Critiques

Ballet BC : Singularités collectives

© Michael Slobodian

Trois chorégraphes femmes, trois esthétiques pour une compagnie de répertoire, le Ballet BC de Vancouver. Qu’ont en commun ces signatures, réunies en un programme? Peu de choses, à vrai dire, hormis la féminité fluide et l’androgynie chorégraphique, pour 13, puis 7, puis 16 interprètes en beauté.

La Canadienne Crystal Pite et l’Israélienne Sharon Eyal mènent une carrière internationale. Crystal Pite (Vancouvéroise née en 1970) et Emily Molnar (directrice artistique du Ballet BC, née en 1973) ont dansé pour William Forsythe à Frankfort. Pourtant, leurs trois pièces, à la finition exemplaire, diffèrent grandement dans l’esthétique et l’inventivité. La pièce de Sharon Eyal (née en 1971) résonne dans l’œuvre qu’elle bâtit, plus théâtrale et baroque que ses collègues.

Michael Slobodian

16 + a room d’Emily Molnar est une habile composition, parfaite. D’une danse rapide, très équilibrée sur l’appui au sol, un peu démonstrative, les duos se remarquent et les solos se démarquent, au milieu d’une orchestration imposante de treize interprètes. Jouant sur l’indication de tableaux en cours, à venir ou à suivre, la chorégraphie se raffine dans la subtilité de chaque danseur à dépasser la déclinaison néoclassique d’un tout à l’unisson. Les filles sur pointes et les garçons en chaussettes proposent une esthétique urbaine de danse moderne, où des personnages interchangeables marquent un espace de salon, de chambre ou de rue familière en fines variations de leur corps. La mention que la chorégraphe s’est inspirée de Virginia Woolf et d’Emily Dickinson n’est pas fortuite, même si ce rapport demeure indirect, surplombant l’entreprise chorégraphique d’une volonté de s’inscrire dans le lieu ici et maintenant.

Michael Slobodian

Solo Echo de Crystal Pite, créé en 2012 pour le Nederlands Dance Theater sur une musique de Brahms, se déroule magnifiquement selon l’inventivité de Pite, sur le fond noir d’une vidéo de tempête de neige. Puisse-t-elle durer sans fin, cette déclinaison sans suture d’un déroulé de corps habités par la finesse des pleins et des déliés! L’écriture chorégraphique glisse d’un corps à l’autre, féminine sans accroc ni maniérisme, musicale, ensorcelante. Du groupe au solo, avec une motilité dont l’absence de tic et de raideur atteint une perfection rarissime, la danse tricotée et détricotée par Pite du bout des doigts jusqu’aux orteils redouble d’astuces et de trouvailles gestuelles en cascade. Avec sa variété enchaînée et déchaînée de mouvements qui épousent les notes et même le registre romantique de Brahms, les corps se fondent tantôt au frottement des cordes du violon, tantôt aux cordes frappées du piano. On s’absorbe dans cette chorégraphie atmosphérique, où tout est légèreté, pureté, effleurement, vitesse et turbulence. Magique.

Michael Slobodian

Bill de Sharon Eyal, créé pour la Batsheva Dance Compagny en 2010, met en scène seize androïdes aux corps gommés par un collant couleur chair, des poignets aux chevilles. Éclairés en trois groupes qui dessinent autant d’espaces autonomes, hiérarchisés sans superposition ni redoublement, la pièce quasi expressionniste évoque la thématique du créateur et de sa créature qui, libre d’aller, prête son corps de mannequin mécanique à l’articulation raide et schématisée de la danse. Frankenstein a-t-il une grâce, dans son étrangeté fantastique de ballerin, poussant des cris étouffés et des hurlements sans voix? La parodie vise un Bill démultiplié, mâle, presque obtus dans sa maladresse feinte, danseur méconnaissable sous les lumières changeantes et les innombrables cassures et hachures de la chorégraphie. La tonalité fantastique touche au seuil de l’angoisse par instants.

Ballet BC, programme triple

16 + a room :: Chorégraphie: Emily Molnar. Musique: Dirk P. Haubrich. Éclairages: Jordan Tuinman. Costumes: Kate Burrows. Solo Echo :: Chorégraphie: Crystal Pite. Musique: Johannes Brahms. Éclairages: Tom Visser. Scénographie: Jay Gower Taylor. Mise en scène: Éric Beauchesne. Bill :: Chorégraphie: Sharon Eyal, Gai Behar. Musique: Ori Lichtik. Éclairages: Omer Sheizaf. Mise en scène: Osnat Kelner. Une production du Ballet BC. Présenté par Danse Danse, au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, jusqu’au 8 avril 2017.