Après s’être éclaté avec les pièces Le Cid Maghané, HA ha !… et Ines Pérée et Inat Tendu de Réjean Ducharme et avoir sublimé son roman Dévadé, Frédéric Dubois revisite Les bons débarras en insufflant un peu de théâtralité au film de 1979. Reste que ce sont les mots, lancés devant un ciel hurlant et des cordes de bois, qui atteignent le mieux leur cible.
Faire passer une histoire de l’écran à la scène exige de la traduire dans son nouveau langage sans que l’opération ne soit trop apparente. Les dialogues adaptés par Dubois passent bien le test. Ça sonne cru, ça sonne vrai, et les acteurs ont trouvé la manière de livrer avec force cet amalgame de phrases quotidiennes et de poésie vivante qui s’échange du tac au tac. Sous un manteau de révolte et de misère, l’amour est ce qui propulse et qui taraude les personnages de Ducharme, souvent pour le pire.
Dans Les bons débarras, l’amour intarissable d’une mère et celui, furieux, de sa fille, sont comme des vents contraires. Michelle, jouée avec beaucoup de vérité, de liberté et de douceur par Érika Gagnon, tente de tenir sa famille nouée. Chez Manon, l’amour grandit de manière plus trouble. Elle entre dans l’adolescence en étouffant Michelle de ses déclarations débordantes, en flirtant avec l’ex-amant rebelle de sa mère, en rejetant de toutes ses forces le policier trop normé et en déversant son fiel sur son oncle simple d’esprit et alcoolique. Elle rasera tout, détruira tout, laissant sa mère seule comme un arbre frêle dans une forêt décimée par une coupe à blanc.
Le rôle est loin d’être évident à jouer, surtout par une jeune actrice. Léa Deschamps s’en est sortie avec aplomb le soir de la première, balançant des répliques dures avec force et susurrant des mots doux et des mensonges avec une douceur convaincante. On aurait simplement ajouté un soupçon d’ambiguïté dans ses intentions ou dans celle de ses deux beaux-pères potentiels, pour répondre aux doutes semés par Érika Gagnon sur les intentions des hommes qui butinent autour d’elle.
D’un réalisme suspendu
Si l’éclairage avait mis davantage en évidence le visage des comédiens, déjà, peut-être que nous aurions reçu le drame avec un peu plus de force. Les acteurs semblaient bien loin, dans ce décor de brume où le vent, le ciel et les mots de Ducharme défilent sur un immense écran en arrière-scène tout au long de la pièce. La musique, qui semblait parfois jouée en direct à partir des coulisses, donnait heureusement l’impression de les pousser un peu plus près de nous.
Les costumes jaune moutarde, brun, vert forêt, bourgogne et quelques extraits de chanson évoquent les années 70, mais nous nous trouvons dans un réalisme suspendu, devant un espace de jeu dépouillé où le metteur en scène a refusé d’intégrer la table et les chaises qui auraient recréé l’éternelle cuisine des drames québécois. Nous sommes devant une maison sans murs et sans toit, où les personnages accèdent aux chambres en descendant par deux ouvertures, dans le plancher. Il n’y a qu’une caisse de bois et un livre, auquel Manon s’accroche ponctuellement durant la pièce.
Comme pour le langage, la mise en scène de Dubois nous fait passer de gestes très réalistes à des partis-pris plus imagés. Les nombreux déplacements en voiture deviennent des courses folles où le conducteur prend le passager sur son dos, comme un jeu ou comme un fardeau, ce qui est une belle trouvaille. Lorsque le frère et la sœur tentent à tour de rôle de décoincer leur camion et se poussant simplement dans le dos, ou lorsque Michelle fait une crevaison en se tenant la cheville, on reste toutefois dubitatif.
Au fil de la pièce, Ti-Guy (Nicola-Frank Vachon) sème les bouteilles de bière vides à intervalles réguliers comme s’il créait un champ de mines autour de la maison. Pour les dernières scènes, celle-ci se transforme en patinoire, avec des miroirs au plafond qui permettent d’isoler les personnages dans des temps et des lieux différents, comme un split screen au cinéma. Le procédé transforme complètement l’espace de jeu et permet de créer une image très touchante à la toute fin de la pièce.
On navigue somme toute entre la vie dans ce qu’elle a de plus beau, de plus laid et de plus misérable et d’inquiétants fantasmes, qui la souillent et la magnifie tout à la fois. Ducharme et Dubois en ont fait leur spécialité et la rencontre des deux univers mérite qu’on s’y attarde, ne serait-ce que pour revisiter Ducharme, ici et maintenant.
D’après le scénario de Réjean Ducharme. Adaptation et mise en scène : Frédéric Dubois. Scénographie : Marie-Renée Bourget Harvey. Éclairages : Denis Guérette. Musique : Pascal Robitaille. Costumes : Virginie Leclerc. Vidéo : Louis-Robert Bouchard. Avec Érika Gagnon, Lise Castonguay, Nicolas Létourneau, Steven Lee Potvin, Vincent Roy, Nicola-Frank Vachon et Léa Deschamps (en alternance avec Clara-Ève Desmeules). Une coproduction du Théâtre des Fonds de Tiroirs et du Théâtre du Trident. Au Théâtre du Trident jusqu’au 26 novembre 2016.
Après s’être éclaté avec les pièces Le Cid Maghané, HA ha !… et Ines Pérée et Inat Tendu de Réjean Ducharme et avoir sublimé son roman Dévadé, Frédéric Dubois revisite Les bons débarras en insufflant un peu de théâtralité au film de 1979. Reste que ce sont les mots, lancés devant un ciel hurlant et des cordes de bois, qui atteignent le mieux leur cible.
Faire passer une histoire de l’écran à la scène exige de la traduire dans son nouveau langage sans que l’opération ne soit trop apparente. Les dialogues adaptés par Dubois passent bien le test. Ça sonne cru, ça sonne vrai, et les acteurs ont trouvé la manière de livrer avec force cet amalgame de phrases quotidiennes et de poésie vivante qui s’échange du tac au tac. Sous un manteau de révolte et de misère, l’amour est ce qui propulse et qui taraude les personnages de Ducharme, souvent pour le pire.
Dans Les bons débarras, l’amour intarissable d’une mère et celui, furieux, de sa fille, sont comme des vents contraires. Michelle, jouée avec beaucoup de vérité, de liberté et de douceur par Érika Gagnon, tente de tenir sa famille nouée. Chez Manon, l’amour grandit de manière plus trouble. Elle entre dans l’adolescence en étouffant Michelle de ses déclarations débordantes, en flirtant avec l’ex-amant rebelle de sa mère, en rejetant de toutes ses forces le policier trop normé et en déversant son fiel sur son oncle simple d’esprit et alcoolique. Elle rasera tout, détruira tout, laissant sa mère seule comme un arbre frêle dans une forêt décimée par une coupe à blanc.
Le rôle est loin d’être évident à jouer, surtout par une jeune actrice. Léa Deschamps s’en est sortie avec aplomb le soir de la première, balançant des répliques dures avec force et susurrant des mots doux et des mensonges avec une douceur convaincante. On aurait simplement ajouté un soupçon d’ambiguïté dans ses intentions ou dans celle de ses deux beaux-pères potentiels, pour répondre aux doutes semés par Érika Gagnon sur les intentions des hommes qui butinent autour d’elle.
D’un réalisme suspendu
Si l’éclairage avait mis davantage en évidence le visage des comédiens, déjà, peut-être que nous aurions reçu le drame avec un peu plus de force. Les acteurs semblaient bien loin, dans ce décor de brume où le vent, le ciel et les mots de Ducharme défilent sur un immense écran en arrière-scène tout au long de la pièce. La musique, qui semblait parfois jouée en direct à partir des coulisses, donnait heureusement l’impression de les pousser un peu plus près de nous.
Les costumes jaune moutarde, brun, vert forêt, bourgogne et quelques extraits de chanson évoquent les années 70, mais nous nous trouvons dans un réalisme suspendu, devant un espace de jeu dépouillé où le metteur en scène a refusé d’intégrer la table et les chaises qui auraient recréé l’éternelle cuisine des drames québécois. Nous sommes devant une maison sans murs et sans toit, où les personnages accèdent aux chambres en descendant par deux ouvertures, dans le plancher. Il n’y a qu’une caisse de bois et un livre, auquel Manon s’accroche ponctuellement durant la pièce.
Comme pour le langage, la mise en scène de Dubois nous fait passer de gestes très réalistes à des partis-pris plus imagés. Les nombreux déplacements en voiture deviennent des courses folles où le conducteur prend le passager sur son dos, comme un jeu ou comme un fardeau, ce qui est une belle trouvaille. Lorsque le frère et la sœur tentent à tour de rôle de décoincer leur camion et se poussant simplement dans le dos, ou lorsque Michelle fait une crevaison en se tenant la cheville, on reste toutefois dubitatif.
Au fil de la pièce, Ti-Guy (Nicola-Frank Vachon) sème les bouteilles de bière vides à intervalles réguliers comme s’il créait un champ de mines autour de la maison. Pour les dernières scènes, celle-ci se transforme en patinoire, avec des miroirs au plafond qui permettent d’isoler les personnages dans des temps et des lieux différents, comme un split screen au cinéma. Le procédé transforme complètement l’espace de jeu et permet de créer une image très touchante à la toute fin de la pièce.
On navigue somme toute entre la vie dans ce qu’elle a de plus beau, de plus laid et de plus misérable et d’inquiétants fantasmes, qui la souillent et la magnifie tout à la fois. Ducharme et Dubois en ont fait leur spécialité et la rencontre des deux univers mérite qu’on s’y attarde, ne serait-ce que pour revisiter Ducharme, ici et maintenant.
Les bons débarras
D’après le scénario de Réjean Ducharme. Adaptation et mise en scène : Frédéric Dubois. Scénographie : Marie-Renée Bourget Harvey. Éclairages : Denis Guérette. Musique : Pascal Robitaille. Costumes : Virginie Leclerc. Vidéo : Louis-Robert Bouchard. Avec Érika Gagnon, Lise Castonguay, Nicolas Létourneau, Steven Lee Potvin, Vincent Roy, Nicola-Frank Vachon et Léa Deschamps (en alternance avec Clara-Ève Desmeules). Une coproduction du Théâtre des Fonds de Tiroirs et du Théâtre du Trident. Au Théâtre du Trident jusqu’au 26 novembre 2016.