La scène est aussi nue que l’esprit réduit des jeunes nationalistes «purs» qui viennent y tuer le temps. C’est ici que se forge une camaraderie virile entre alcool et violence latente. Arguments facétieux, eugénisme affirmé, identité raciale mise à mal toutefois par les impuretés malencontreuses qui se glissent dans cette caste aryenne: la fille a les yeux bruns, le jeune Ismaël est fils de musulman, mais bon, il y a au-delà des principes généraux une sorte de réalisme fataliste où la condition sociale vient compléter le tableau.
Les trois jeunes se réunissent dans une clairière pour fêter la fin des classes et leur nouvelle liberté. Au-delà des clichés sur la valeur absolue d’une race blanche et pure, il y a aussi une ressemblance qui vient du milieu social. Ils partagent en effet une même enfance dans des familles d’accueil, l’absence marquée d’un père ou d’une mère, la misère économique, bref un environnement misérable qui alimente un profond sentiment d’injustice. Cette misère qui est une exclusion du monde.
Tiré d’un fait divers de 1995, Froid nous emporte dans la violence quotidienne, celle qui rôde en chaque instant et ne demande qu’une conjoncture précise pour éclater. La tension, palpable dès le prologue, se gorge d’un milieu familial amputé et dysfonctionnel, de soulerie à la bière bon marché, de saucisses mauvaises, de menace à peine voilée, de sexe, et s’amplifie jusqu’à l’assassinat. Olivier Lépine choisit le dépouillement de la scène et la puissance du texte comme outils d’ébranlement. Pièce coup de poing qu’incarnent avec puissance et complicité les quatre jeunes comédiens. Le drame annoncé d’entrée de jeu se déploie dans une mécanique implacable laissant le public abasourdi par une telle violence.
Une parole essentielle
Malgré les événements récents de la Grande mosquée de Québec, la nouvelle troupe La brute qui pleure a décidé de présenter quand même ce spectacle (contrairement à la Maison de la littérature qui dans le même contexte a annulé une discussion sur la diaspora arabe où devait parler Djemila Benhabib). Prise de parole essentielle, Froid en appelle à une réflexion collective sur les ravages de l’intolérance, du racisme, de la montée du fascisme et de l’extrême droite. Repli sur soi, eugénisme positif, prosélytisme religieux ou racial, cette pièce de Lars Norén créée en 2004 demeure d’une actualité criante. Un débat suivra d’ailleurs la représentation du 16 février, avec Webster comme modérateur.
L’approche réaliste, la confrontation des corps, les coups portés et retenus, le discours ambigu sur la liberté pour laquelle il faut être prêt à mourir, le désir de mort, autant de signes clairs annonçant la tragédie. Dans ce jeu entre tension et détente, les quatre comédiens portent avec brio la marche inexorable de la haine, mêlée de dérision, jusqu’au passage à l’acte, terrifiant de véracité. Et c’est Karl, le jeune Coréen adopté par une famille suédoise, porté ici par un Olivier Arteau criant de retenue sous la menace sourde dans laquelle il est piégé, qui subira cette violence.
Remarquable finale où chacun prend la mesure de son acte. Ismaël (Dayne Simard, veule et complaisant, jouant à fond le jeu du déni de soi pour être intégré à tout prix) terrassé par le désarroi, Keith (David Bouchard, sur la ligne instable entre violence brute et parole de conviction) confirmant sa posture idéologique, et surtout Anders (Ariane Bellavance-Fafard, troublante d’un érotisme empreint de sadisme) qui exprime l’extase que procure l’assassinat. Il faut aller voir Froid, un spectacle brutal dont on ne sort pas indemne, qui a le mérite de s’inscrire dans les dérives sociopolitiques de notre époque.
Texte: Lars Norén. Traduction: Katrin Ahlgren, avec la collaboration d’Amélie Wendling. Mise en scène et éclairages: Olivier Lépine. Scénographie: Claudelle Houde-Labrecque. Chorégraphie des combats: Alexander Peganov. Avec Olivier Arteau, Ariane Bellavance-Fafard, David Bouchard et Dayne Simard. Une production de La brute qui pleure. À Premier Acte jusqu’au 4 mars 2017. Dans la salle intime du Théâtre Prospero du 17 octobre au 4 novembre 2017.
La scène est aussi nue que l’esprit réduit des jeunes nationalistes «purs» qui viennent y tuer le temps. C’est ici que se forge une camaraderie virile entre alcool et violence latente. Arguments facétieux, eugénisme affirmé, identité raciale mise à mal toutefois par les impuretés malencontreuses qui se glissent dans cette caste aryenne: la fille a les yeux bruns, le jeune Ismaël est fils de musulman, mais bon, il y a au-delà des principes généraux une sorte de réalisme fataliste où la condition sociale vient compléter le tableau.
Les trois jeunes se réunissent dans une clairière pour fêter la fin des classes et leur nouvelle liberté. Au-delà des clichés sur la valeur absolue d’une race blanche et pure, il y a aussi une ressemblance qui vient du milieu social. Ils partagent en effet une même enfance dans des familles d’accueil, l’absence marquée d’un père ou d’une mère, la misère économique, bref un environnement misérable qui alimente un profond sentiment d’injustice. Cette misère qui est une exclusion du monde.
Tiré d’un fait divers de 1995, Froid nous emporte dans la violence quotidienne, celle qui rôde en chaque instant et ne demande qu’une conjoncture précise pour éclater. La tension, palpable dès le prologue, se gorge d’un milieu familial amputé et dysfonctionnel, de soulerie à la bière bon marché, de saucisses mauvaises, de menace à peine voilée, de sexe, et s’amplifie jusqu’à l’assassinat. Olivier Lépine choisit le dépouillement de la scène et la puissance du texte comme outils d’ébranlement. Pièce coup de poing qu’incarnent avec puissance et complicité les quatre jeunes comédiens. Le drame annoncé d’entrée de jeu se déploie dans une mécanique implacable laissant le public abasourdi par une telle violence.
Une parole essentielle
Malgré les événements récents de la Grande mosquée de Québec, la nouvelle troupe La brute qui pleure a décidé de présenter quand même ce spectacle (contrairement à la Maison de la littérature qui dans le même contexte a annulé une discussion sur la diaspora arabe où devait parler Djemila Benhabib). Prise de parole essentielle, Froid en appelle à une réflexion collective sur les ravages de l’intolérance, du racisme, de la montée du fascisme et de l’extrême droite. Repli sur soi, eugénisme positif, prosélytisme religieux ou racial, cette pièce de Lars Norén créée en 2004 demeure d’une actualité criante. Un débat suivra d’ailleurs la représentation du 16 février, avec Webster comme modérateur.
L’approche réaliste, la confrontation des corps, les coups portés et retenus, le discours ambigu sur la liberté pour laquelle il faut être prêt à mourir, le désir de mort, autant de signes clairs annonçant la tragédie. Dans ce jeu entre tension et détente, les quatre comédiens portent avec brio la marche inexorable de la haine, mêlée de dérision, jusqu’au passage à l’acte, terrifiant de véracité. Et c’est Karl, le jeune Coréen adopté par une famille suédoise, porté ici par un Olivier Arteau criant de retenue sous la menace sourde dans laquelle il est piégé, qui subira cette violence.
Remarquable finale où chacun prend la mesure de son acte. Ismaël (Dayne Simard, veule et complaisant, jouant à fond le jeu du déni de soi pour être intégré à tout prix) terrassé par le désarroi, Keith (David Bouchard, sur la ligne instable entre violence brute et parole de conviction) confirmant sa posture idéologique, et surtout Anders (Ariane Bellavance-Fafard, troublante d’un érotisme empreint de sadisme) qui exprime l’extase que procure l’assassinat. Il faut aller voir Froid, un spectacle brutal dont on ne sort pas indemne, qui a le mérite de s’inscrire dans les dérives sociopolitiques de notre époque.
Froid
Texte: Lars Norén. Traduction: Katrin Ahlgren, avec la collaboration d’Amélie Wendling. Mise en scène et éclairages: Olivier Lépine. Scénographie: Claudelle Houde-Labrecque. Chorégraphie des combats: Alexander Peganov. Avec Olivier Arteau, Ariane Bellavance-Fafard, David Bouchard et Dayne Simard. Une production de La brute qui pleure. À Premier Acte jusqu’au 4 mars 2017. Dans la salle intime du Théâtre Prospero du 17 octobre au 4 novembre 2017.