Écrite en 1938 en pleine montée du nazisme, alors que Bertolt Brecht vit en exil, La Bonne âme du Se-Tchouan ne fait pas partie du répertoire de théâtre musical tel L’Opéra de quat’sous ou Mahagonny dont la musique était signée par Kurt Weill. Cependant, la metteure en scène Lorraine Pintal, familière avec le théâtre du dramaturge allemand qui a enflammé toute une génération de jeunes assoiffés de révolution, dont elle faisait partie, en a tiré une fable musicale bien en phase avec son époque.
Pintal s’est permis plusieurs libertés face au texte afin de l’alléger et de l’actualiser. Parmi les changements les plus importants, notons l’insertion de chansons, dans le pur esprit des cabarets allemands, la fusion de trois dieux en un et l’ajout d’un maître de cérémonie à la gestuelle expressionniste, brillamment incarné par Daniel Parent et présent dans la salle dès l’entrée des spectateurs.
À l’ouverture du rideau, nous sommes d’emblée frappé par un chœur tout de rouge vêtu qui scande en s’avançant un chant aux accents nettement influencés par Weill. Le ton est donné : épique et spectaculaire.
La Bonne âme du Se-Tchouan raconte l’histoire d’une prostituée, Shen Té, dans une Chine fictive. Malgré sa pauvreté, elle est la seule de sa ville qui a la bonté d’accueillir un dieu en visite sur terre. Pour la récompenser, le dieu lui offre suffisamment d’argent pour qu’elle puisse s’acheter un petit débit de tabac et sortir de sa condition déshonorante. Il reviendra régulièrement s’enquérir auprès de Wang (Benoit Landry), le porteur d’eau, des actions de Shen Té. Serait-elle l’une des dernières bonnes personnes dans cette ville? A-t-il lieu d’espérer qu’elle le restera toujours malgré les épreuves que lui font subir son entourage?
Divertir et réfléchir
Il y a toujours, dans le théâtre de Brecht la volonté d’éveiller les consciences. Grâce à des procédés de distanciation, il place les spectateurs dans la position d’observateur critique au lieu de le bercer dans l’illusion du théâtre. Mais on ne doit pas pour autant oublier le divertissement et c’est dans cette optique que Lorraine Pintal a orienté son spectacle, à commencer par la présence constante de l’excellente musique de Philippe Brault qui va de la rudesse germanique à la fragilité asiatique. Brault était assurément un choix avisé : directeur musical sur Le Chant de Sainte-Carmen-de-la-Main au TNM en 2013, il a collaboré comme compositeur, arrangeur ou directeur avec, entre autres Pierre Lapointe et Koriass en passant par Daniel Bélanger et Dear Criminals.
Les chorégraphies mécaniques et désarticulés des chœurs sont de Jocelyne Montpetit. Mieux connue pour son œuvre aux inspirations buto, cette « danse de ténèbres » d’origine nippone, Montpetit a dirigé les interprètes vers une sensibilité orientale dans l’ensemble de leurs mouvements.
La distribution a été choisie en grande partie en fonction des qualités de chanteurs des interprètes : Louise Forestier, France Castel, solide comme un roc, Jean Maheux, dont on se souvient de la grandeur de son Quichotte dans L’Homme de la Mancha et bien sûr, Isabelle Blais, resplendissante dans le double rôle de Shen Té et Shui Ta. Elle est parfaite dans ce mélange de force et de fragilité, elle illumine tout le plateau. Soulignons également l’interprétation d’Émile Proulx-Cloutier dans le rôle de Yang Sun, l’amoureux de Shen Té. Très crédible en salaud, il démontre dans les parties chantées un aplomb qui témoigne de son expérience de la scène. Et l’élément le plus divertissant de cette pièce est sans contredit le barbier Shu Fu, qu’on dirait tout droit sorti de La Ribouldingue, interprété par Bruno Marcil.
Qui a dit que le théâtre de Brecht était austère et hermétique?
Texte : Bertolt Brecht. Texte français : Normand Canac-Marquis. Mise en scène : Lorraine Pintal. Décor : Danièle Lévesque. Costumes : Marc Senécal. Éclairages : Erwann Bernard. Conception vidéo : Lionel Arnould. Chorégraphies : Jocelyne Montpetit. Maquillages : Jacques-Lee Pelletier. Perruques : Rachel Tremblay. Avec Isabelle Blais, France Castel, Vincent Fafard, Louise Forestier, Benoit Landry, Jean Maheux, Jean Marchand, Bruno Marcil, Pascale Montreuil, Daniel Parent, Marie-Ève Pelletier, Émile Proulx-Cloutier, Sylvain Scott, Linda Sorgini et Marie Tifo. Musiciens : Philippe Brault, Guido Del Fabbro, Josianne Hébert et Benoît Rocheleau. Une production du Théâtre du Nouveau Monde, présentée jusqu’au 11 février 2017.
Écrite en 1938 en pleine montée du nazisme, alors que Bertolt Brecht vit en exil, La Bonne âme du Se-Tchouan ne fait pas partie du répertoire de théâtre musical tel L’Opéra de quat’sous ou Mahagonny dont la musique était signée par Kurt Weill. Cependant, la metteure en scène Lorraine Pintal, familière avec le théâtre du dramaturge allemand qui a enflammé toute une génération de jeunes assoiffés de révolution, dont elle faisait partie, en a tiré une fable musicale bien en phase avec son époque.
Pintal s’est permis plusieurs libertés face au texte afin de l’alléger et de l’actualiser. Parmi les changements les plus importants, notons l’insertion de chansons, dans le pur esprit des cabarets allemands, la fusion de trois dieux en un et l’ajout d’un maître de cérémonie à la gestuelle expressionniste, brillamment incarné par Daniel Parent et présent dans la salle dès l’entrée des spectateurs.
À l’ouverture du rideau, nous sommes d’emblée frappé par un chœur tout de rouge vêtu qui scande en s’avançant un chant aux accents nettement influencés par Weill. Le ton est donné : épique et spectaculaire.
La Bonne âme du Se-Tchouan raconte l’histoire d’une prostituée, Shen Té, dans une Chine fictive. Malgré sa pauvreté, elle est la seule de sa ville qui a la bonté d’accueillir un dieu en visite sur terre. Pour la récompenser, le dieu lui offre suffisamment d’argent pour qu’elle puisse s’acheter un petit débit de tabac et sortir de sa condition déshonorante. Il reviendra régulièrement s’enquérir auprès de Wang (Benoit Landry), le porteur d’eau, des actions de Shen Té. Serait-elle l’une des dernières bonnes personnes dans cette ville? A-t-il lieu d’espérer qu’elle le restera toujours malgré les épreuves que lui font subir son entourage?
Divertir et réfléchir
Il y a toujours, dans le théâtre de Brecht la volonté d’éveiller les consciences. Grâce à des procédés de distanciation, il place les spectateurs dans la position d’observateur critique au lieu de le bercer dans l’illusion du théâtre. Mais on ne doit pas pour autant oublier le divertissement et c’est dans cette optique que Lorraine Pintal a orienté son spectacle, à commencer par la présence constante de l’excellente musique de Philippe Brault qui va de la rudesse germanique à la fragilité asiatique. Brault était assurément un choix avisé : directeur musical sur Le Chant de Sainte-Carmen-de-la-Main au TNM en 2013, il a collaboré comme compositeur, arrangeur ou directeur avec, entre autres Pierre Lapointe et Koriass en passant par Daniel Bélanger et Dear Criminals.
Les chorégraphies mécaniques et désarticulés des chœurs sont de Jocelyne Montpetit. Mieux connue pour son œuvre aux inspirations buto, cette « danse de ténèbres » d’origine nippone, Montpetit a dirigé les interprètes vers une sensibilité orientale dans l’ensemble de leurs mouvements.
La distribution a été choisie en grande partie en fonction des qualités de chanteurs des interprètes : Louise Forestier, France Castel, solide comme un roc, Jean Maheux, dont on se souvient de la grandeur de son Quichotte dans L’Homme de la Mancha et bien sûr, Isabelle Blais, resplendissante dans le double rôle de Shen Té et Shui Ta. Elle est parfaite dans ce mélange de force et de fragilité, elle illumine tout le plateau. Soulignons également l’interprétation d’Émile Proulx-Cloutier dans le rôle de Yang Sun, l’amoureux de Shen Té. Très crédible en salaud, il démontre dans les parties chantées un aplomb qui témoigne de son expérience de la scène. Et l’élément le plus divertissant de cette pièce est sans contredit le barbier Shu Fu, qu’on dirait tout droit sorti de La Ribouldingue, interprété par Bruno Marcil.
Qui a dit que le théâtre de Brecht était austère et hermétique?
La Bonne âme du Se-Tchouan
Texte : Bertolt Brecht. Texte français : Normand Canac-Marquis. Mise en scène : Lorraine Pintal. Décor : Danièle Lévesque. Costumes : Marc Senécal. Éclairages : Erwann Bernard. Conception vidéo : Lionel Arnould. Chorégraphies : Jocelyne Montpetit. Maquillages : Jacques-Lee Pelletier. Perruques : Rachel Tremblay. Avec Isabelle Blais, France Castel, Vincent Fafard, Louise Forestier, Benoit Landry, Jean Maheux, Jean Marchand, Bruno Marcil, Pascale Montreuil, Daniel Parent, Marie-Ève Pelletier, Émile Proulx-Cloutier, Sylvain Scott, Linda Sorgini et Marie Tifo. Musiciens : Philippe Brault, Guido Del Fabbro, Josianne Hébert et Benoît Rocheleau. Une production du Théâtre du Nouveau Monde, présentée jusqu’au 11 février 2017.