Pas surprenant qu’Anne Le Beau ait souhaité collaborer avec Dave St-Pierre. On connaît l’énergie brute de la danseuse, son style féroce, précis, mais sans retenue, sans censure. Dans Ta douleur, sous la direction de Brigitte Haentjens, en tandem avec le tout aussi ardent Francis Ducharme, elle était plus grande que nature, bouleversante. C’est autour de la figure de Jeanne d’Arc que la fabuleuse interprète et l’enfant terrible de la danse contemporaine québécoise ont choisi de croiser le fer. Sur scène avec Le Beau : Bernard Martin et Hubert Proulx.
Ce qui étonne, par contre, c’est de retrouver le fruit de cette rencontre sous la bannière de Danse Danse, un diffuseur dont la programmation, quoique de haute tenue, s’aventure rarement du côté de la transgression. Soyons clairs, présenté à la Chapelle, ou même à l’occasion du Festival TransAmériques, Suie n’aurait jamais soulevé les passions comme il le fait actuellement. Certains critiques crient à la supercherie. D’autres ne trouvent pas de sens à l’objet. Plusieurs ont été gagnés par l’ennui. Danse Danse est même allé jusqu’à écrire à ses abonnés pour leur proposer d’échanger leur billet pour un autre spectacle! Sur Facebook, par contre, il faut le dire, le chorégraphe reçoit de nombreux témoignages positifs.
Provocation ou subversion?
Alors qu’on parle de provocation (« acte par lequel on cherche à provoquer une réaction violente »), il s’agit plutôt de subversion (« processus par lequel les valeurs d’un système en place sont contredites ou renversées »). Dave St-Pierre veut se réinventer. « Fucker le chien », écrit-il dans son mot aux spectateurs. Il souhaite aussi qu’on change notre manière de nommer les œuvres, qu’on s’affranchisse des « superlatifs incongrus ». Difficile d’être en désaccord avec ça. Après tout, bousculer les conventions, celles de sa société et celles de son art, ici la danse contemporaine, n’est-ce pas la fonction même de l’artiste ? Sachez qu’on trouve tout de même dans Suie cet humour (grinçant à souhait) et cette gestuelle (notamment les portés, mais aussi les glissements et les chutes au sol) qui ont fait la renommée du chorégraphe.
Comme ses maîtres, Jan Fabre et Romeo Castellucci, Dave St-Pierre explore les tabous liés au corps (sexe, sang, urine, nudité, genre, lacérations, vieillissement, religion, etc.). Il invite sur scène un chien et un enfant, des présences toujours troublantes. Il soumet le spectateur à une épreuve, autrement dit au contraire de ce divertissement que notre époque a érigé en dogme. « Suie est ton acouphène », écrit le chorégraphe. L’agression est principalement sonore (des bouchons sont remis à l’entrée), mais elle pourrait aussi être suscitée par la lenteur de la représentation et le caractère répétitif des actions accomplies, notamment avec le prélart et la machine distributrice de Pepsi. En ce sens, les amateurs de performance risquent peu d’être déstabilisés par la pièce.
Horizon d’attente
Plus que tout, la rupture naît de ce que l’horizon d’attente du spectateur est loin d’être rencontré, pour ne pas dire contredit. Le plus grand choc, c’est celui qui se produit entre ce qui est espéré, prévu, escompté, et ce qui est offert par l’artiste (ou imposé, estimeront certains) dans une salle dont le public est pour ainsi dire prisonnier pendant 1 h 40. Où est la danse ? Où est la musique ? Où est la beauté des corps ? Voilà des questions qui pourraient en tarauder plusieurs. Redisons-le : si l’expérience est parfois pénible, il ne s’agit pas pour autant d’un geste de provocation gratuite. Donnons un peu plus de crédit à un créateur qui poursuit depuis près de 15 ans une démarche authentique et célébrée dans le monde.
Mais qu’en est-il de Jeanne d’Arc ? À vrai dire, s’il fallait trouver un fil rouge dans cette suite de tableaux épars, un lien entre les pièces du puzzle, ce serait sans nul doute les allusions au mythe de la Pucelle d’Orléans dont la représentation est parsemée. De l’armure à l’auréole en passant par le bûcher, la quête de Jeanne est toujours là en filigrane, appuyée par les percutantes projections vidéo d’Alex Huot. On évoque sa force et sa faiblesse, son acharnement et sa soumission, sa canonisation et son instrumentalisation, sa condamnation et sa mise en terre. C’est sale et douloureux, souvent brouillon, mais terriblement vivant.
Chorégraphie : Dave St-Pierre. Composition musicale : Stéfan Boucher. Conception des éclairages : Hubert Leduc. Vidéo : Alex Huot. Scénographie et costumes : Dave St-Pierre. Avec Anne Le Beau, Bernard Martin et Hubert Proulx. Une production de Anne Le Beau et de la Compagnie Dave St-Pierre inc. présentée par Danse Danse. À la Cinquième salle de la Place des Arts jusqu’au 11 février 2017.
Pas surprenant qu’Anne Le Beau ait souhaité collaborer avec Dave St-Pierre. On connaît l’énergie brute de la danseuse, son style féroce, précis, mais sans retenue, sans censure. Dans Ta douleur, sous la direction de Brigitte Haentjens, en tandem avec le tout aussi ardent Francis Ducharme, elle était plus grande que nature, bouleversante. C’est autour de la figure de Jeanne d’Arc que la fabuleuse interprète et l’enfant terrible de la danse contemporaine québécoise ont choisi de croiser le fer. Sur scène avec Le Beau : Bernard Martin et Hubert Proulx.
Ce qui étonne, par contre, c’est de retrouver le fruit de cette rencontre sous la bannière de Danse Danse, un diffuseur dont la programmation, quoique de haute tenue, s’aventure rarement du côté de la transgression. Soyons clairs, présenté à la Chapelle, ou même à l’occasion du Festival TransAmériques, Suie n’aurait jamais soulevé les passions comme il le fait actuellement. Certains critiques crient à la supercherie. D’autres ne trouvent pas de sens à l’objet. Plusieurs ont été gagnés par l’ennui. Danse Danse est même allé jusqu’à écrire à ses abonnés pour leur proposer d’échanger leur billet pour un autre spectacle! Sur Facebook, par contre, il faut le dire, le chorégraphe reçoit de nombreux témoignages positifs.
Provocation ou subversion?
Alors qu’on parle de provocation (« acte par lequel on cherche à provoquer une réaction violente »), il s’agit plutôt de subversion (« processus par lequel les valeurs d’un système en place sont contredites ou renversées »). Dave St-Pierre veut se réinventer. « Fucker le chien », écrit-il dans son mot aux spectateurs. Il souhaite aussi qu’on change notre manière de nommer les œuvres, qu’on s’affranchisse des « superlatifs incongrus ». Difficile d’être en désaccord avec ça. Après tout, bousculer les conventions, celles de sa société et celles de son art, ici la danse contemporaine, n’est-ce pas la fonction même de l’artiste ? Sachez qu’on trouve tout de même dans Suie cet humour (grinçant à souhait) et cette gestuelle (notamment les portés, mais aussi les glissements et les chutes au sol) qui ont fait la renommée du chorégraphe.
Comme ses maîtres, Jan Fabre et Romeo Castellucci, Dave St-Pierre explore les tabous liés au corps (sexe, sang, urine, nudité, genre, lacérations, vieillissement, religion, etc.). Il invite sur scène un chien et un enfant, des présences toujours troublantes. Il soumet le spectateur à une épreuve, autrement dit au contraire de ce divertissement que notre époque a érigé en dogme. « Suie est ton acouphène », écrit le chorégraphe. L’agression est principalement sonore (des bouchons sont remis à l’entrée), mais elle pourrait aussi être suscitée par la lenteur de la représentation et le caractère répétitif des actions accomplies, notamment avec le prélart et la machine distributrice de Pepsi. En ce sens, les amateurs de performance risquent peu d’être déstabilisés par la pièce.
Horizon d’attente
Plus que tout, la rupture naît de ce que l’horizon d’attente du spectateur est loin d’être rencontré, pour ne pas dire contredit. Le plus grand choc, c’est celui qui se produit entre ce qui est espéré, prévu, escompté, et ce qui est offert par l’artiste (ou imposé, estimeront certains) dans une salle dont le public est pour ainsi dire prisonnier pendant 1 h 40. Où est la danse ? Où est la musique ? Où est la beauté des corps ? Voilà des questions qui pourraient en tarauder plusieurs. Redisons-le : si l’expérience est parfois pénible, il ne s’agit pas pour autant d’un geste de provocation gratuite. Donnons un peu plus de crédit à un créateur qui poursuit depuis près de 15 ans une démarche authentique et célébrée dans le monde.
Mais qu’en est-il de Jeanne d’Arc ? À vrai dire, s’il fallait trouver un fil rouge dans cette suite de tableaux épars, un lien entre les pièces du puzzle, ce serait sans nul doute les allusions au mythe de la Pucelle d’Orléans dont la représentation est parsemée. De l’armure à l’auréole en passant par le bûcher, la quête de Jeanne est toujours là en filigrane, appuyée par les percutantes projections vidéo d’Alex Huot. On évoque sa force et sa faiblesse, son acharnement et sa soumission, sa canonisation et son instrumentalisation, sa condamnation et sa mise en terre. C’est sale et douloureux, souvent brouillon, mais terriblement vivant.
Suie
Chorégraphie : Dave St-Pierre. Composition musicale : Stéfan Boucher. Conception des éclairages : Hubert Leduc. Vidéo : Alex Huot. Scénographie et costumes : Dave St-Pierre. Avec Anne Le Beau, Bernard Martin et Hubert Proulx. Une production de Anne Le Beau et de la Compagnie Dave St-Pierre inc. présentée par Danse Danse. À la Cinquième salle de la Place des Arts jusqu’au 11 février 2017.