Le projet ambitieux d’Élodie Cuenot a pris forme dans une proposition audacieuse sur trois dictateurs célèbres : Mussolini, Ceaucescu et Bashar El Assad. [Mal]heureuses s’intéresse aux femmes autour de ces dictateurs.
À partir de faits et de propos réels, Cuenot présente une pièce déconstruite et hachurée, faite de fragments rattachés à Manuele, historien et professeur en train d’écrire trois volumes sur les femmes qui ont accompagné ces tyrans. Il sera tour à tour amant, professeur et auteur, Mussolini, El Assad, Ceausescu ; l’auteur en manque d’énergie est un être tellement polymorphe qu’il en devient irréel, ne parvenant pas à découper tous ces rôles avec précision. Trop désincarnés pour être plausibles.
Cuenot joue sur la corde raide avec une mise en scène complexe où se télescopent les personnages dans le temps et l’espace, poussant même l’audace jusqu’à faire cohabiter des figures étrangères s’activant toutes en même temps dans la tête d’un Manuele sans conviction.
[Mal]heureuses porte sur la psychologie de ces femmes porte-étendard qui très consciemment assument leur rôle de première-dame, de reine sans couronne. Elles épousent la cause de leur homme, mari ou fils, et les dépassent parfois dans l’abjection et la violence. Comme son titre l’indique, le spectacle présente les forces antagonistes de leur motivation. Au-delà de l’idéalisme de départ, il y a un glissement vers la perversion à travers les choix que la « realpolitik » impose.
De la séduction à l’horreur
Femme de Ceausescu, mère d’El Assad et de l’auteur Manuele, Marie-Ginette Guay campe ces figures avec une prestance juteuse, surtout dans le rôle d’Élena Ceausescu, mégalomane égocentrique sans pitié pour ses opposants, celle qui raconte sa démence avec délectation et une désinvolture désarmante. Elle décriera, d’outre-tombe, la mort dégradante qu’on leur a infligée, à elle et son merveilleux époux Nicolae. La maîtresse de Mussolini et l’amante de l’auteur sont jouées par une Sophie Dion très crédible en Margherita Sarfatti, cette jeune juive séduisante qui est le socle sur lequel Mussolini bâtit son pouvoir et qui sera jetée par lui au moment de son association avec Hitler. Caroline, la femme de l’auteur, et Asma El Assad, la femme du dictateur Syrien, campées par Marie-Hélène Lalande peinent à trouver une assise solide. La jeune Caroline plus déterminée et impliquée dans le réel sera soudainement évanescente comme épouse d’El Assad.
Un point commun ressort chez ces femmes : la séduction. Ce sont des amoureuses, femmes, amantes, mères qui ont été séduites par l’intelligence, la beauté, la grâce, la puissance de leur homme. Elles ont toutes une part de naïveté à la base, elles sont confiantes et savent apprécier la place qu’elles occupent dans le monde. Toutes veulent être à la hauteur, toutes sont prêtes à abdiquer leurs valeurs profondes au nom de leur responsabilité en tant que première dame du pays. Ce qu’elles feront sans regret, justifiant même l’horreur.
Les projections vidéo disséminées dans l’espace présentent avec justesse le volet documentaire de cette recherche et soulignent la puissance des foules qui ont porté ces dictateurs au pouvoir ou nous présentent de l’information factuelle qui vient souligner la démesure de la gloire.
Mais si les femmes historiques comme Élena Ceaucescu et Margherita Sarfatti sont formidablement bien dessinées, les personnages actuels et les figures emblématiques des dictateurs et de l’auteur manquent étrangement de chair. Le chevauchement constant de tous ces personnages se côtoyant dans une improbable proximité, rend parfois la compréhension ardue et nous laisse sur une sensation d’incomplétude. Comme si l’intention de départ se perdait dans une inconsistance profonde. La complexité des situations, la cohabitation de personnages morts et vivants, le mélange de fiction et de réalité est un projet alléchant dont toutes les ficelles ne sont hélas pas encore bien attachées.
Texte et mise en scène : Élodie Cuenot. Assistance à la mise en scène : Edwige Morin. Scénographie : Nathalie Côté. Éclairages : Mathieu C. Bernard. Vidéo : Keven Dubois. Musique et vidéo : Uberko. Avec Sophie Dion, Gabriel Fournier, Marie-Ginette Guay et Marie-Hélène Lalande. Une production de Cargø Théâtre. À Premier Acte jusqu’au 22 avril 2017.
Le projet ambitieux d’Élodie Cuenot a pris forme dans une proposition audacieuse sur trois dictateurs célèbres : Mussolini, Ceaucescu et Bashar El Assad. [Mal]heureuses s’intéresse aux femmes autour de ces dictateurs.
À partir de faits et de propos réels, Cuenot présente une pièce déconstruite et hachurée, faite de fragments rattachés à Manuele, historien et professeur en train d’écrire trois volumes sur les femmes qui ont accompagné ces tyrans. Il sera tour à tour amant, professeur et auteur, Mussolini, El Assad, Ceausescu ; l’auteur en manque d’énergie est un être tellement polymorphe qu’il en devient irréel, ne parvenant pas à découper tous ces rôles avec précision. Trop désincarnés pour être plausibles.
Cuenot joue sur la corde raide avec une mise en scène complexe où se télescopent les personnages dans le temps et l’espace, poussant même l’audace jusqu’à faire cohabiter des figures étrangères s’activant toutes en même temps dans la tête d’un Manuele sans conviction.
[Mal]heureuses porte sur la psychologie de ces femmes porte-étendard qui très consciemment assument leur rôle de première-dame, de reine sans couronne. Elles épousent la cause de leur homme, mari ou fils, et les dépassent parfois dans l’abjection et la violence. Comme son titre l’indique, le spectacle présente les forces antagonistes de leur motivation. Au-delà de l’idéalisme de départ, il y a un glissement vers la perversion à travers les choix que la « realpolitik » impose.
De la séduction à l’horreur
Femme de Ceausescu, mère d’El Assad et de l’auteur Manuele, Marie-Ginette Guay campe ces figures avec une prestance juteuse, surtout dans le rôle d’Élena Ceausescu, mégalomane égocentrique sans pitié pour ses opposants, celle qui raconte sa démence avec délectation et une désinvolture désarmante. Elle décriera, d’outre-tombe, la mort dégradante qu’on leur a infligée, à elle et son merveilleux époux Nicolae. La maîtresse de Mussolini et l’amante de l’auteur sont jouées par une Sophie Dion très crédible en Margherita Sarfatti, cette jeune juive séduisante qui est le socle sur lequel Mussolini bâtit son pouvoir et qui sera jetée par lui au moment de son association avec Hitler. Caroline, la femme de l’auteur, et Asma El Assad, la femme du dictateur Syrien, campées par Marie-Hélène Lalande peinent à trouver une assise solide. La jeune Caroline plus déterminée et impliquée dans le réel sera soudainement évanescente comme épouse d’El Assad.
Un point commun ressort chez ces femmes : la séduction. Ce sont des amoureuses, femmes, amantes, mères qui ont été séduites par l’intelligence, la beauté, la grâce, la puissance de leur homme. Elles ont toutes une part de naïveté à la base, elles sont confiantes et savent apprécier la place qu’elles occupent dans le monde. Toutes veulent être à la hauteur, toutes sont prêtes à abdiquer leurs valeurs profondes au nom de leur responsabilité en tant que première dame du pays. Ce qu’elles feront sans regret, justifiant même l’horreur.
Les projections vidéo disséminées dans l’espace présentent avec justesse le volet documentaire de cette recherche et soulignent la puissance des foules qui ont porté ces dictateurs au pouvoir ou nous présentent de l’information factuelle qui vient souligner la démesure de la gloire.
Mais si les femmes historiques comme Élena Ceaucescu et Margherita Sarfatti sont formidablement bien dessinées, les personnages actuels et les figures emblématiques des dictateurs et de l’auteur manquent étrangement de chair. Le chevauchement constant de tous ces personnages se côtoyant dans une improbable proximité, rend parfois la compréhension ardue et nous laisse sur une sensation d’incomplétude. Comme si l’intention de départ se perdait dans une inconsistance profonde. La complexité des situations, la cohabitation de personnages morts et vivants, le mélange de fiction et de réalité est un projet alléchant dont toutes les ficelles ne sont hélas pas encore bien attachées.
[Mal]heureuses
Texte et mise en scène : Élodie Cuenot. Assistance à la mise en scène : Edwige Morin. Scénographie : Nathalie Côté. Éclairages : Mathieu C. Bernard. Vidéo : Keven Dubois. Musique et vidéo : Uberko. Avec Sophie Dion, Gabriel Fournier, Marie-Ginette Guay et Marie-Hélène Lalande. Une production de Cargø Théâtre. À Premier Acte jusqu’au 22 avril 2017.