Critiques

Vol au-dessus d’un nid de coucou : La maudite machine

© François Laplante-Delagrave

La pièce de Dale Wasserman, écrite en 1963, a tenu l’affiche pendant six ans à San Francisco avant d’être montée et jouée partout aux États-Unis et dans le monde. Puis il y eu le film de Milos Forman en 1975 qui recueillit cinq oscars : meilleur scénario, meilleur film, meilleur réalisation et meilleurs acteur et actrice. Mais à l’origine de ces deux œuvres, on oublie souvent qu’il y a le roman de Ken Kesey. On comprend pourquoi cette pièce d’une mécanique impeccable a connu un tel succès : son histoire est universelle, elle est bien ficelée et nous touche par sa formidable humanité. Il reste que la référence la plus forte demeure le film et les prestations inoubliables de Jack Nicholson et Louise Fletcher. Difficile de ne pas faire la comparaison, mais Michel Monty relève bien le défi. En assumant à la fois la traduction et la mise en scène, il signe une œuvre maîtrisée sous tous ses aspects.

Randle McMurphy est hospitalisé dans un asile psychiatrique pour échapper au système pénitencier. Est-ce lui qui feint la folie pour, pense-t-il, se retrouver dans un milieu moins coercitif ? Ou le système judiciaire qui cherche à ramener dans le rang cet indiscipliné chronique, violent et obsédé par le sexe? Mc Murphy frappe un mur avec la rigide garde Ratched et il réalise rapidement que son sort ne lui appartient plus. Sous prétexte de favoriser leur guérison, on multiplie les règles, en infantilisant les patients. Révolté par ces abus de pouvoir, Mc Murphy se rapproche de tous les patients, dans le but de les conscientiser de leur condition, en particulier le chef, un colosse amérindien, écrasé par la «machine». Il les pousse à s’organiser pour voler de leurs propres ailes.

© François Laplante-Delagrave

Un drame captivant

Les premières qualités de cette pièce résident dans la traduction québécoise de Michel Monty. Il a su se distinguer du fameux film de Milos Forman en adoptant une langue riche et truffée d’humour, une langue qui nous interpelle directement. Sa mise en scène est vive et rythmée, évitant de tomber dans le pathos et la lourdeur. Il utilise des procédés théâtraux, tel le théâtre d’ombres, le chœur, le jeu physique. Mathieu Quesnel en McMurphy en est un excellent exemple, solide et très physique, il exprime à la fois la brutalité du personnage et son trop plein d’énergie. Quesnel arrive à nous le rendre sympathique malgré sa vulgarité et ses actes répréhensibles. Évidemment, entre l’hyperactif et la sœur supérieure, il n’est pas difficile de prendre partie et se liguer contre cette folle antipathique de Miss Ratched que Julie LeBreton incarne avec justesse et retenue.

Les décors (Olivier Landreville), de même que les accessoires (Jeanne Ménard-Leblanc) nous renvoient à une autre époque, celle où l’on pratiquait encore des lobotomies, où les récipients de soluté étaient en métal émaillé et où les crucifix se retrouvaient dans toutes nos institutions. Dans cette production, le Christ en croix est magnifiquement signifié par un tableau vivant : c’est le lobotomisé Ruckly (excellent Benoit Maufette) qui se retrouve symboliquement crucifié au centre des trois immenses fenêtres en ogive, évocation claire de l’architecture ecclésiastique.

Vol au-dessus d’un nid de coucou est avant tout une ode à la différence, celle qu’on cherche à brider ou à museler, comme c’est le cas ici du chef Bromden (Jacques Newashish, très crédible pour une première expérience théâtrale), cette force de la nature, dont la présence et le discours résonnent particulièrement aujourd’hui alors que notre sensibilité envers le peuple autochtone est de plus en plus vive. Bromden représente tous les autochtones des Amériques, dont la culture, la langue et les traditions ont pratiquement été anéantis par les Européens.

© François Laplante-Delagrave

Vol au-dessus d’un nid de coucou

Texte : Dale Wasserman. D’après le roman de Ken Kesey. Traduction et mise en scène : Michel Monty. Scénographie : Olivier Landreville. Accessoires : Jeanne Ménard-Leblanc. Costumes : Marc Senécal. Éclairages : Anne-Marie Rodrigue Lecours. Maquillages et coiffures : Amélie Bruneau Longpré. Musique : Éric Forget. Avec Sylvio Archambault, Anne-Marie Binette, Catherine Chabot, Philippe David, Stéphane Demers, Jacques Girard, Jean-François Hupé, Renaud Lacelle-Bourdon, Justin Laramée, Julie LeBreton, Benoit Mauffette, Jacques Newashish, Mathieu Quesnel, Frédérick Tremblay et Gilbert Turp. Au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 23 avril, puis du 16 au 26 août 2017.

Jean-Claude Côté

À propos de

Collaborateur de JEU depuis 2016, il a enseigné le théâtre au Cégep de Saint-Hyacinthe et au Collège Shawinigan. Il a également occupé pendant six ans les fonctions de chroniqueur, critique et animateur à Radio Centre-Ville.