Créative et inventive, la chorégraphe colombienne Lina Cruz a toujours créé un univers à part, surréaliste, aussi indescriptible que l’inconscient en action. Chacune des deux chorégraphies présentées au Wilder, précise et nette, décline une proposition aux variations gestuelles imprévisibles et séduisantes. Sensibles à chaque son, à l’éclairage, à la présence, de généreux interprètes torontois se dépensent, exploitant à fond ce qui fait exister leurs personnages. L’exécution est sans reproche, harmonieuse, lumineuse.
Dans la première pièce, Ylem, un trio habillé de noir, bras nus, est immergé dans un environnement noir, éclairé de tons chauds où chacun se relie aux deux autres ; les regards de témoin qu’ils s’échangent font d’eux d’étranges enfants s’imitant librement. On n’y craint pas le déséquilibre, rattrapé par des postures d’art martiaux, ni l’étrange gestuelle des hochements, des secousses et des tremblements.
Tels les personnages illustrés d’un manga, ils bougent côte à côte, ensemble le plus souvent, jouant à cache-cache entre leurs bras, chacun dévoilant sa timidité, sa curiosité, sa fraicheur. Ils nous invitent à partager leur monde avec précaution. On s’y installe avec confiance et sympathie, dans l’absurdité des mimes et des clowns, en deçà du grotesque. L’impression d’exercice circassien culmine dans une longue séquence avec des œufs blancs, accessoires avec lesquels ils vont jouer, jongler. Après la bouche, ils placeront ces œufs sensoriels sur l’oreille, tête à l’horizontale et corps habité d’un tournoiement lent, en écoute subtile, pour les déposer finalement sur les yeux d’un danseur, tiré par les deux autres comme sur le rivage un poisson mort.
Sensations
Encadrée par une structure tubulaire sous deux cadres métalliques, la soliste Geneviève Robitaille, déguisée en vieux bébé vêtu d’une couche-culotte et d’une camisole blanche, clopine avec une canne et mime un certain albatros baudelairien, être de fantaisie, tout aussi maladroitement déposé sur le sol que l’oiseau-poète aux ailes déployées sur le pont du navire humain. On découvre l’ennui et la pauvreté imposés à cet être rasé, sans âge ni sexe qui les détourne en se tordant comme pour se moquer du grand âge, avant d’oublier ses facéties pour s’intéresser au lieu étrange de sa cage.
La chorégraphie exploite la structure verticale, suspendue, aux matériaux sonores, creux, résonant, conducteurs de vibrations, de souffle et de voix, qui découpe l’espace vide. L’interprète y joue le Faune dansant de Mallarmé, de Nijinski, de Debussy. Mais rien de caprin ni d’initiatique dans cette figure, il y a tout au plus l’enfance de la danse, aussi étonnée d’être tombée là que de découvrir des mots rimant dans un français absurde, qui s’éveille en écho à ces grandes flûtes, orgues ou cordes improvisées.
La drôlerie de ces deux pièces vient du côtoiement du vide, des sons émis par les interprètes, inouïs, non syllabiques ni phonématiques, cris d’animaux, feulements, piaulements, effets de ponctuation esquissés et retombant dans le silence ou l’environnement sonore bruital ou instrumental bien composé. Comment peut-on inventer tant des gestes incongrus, dans un domaine où on a tout vu, tout fait, tout proposé ? Décidément, la danse de Lina Cruz offre des audaces gestuelles et des trouvailles uniques, hormis dans la folie à laquelle son imaginaire surréel fait un vrai clin d’œil.
Ylem et Tic-Tac Party
Chorégraphie, décors et costumes Lina Cruz, avec Zhenya Cerneacov, Mairéad Filgate et Brodie Stevenson (Ylem), Genevière Robitaille (Tic-Tac Party). Musique Philippe Noireault. Éclairages Arun Srinivasan, Thomas Godefroid. Une production Fila 13, Throwdown Collective, présentée par l’Agora de la danse au Wilder jusqu’au 18 mars 2017.
Créative et inventive, la chorégraphe colombienne Lina Cruz a toujours créé un univers à part, surréaliste, aussi indescriptible que l’inconscient en action. Chacune des deux chorégraphies présentées au Wilder, précise et nette, décline une proposition aux variations gestuelles imprévisibles et séduisantes. Sensibles à chaque son, à l’éclairage, à la présence, de généreux interprètes torontois se dépensent, exploitant à fond ce qui fait exister leurs personnages. L’exécution est sans reproche, harmonieuse, lumineuse.
Dans la première pièce, Ylem, un trio habillé de noir, bras nus, est immergé dans un environnement noir, éclairé de tons chauds où chacun se relie aux deux autres ; les regards de témoin qu’ils s’échangent font d’eux d’étranges enfants s’imitant librement. On n’y craint pas le déséquilibre, rattrapé par des postures d’art martiaux, ni l’étrange gestuelle des hochements, des secousses et des tremblements.
Tels les personnages illustrés d’un manga, ils bougent côte à côte, ensemble le plus souvent, jouant à cache-cache entre leurs bras, chacun dévoilant sa timidité, sa curiosité, sa fraicheur. Ils nous invitent à partager leur monde avec précaution. On s’y installe avec confiance et sympathie, dans l’absurdité des mimes et des clowns, en deçà du grotesque. L’impression d’exercice circassien culmine dans une longue séquence avec des œufs blancs, accessoires avec lesquels ils vont jouer, jongler. Après la bouche, ils placeront ces œufs sensoriels sur l’oreille, tête à l’horizontale et corps habité d’un tournoiement lent, en écoute subtile, pour les déposer finalement sur les yeux d’un danseur, tiré par les deux autres comme sur le rivage un poisson mort.
Sensations
Encadrée par une structure tubulaire sous deux cadres métalliques, la soliste Geneviève Robitaille, déguisée en vieux bébé vêtu d’une couche-culotte et d’une camisole blanche, clopine avec une canne et mime un certain albatros baudelairien, être de fantaisie, tout aussi maladroitement déposé sur le sol que l’oiseau-poète aux ailes déployées sur le pont du navire humain. On découvre l’ennui et la pauvreté imposés à cet être rasé, sans âge ni sexe qui les détourne en se tordant comme pour se moquer du grand âge, avant d’oublier ses facéties pour s’intéresser au lieu étrange de sa cage.
La chorégraphie exploite la structure verticale, suspendue, aux matériaux sonores, creux, résonant, conducteurs de vibrations, de souffle et de voix, qui découpe l’espace vide. L’interprète y joue le Faune dansant de Mallarmé, de Nijinski, de Debussy. Mais rien de caprin ni d’initiatique dans cette figure, il y a tout au plus l’enfance de la danse, aussi étonnée d’être tombée là que de découvrir des mots rimant dans un français absurde, qui s’éveille en écho à ces grandes flûtes, orgues ou cordes improvisées.
La drôlerie de ces deux pièces vient du côtoiement du vide, des sons émis par les interprètes, inouïs, non syllabiques ni phonématiques, cris d’animaux, feulements, piaulements, effets de ponctuation esquissés et retombant dans le silence ou l’environnement sonore bruital ou instrumental bien composé. Comment peut-on inventer tant des gestes incongrus, dans un domaine où on a tout vu, tout fait, tout proposé ? Décidément, la danse de Lina Cruz offre des audaces gestuelles et des trouvailles uniques, hormis dans la folie à laquelle son imaginaire surréel fait un vrai clin d’œil.
Ylem et Tic-Tac Party
Chorégraphie, décors et costumes Lina Cruz, avec Zhenya Cerneacov, Mairéad Filgate et Brodie Stevenson (Ylem), Genevière Robitaille (Tic-Tac Party). Musique Philippe Noireault. Éclairages Arun Srinivasan, Thomas Godefroid. Une production Fila 13, Throwdown Collective, présentée par l’Agora de la danse au Wilder jusqu’au 18 mars 2017.