D’aucuns pourraient hésiter à assister au tout dernier opus des Éternels Pigistes étant donné la pénible Mort des Éternels que la compagnie nous a proposée au printemps dernier et qui débutait de fâcheuse façon les festivités de son vingtième anniversaire. Pourtant, ce serait faire preuve d’une bien mauvaise foi que d’oublier, d’une part, les 19 premières années de création de la troupe à qui l’on doit, parmi d’autres succès, Mille Feuilles et Quelques humains et, d’autre part, les précédents textes portant la griffe acérée de Christian Bégin, qui signe Pourquoi tu pleures…? à la suite d’une résidence d’écriture offerte par le Théâtre du Nouveau Monde.
En attendant qu’une telle résidence soit offerte à une dramaturge – ce qui pourrait contribuer à contrer la disparité attribuée au moins grand nombre d’auteures trouvées dans le théâtre de répertoire –, c’est avec un vif plaisir que l’on savoure l’allégorie politique élaborée par l’auteur de Pi…?! et d’Après moi. L’anecdote de départ est la suivante: un patriarche à la moralité d’une flexibilité circassienne laisse derrière lui un testament délibérément litigieux puisque son épouse et ses quatre enfants devront se diviser 5 millions de dollars en fonction de leurs besoins respectifs. Quelque imaginative que soit cette prémisse, le faux suspense qu’elle génère serait sans doute qualifié, fussions-nous au cinéma de MacGuffin tant il est accessoire au réel enjeu de la pièce. Celui-ci consiste plutôt en la démonstration, en six cas de figure, des raisons pour lesquels ni individus, ni sociétés ne changent le monde actuel qu’ils savent pourtant fort imparfait.
Il y a d’abord la mère (Sophie Clément), qui s’accroche au déni comme à une bouée de sauvetage, Roger (Pier Paquette), l’aîné, homosexuel prostré dans une insécurité pusillanime, Manon (Marie Charlebois), qui se donne bonne conscience en œuvrant dans le milieu communautaire et en vivant modestement, France (Isabelle Vincent), son opposée, obnubilée par son insatiable quête de reconnaissance passant par une carrière prestigieuse et une coquetterie outrancière, puis Guillaume (Christian Bégin) politicien désabusé, hargneux, si engoncé dans sa haine de lui-même et de l’humanité qu’il n’arrive pas à s’en servir pour initier quelque changement que ce soit. Enfin, il y a le père (Pierre Curzi), entrepreneur véreux sans l’ombre d’un remord. Notons que tous ces colorés protagonistes sont impeccablement campés par des comédiens au sommet de leur art.
Néanmoins, si l’on veut bien admettre que la répartition des tares les plus abominables puisse être aussi inégale que celle des richesses entre les humains, il apparaît tout de même quelque peu excessif qu’un seul personnage cumule une cupidité exacerbée, la pédophilie, la bigamie et le mépris le plus crasse envers autrui. Autre maladresse: les tirades attribuées à plusieurs des membres de la famille, destinées à faire prendre conscience à l’auditoire de la superficialité et de l’égoïsme de chacun d’eux. Un peu plus de subtilité aurait servi cette satire qui s’avère tout de même jouissive à plus d’un égard.
Mieux vaut en rire
Le texte acerbe de Bégin, sculpté au scalpel et poli au fiel, offre des phrases d’un humour cynique irrésistible telles «On est une belle famille: on n’est pas plus fuckés que la moyenne» ou cette autre énoncé qui assimile les acteurs de la sphère politique à «une gang de bandits qui se valorisent en se méprisant». Qui plus est, le fait que tous pardonnent à Guillaume, politicien au charme débonnaire et au bagou assorti, d’avoir vendu des armes en Afrique sous couvert d’être allé y marchander de nouvelles technologies rappelle si sinistrement la réalité qu’on ne sait plus s’il faut en rire ou en pleurer.
La mise en scène à la fois réaliste et, jusqu’à un certain point, symboliste de Marie Charlebois recèle aussi quelques coups de génie. C’est le cas de cette descente solennelle d’un cochonnet embroché, qui, partant du plafond et se dirigeant vers le barbecue extérieur d’une luxueuse cours arrière, apparaît tel un véritable deus ex machina au sens propre de même qu’au sens figuré du terme puisque la mère s’en remet ici à cette vertu quasi magique qu’ont souvent les plaisirs des sens d’évacuer toute préoccupation qui ne serait pas de nature hédoniste. Une stérile fuite vers l’avant collective que dénonce, dans un délicieux paradoxe, l’animateur de l’émission Curieux Bégin.
Autre effet de mise en scène réussi, les premières et dernières répliques de la pièce sont livrées sans geste, les interprètes étant rassemblés, immobiles, comme un chœur grec… ou comme une flotte de robots programmés à agir d’une certaine façon et à émettre certains commentaires dans certaines circonstances, sans plus d’âme que de sincérité. Il s’agit là d’un des nombreux moments qui font de Pourquoi tu pleures…? une comédie pamphlétaire aussi troublante que truculente.
Texte: Christian Bégin. Mise en scène: Marie Charlebois. Scénographie: Max-Otto Fauteux. Costumes: Elen Ewing. Éclairages: Martin Labrecque. Musique: Philippe Brault. Maquillages et coiffures: Angelo Barsetti. Avec Christian Bégin, Marie Charlebois, Pier Paquette, Isabelle Vincent, Sophie Clément et Pierre Curzi. Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 10 décembre 2016. En tournée du 20 janvier au 7 février 2017. En tournée du 27 janvier au 28 avril 2018.
D’aucuns pourraient hésiter à assister au tout dernier opus des Éternels Pigistes étant donné la pénible Mort des Éternels que la compagnie nous a proposée au printemps dernier et qui débutait de fâcheuse façon les festivités de son vingtième anniversaire. Pourtant, ce serait faire preuve d’une bien mauvaise foi que d’oublier, d’une part, les 19 premières années de création de la troupe à qui l’on doit, parmi d’autres succès, Mille Feuilles et Quelques humains et, d’autre part, les précédents textes portant la griffe acérée de Christian Bégin, qui signe Pourquoi tu pleures…? à la suite d’une résidence d’écriture offerte par le Théâtre du Nouveau Monde.
En attendant qu’une telle résidence soit offerte à une dramaturge – ce qui pourrait contribuer à contrer la disparité attribuée au moins grand nombre d’auteures trouvées dans le théâtre de répertoire –, c’est avec un vif plaisir que l’on savoure l’allégorie politique élaborée par l’auteur de Pi…?! et d’Après moi. L’anecdote de départ est la suivante: un patriarche à la moralité d’une flexibilité circassienne laisse derrière lui un testament délibérément litigieux puisque son épouse et ses quatre enfants devront se diviser 5 millions de dollars en fonction de leurs besoins respectifs. Quelque imaginative que soit cette prémisse, le faux suspense qu’elle génère serait sans doute qualifié, fussions-nous au cinéma de MacGuffin tant il est accessoire au réel enjeu de la pièce. Celui-ci consiste plutôt en la démonstration, en six cas de figure, des raisons pour lesquels ni individus, ni sociétés ne changent le monde actuel qu’ils savent pourtant fort imparfait.
Il y a d’abord la mère (Sophie Clément), qui s’accroche au déni comme à une bouée de sauvetage, Roger (Pier Paquette), l’aîné, homosexuel prostré dans une insécurité pusillanime, Manon (Marie Charlebois), qui se donne bonne conscience en œuvrant dans le milieu communautaire et en vivant modestement, France (Isabelle Vincent), son opposée, obnubilée par son insatiable quête de reconnaissance passant par une carrière prestigieuse et une coquetterie outrancière, puis Guillaume (Christian Bégin) politicien désabusé, hargneux, si engoncé dans sa haine de lui-même et de l’humanité qu’il n’arrive pas à s’en servir pour initier quelque changement que ce soit. Enfin, il y a le père (Pierre Curzi), entrepreneur véreux sans l’ombre d’un remord. Notons que tous ces colorés protagonistes sont impeccablement campés par des comédiens au sommet de leur art.
Néanmoins, si l’on veut bien admettre que la répartition des tares les plus abominables puisse être aussi inégale que celle des richesses entre les humains, il apparaît tout de même quelque peu excessif qu’un seul personnage cumule une cupidité exacerbée, la pédophilie, la bigamie et le mépris le plus crasse envers autrui. Autre maladresse: les tirades attribuées à plusieurs des membres de la famille, destinées à faire prendre conscience à l’auditoire de la superficialité et de l’égoïsme de chacun d’eux. Un peu plus de subtilité aurait servi cette satire qui s’avère tout de même jouissive à plus d’un égard.
Mieux vaut en rire
Le texte acerbe de Bégin, sculpté au scalpel et poli au fiel, offre des phrases d’un humour cynique irrésistible telles «On est une belle famille: on n’est pas plus fuckés que la moyenne» ou cette autre énoncé qui assimile les acteurs de la sphère politique à «une gang de bandits qui se valorisent en se méprisant». Qui plus est, le fait que tous pardonnent à Guillaume, politicien au charme débonnaire et au bagou assorti, d’avoir vendu des armes en Afrique sous couvert d’être allé y marchander de nouvelles technologies rappelle si sinistrement la réalité qu’on ne sait plus s’il faut en rire ou en pleurer.
La mise en scène à la fois réaliste et, jusqu’à un certain point, symboliste de Marie Charlebois recèle aussi quelques coups de génie. C’est le cas de cette descente solennelle d’un cochonnet embroché, qui, partant du plafond et se dirigeant vers le barbecue extérieur d’une luxueuse cours arrière, apparaît tel un véritable deus ex machina au sens propre de même qu’au sens figuré du terme puisque la mère s’en remet ici à cette vertu quasi magique qu’ont souvent les plaisirs des sens d’évacuer toute préoccupation qui ne serait pas de nature hédoniste. Une stérile fuite vers l’avant collective que dénonce, dans un délicieux paradoxe, l’animateur de l’émission Curieux Bégin.
Autre effet de mise en scène réussi, les premières et dernières répliques de la pièce sont livrées sans geste, les interprètes étant rassemblés, immobiles, comme un chœur grec… ou comme une flotte de robots programmés à agir d’une certaine façon et à émettre certains commentaires dans certaines circonstances, sans plus d’âme que de sincérité. Il s’agit là d’un des nombreux moments qui font de Pourquoi tu pleures…? une comédie pamphlétaire aussi troublante que truculente.
Pourquoi tu pleures…?
Texte: Christian Bégin. Mise en scène: Marie Charlebois. Scénographie: Max-Otto Fauteux. Costumes: Elen Ewing. Éclairages: Martin Labrecque. Musique: Philippe Brault. Maquillages et coiffures: Angelo Barsetti. Avec Christian Bégin, Marie Charlebois, Pier Paquette, Isabelle Vincent, Sophie Clément et Pierre Curzi. Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 10 décembre 2016. En tournée du 20 janvier au 7 février 2017. En tournée du 27 janvier au 28 avril 2018.