors que Martin est rentré en Allemagne, l’efficacité avec laquelle un mouvement idéologique peut transformer une personne, voire entraîner presque tout un peuple.
Sur scène, Patrick Timsit incarne Max Eisenstein et Thierry Lhermitte, Martin Schulse. Les deux grands acteurs sont impressionnants de vérité dans la lecture de cet échange épistolaire. L’un passe du regret, nourri de beaux souvenirs, d’avoir vu partir son ami et sa petite famille qu’il chérissait à l’inquiétude devant les rumeurs lui parvenant d’Allemagne, inquiétudes qu’il tentera en vain d’atténuer en s’informant auprès de son ami à propos de ce « Hitler » dont tout le monde parle. L’autre glisse du doute (« est-il complètement sain d’esprit ? ») à la certitude (« On a trouvé un Guide ! ») avec une facilité déconcertante. Tout passe dans un ton, un geste, un regard. D’une grande finesse. Et le spectateur assiste bouche bée à l’embrigadement d’un esprit « normal » dans un mouvement doctrinaire et intolérant.
Au fil des lettres, on apprendra que Martin, devenu haut fonctionnaire, ne peut qu’adhérer aux idées du national-socialisme pour participer au pouvoir. Si, au début, cela semble profiteur, il le fera bientôt avec enthousiasme. Au grand dam de son ami à qui il confie le sort de sa sœur, une comédienne de passage à Berlin, qui périra pourtant. La vengeance que concoctera Max sera à la hauteur de cette trahison de l’amitié et de la plus élémentaire morale. Mais la fin démontrera encore plus la cruauté du régime auquel a adhéré Martin.
C’est d’abord la force du texte qui captive dans ce spectacle, court, inévitablement un peu statique, mais combien percutant !
La montée d’une idéologie
L’auteure, une Américaine peu connue, Katherine Kressmann Taylor, a écrit ce texte en 1938. Il faut le rappeler. Car il ne s’agit pas ici de constater les ravages de la Deuxième Guerre mondiale — elle n’a pas encore eu lieu — ni de dénoncer l’abomination des camps de concentration et d’extermination. Non, il s’agit de voir venir !
Cela donne froid dans le dos d’entendre Martin qualifier les persécutions contre les Juifs d’ « incidents mineurs », justifier « de graves injustices » par l’idée que tout cela n’est que « transitoire » et que la « finalité », entendons la « renaissance » de l’Allemagne, légitime bien quelques « ennuis ». On comprend rapidement que la réponse à la honte infligée par la défaite lors de la Première Guerre mondiale, et le désespoir qui s’en est suivi, est le patriotisme. Un patriotisme étroit, calculateur, revanchard. Le charisme et le populisme d’un Hitler nourriront l’idée qu’une fois le « responsable de tous les maux », véritable bouc émissaire, ici le Juif, trouvé, dénoncé, écarté, l’Allemagne retrouvera sa grandeur perdue. Vous entendez l’écho ?
Avant que l’on n’assiste à cet échange de lettres entre les deux amis devenus ennemis, on visionnera un court documentaire sur la montée du nazisme en Allemagne. L’idée, qui peut paraître à première vue un peu trop pédagogique, s’avère pourtant utile, surtout pour les plus jeunes spectateurs, puisque cette mise en contexte permet d’un peu comprendre l’Allemagne du début des années trente, et en même temps autorise des rapprochements inquiétants avec aujourd’hui. Par ce biais, le spectacle souligne bien que le thème majeur d’Inconnu à cette adresse est la MONTÉE de l’idéologie d’extrême-droite. Il devient alors une sorte de mise en garde. Le texte démontre avec une telle habileté comment il est facile de céder aux discours démagogiques qu’on ne peut que le recevoir ainsi, alors que plusieurs dans des pays européens, mais aussi aux Etats-Unis, se laissent tenter et manipuler par des idéologues qui proposent des réponses toutes faites à des problèmes complexes.
Le fanatisme, écrit Kressmann Taylor, était perçu comme une qualité en Allemagne dans les années trente…
Texte de Kathrine Kressmann Taylor. Adaptation de Michèle Lévy-Bram. Mise en scène de Delphine de Malherbe. Avec Thierry Lhermitte et Patrick Timsit. Une présentation du Théâtre du Nouveau Monde et de Juste pour rire Spectacles. Au TNM jusqu’au 26 juin 2016.
1932-1934. Une correspondance entre deux amis Max Eisenstein et Martin Schulse, partenaires dans une galerie d’art de San Francisco. Il suffira de moins de deux ans pour qu’on découvre avec stupeur, comme Max, resté aux Etats-Unis alors que Martin est rentré en Allemagne, l’efficacité avec laquelle un mouvement idéologique peut transformer une personne, voire entraîner presque tout un peuple.
Sur scène, Patrick Timsit incarne Max Eisenstein et Thierry Lhermitte, Martin Schulse. Les deux grands acteurs sont impressionnants de vérité dans la lecture de cet échange épistolaire. L’un passe du regret, nourri de beaux souvenirs, d’avoir vu partir son ami et sa petite famille qu’il chérissait à l’inquiétude devant les rumeurs lui parvenant d’Allemagne, inquiétudes qu’il tentera en vain d’atténuer en s’informant auprès de son ami à propos de ce « Hitler » dont tout le monde parle. L’autre glisse du doute (« est-il complètement sain d’esprit ? ») à la certitude (« On a trouvé un Guide ! ») avec une facilité déconcertante. Tout passe dans un ton, un geste, un regard. D’une grande finesse. Et le spectateur assiste bouche bée à l’embrigadement d’un esprit « normal » dans un mouvement doctrinaire et intolérant.
Au fil des lettres, on apprendra que Martin, devenu haut fonctionnaire, ne peut qu’adhérer aux idées du national-socialisme pour participer au pouvoir. Si, au début, cela semble profiteur, il le fera bientôt avec enthousiasme. Au grand dam de son ami à qui il confie le sort de sa sœur, une comédienne de passage à Berlin, qui périra pourtant. La vengeance que concoctera Max sera à la hauteur de cette trahison de l’amitié et de la plus élémentaire morale. Mais la fin démontrera encore plus la cruauté du régime auquel a adhéré Martin.
C’est d’abord la force du texte qui captive dans ce spectacle, court, inévitablement un peu statique, mais combien percutant !
La montée d’une idéologie
L’auteure, une Américaine peu connue, Katherine Kressmann Taylor, a écrit ce texte en 1938. Il faut le rappeler. Car il ne s’agit pas ici de constater les ravages de la Deuxième Guerre mondiale — elle n’a pas encore eu lieu — ni de dénoncer l’abomination des camps de concentration et d’extermination. Non, il s’agit de voir venir !
Cela donne froid dans le dos d’entendre Martin qualifier les persécutions contre les Juifs d’ « incidents mineurs », justifier « de graves injustices » par l’idée que tout cela n’est que « transitoire » et que la « finalité », entendons la « renaissance » de l’Allemagne, légitime bien quelques « ennuis ». On comprend rapidement que la réponse à la honte infligée par la défaite lors de la Première Guerre mondiale, et le désespoir qui s’en est suivi, est le patriotisme. Un patriotisme étroit, calculateur, revanchard. Le charisme et le populisme d’un Hitler nourriront l’idée qu’une fois le « responsable de tous les maux », véritable bouc émissaire, ici le Juif, trouvé, dénoncé, écarté, l’Allemagne retrouvera sa grandeur perdue. Vous entendez l’écho ?
Avant que l’on n’assiste à cet échange de lettres entre les deux amis devenus ennemis, on visionnera un court documentaire sur la montée du nazisme en Allemagne. L’idée, qui peut paraître à première vue un peu trop pédagogique, s’avère pourtant utile, surtout pour les plus jeunes spectateurs, puisque cette mise en contexte permet d’un peu comprendre l’Allemagne du début des années trente, et en même temps autorise des rapprochements inquiétants avec aujourd’hui. Par ce biais, le spectacle souligne bien que le thème majeur d’Inconnu à cette adresse est la MONTÉE de l’idéologie d’extrême-droite. Il devient alors une sorte de mise en garde. Le texte démontre avec une telle habileté comment il est facile de céder aux discours démagogiques qu’on ne peut que le recevoir ainsi, alors que plusieurs dans des pays européens, mais aussi aux Etats-Unis, se laissent tenter et manipuler par des idéologues qui proposent des réponses toutes faites à des problèmes complexes.
Le fanatisme, écrit Kressmann Taylor, était perçu comme une qualité en Allemagne dans les années trente…
Inconnu à cette adresse
Texte de Kathrine Kressmann Taylor. Adaptation de Michèle Lévy-Bram. Mise en scène de Delphine de Malherbe. Avec Thierry Lhermitte et Patrick Timsit. Une présentation du Théâtre du Nouveau Monde et de Juste pour rire Spectacles. Au TNM jusqu’au 26 juin 2016.