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La Femme comme champ de bataille : dans les charniers du monde

« Les Balkans sont partout, » écrivait Matéi Visniec dans La Femme comme champ de bataille. Tandis que l’ex-Yougoslavie était déchirée par des conflits interethniques d’une violence inouïe, l’auteur roumain livrait à travers cette pièce un sombre témoignage de l’utilisation du viol comme stratégie militaire dans les Balkans. Plus jamais ça ? Deux décennies plus tard, force est de constater que l’horreur des Balkans ne finit pas de réapparaître dans les zones les plus fragilisées du monde. L’urgence du texte de Visniec et son caractère hélas encore actuel ont interpellé le metteur en scène iranien Naeim Jebelli, inquiet du sort réservé aux femmes à travers le monde.

« Tant qu’il y aura des guerres et des tensions raciales, les femmes seront victimes de ce genre d’atrocités, affirme l’artiste qui garde des traces indélébiles des conflits ayant secoué son pays natal. L’année passée, on en a encore été témoin au Moyen-Orient avec ISIS. Les hommes ont commencé à utiliser le viol comme stratégie génocidaire, le but étant d’inséminer les femmes de différentes nations et religions, de répandre leurs gènes et de détruire ainsi les futures générations de leurs ennemis. »

Nora Guerch

L’effondrement du sens

Le metteur en scène dirige les jeunes actrices Nora Guerch et Marie-Ève De Courcy dans ce face à face entre une victime portant les séquelles des viols collectifs et une psychologue présente sur le terrain pour soutenir les équipes de recherche chargées de fouiller les charniers.

« Il y en a une sur laquelle la guerre est passée, dit Nora Guerch en référence à son personnage. Son corps a été saccagé, mais il se dégage d’elle encore une force. Alors que l’Américaine arrive sur le terrain avec son savoir universitaire, la rencontre de cette femme victime chamboulera complètement sa vie et ses certitudes. Une fois que cette dernière a mis les deux pieds dans le sang, il ne reste plus rien. Face à l’horreur, tout son bagage de connaissance s’effondre. »

« Ces deux femmes sont au départ des entités distinctes. Leurs héritages culturels très différents pèsent sur les épaules de chacune, reprend Marie-Ève De Courcy, interprète de la psychologue américaine. Peu à peu, une sorte de répulsion-fascination se développe entre elles. Le pouvoir du docteur sur sa patiente se désagrège, parfois même se renverse ; si bien que l’identité de l’une finira par absorber celle de l’autre. »

Naeim Jebelli entend montrer comment l’identité de chacune vacille. « Il était important pour moi que les deux personnages se fondent l’une dans l’autre. C’est avant tout leur humanité et leur féminité dans leurs formes les plus originelles qui s’imposent et ressortent de cette rencontre. Ça va bien au-delà de leurs nationalités et de leurs cultures. »

Marie-Ève De Courcy

Matière sensible

Pour élargir les horizons du texte qui dépeint et dissèque la banalisation du racisme entre les hommes des Balkans, le metteur en scène choisit d’inclure des projections, des symboles et des animations. « Ça nous permet de dépasser les cadres de référence du texte pour en montrer sa portée universelle. » Plus qu’un contexte, la guerre est vue ici comme un paradigme.

Serait-ce aussi un moyen de rendre une réalité lointaine plus tangible ? « Nous vivons dans un pays relativement paisible. Les données et les images de guerre qui nous arrivent à travers les médias permettent difficilement de rendre compte de la réalité des zones de conflits. Notre but dans cette pièce est de permettre d’appréhender cette réalité autrement et de manière sensible. »

« Ce qui paraît aujourd’hui lointain se passait en plein cœur du continent européen, il n’y a pas si longtemps que ça, ajoute Nora Guerch. On n’est jamais aussi loin de l’horreur qu’on le pense. La pièce nous le montre, nous questionne et nous invite à y réfléchir. Pour prévenir les catastrophes humaines, à quel moment décide-t-on de poser des actions significatives dans le monde ? »

La Femme comme champ de bataille

Texte : Matéi Visniec. Mise en scène : Naeim Jebelli. Avec Norah Guerch et Marie-Ève De Courcy. Un spectacle de Hashtpa Productions. Au MAI du 22 février au 5 mars 2017.

Mélanie Carpentier

À propos de

Journaliste spécialisée en danse pour Le Devoir et enseignante de français langue seconde, elle a été membre de la rédaction de JEU de 2017 à 2018.