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Alix Dufresne et la poésie 2.0

© Maxime Côté

Comment la poésie peut-elle encore résonner dans notre quotidien frénétique et hyperconnecté ? En résidence au Théâtre d’Aujourd’hui, l’artiste Alix Dufresne s’est penchée sur cette question en se lançant dans un piratage ludique des textes de 12 poètes québécois de la génération Y.

Loin de voir les mutations qu’apportent les nouvelles technologies sur nos sociétés comme une fatalité, la jeune metteure en scène s’empare des outils du Web pour transposer des fragments de poésie sous des formes novatrices et dans l’air du temps : « Avant de découvrir ces auteurs, je voyais la poésie comme quelque chose d’un peu poussiéreux ou bien de trop conceptuel, avoue-t-elle. J’ai été très surprise de voir combien je pouvais me retrouver dans la voix de ces auteurs. Que ce soit dans la forme ou le fond, de manière consciente ou non, on peut voir chez ces écrivains ayant connu l’avant et l’après-Internet, comment la logique des moteurs de recherche a façonné leur écriture, et comment l’image s’est imposée comme la façon la plus efficace de communiquer. » Dans l’échantillon de textes qu’elle a choisi d’adapter, elle cite l’exemple de Steve Savage qui puise la matière de ses écrits à même Google et de Marc-Antoine K. Phaneuf construisant un récit complet par associations d’idées.

Photo de répétition © Courtoisie

« J’ai l’impression qu’il est inutile de se battre contre les nouvelles technologies, il faut que la poésie rejoigne notre époque, comme le font ces textes. Alors, au lieu de faire une soirée de poésie avec des bérets, des foulards et un micro pour les partager, je me suis dit qu’on allait voir ce que l’Internet propose et que j’allais essayer d’insérer la parole poétique dans cet espace-là », poursuit-elle. Grâce à un dispositif scénique laissant place à des projections, l’objectif est de découvrir ce que chaque poème peut générer comme image. Ainsi, elle s’amuse à traduire des fragments de poèmes en GIF, en mème et en émoji, se sert de Google et du live-feed pour impliquer directement ses spectateurs et essaie de faire trender des haïkus sur Twitter.

Incarner l’échec

Bien qu’il soit question de dématérialisation des textes dans Nuits frauduleuses, le travail du corps reste essentiel dans cette proposition à mi-chemin entre le théâtre, la danse et la performance ; une approche du mouvement qu’Alix Dufresne cultive depuis ses premières mises en scène, Les Paroles et Hidden Paradise, dans lesquelles elle dirigeait l’acteur et danseur Marc Béland. « Plutôt que des pièces de théâtre, je cherche des matériaux où le texte et le corps puissent s’exprimer de manière égale », explique-t-elle.

Entourée de Philippe Boutin, Maxim Paré-Fortin, Marilyn Perreault et Jérémie Francoeur, elle est partie du portrait type de la génération Y : «  Une génération qui a été très choyée par ses parents et le système scolaire, extrêmement soumise au divertissement et à la frénésie des communications. On refuse de travailler pour une entreprise de 9 h à 5 h comme l’ont fait la plupart avant nous, on rêve d’être nos propres patrons et d’organiser notre temps comme on le souhaite. »

Photo de répétition © Courtoisie

Pour rebondir sur ce portrait, elle a décidé d’ancrer le mouvement dans un environnement rappelant les start-up, une sorte de terrain de jeu pour adulte, reflétant un certain refus de vieillir : « C’est une scénographie qui appelle au mouvement, une sorte de gymnase où on trouve un parcours théâtralisé. Dans ce lieu, le rapport au corps est un rapport d’échec. Les interprètes essaient de grimper les uns sur les autres, se pètent la gueule, se font traîner à terre. On est rarement dans la réussite et dans le spectaculaire. »

Une façon de faire un pied de nez à la pression de la performance ambiante ? « C’est certainement l’anti-performance, une manière de montrer comment cette génération, vivant dans l’intangible, est forcément confrontée à l’échec lorsqu’elle se frotte au concret. », répond-elle. « Mais ça reste très ludique. Même si certains poèmes abordent des sujets graves et sérieux comme le racisme, la peur de l’étranger ou encore la liberté d’expression, j’avais envie de faire rire le spectateur, qu’il soit clairement diverti et qu’il sorte énergisé – pour moi le lien sensoriel entre l’acteur et le public est extrêmement important. En sortant du théâtre, j’aimerais que les gens aient envie d’aller courir chercher de la poésie, qu’ils voient que c’est accessible, qu’ils soient galvanisés et intéressés par la parole de ces auteurs-là. »

Nuits frauduleuses

Textes : Mathieu Arsenault, Daphné B., Marjolaine Beauchamp, Laurie Bédard, Alexandre Dostie, Jérémie Francoeur, Benoit Jutras, Daniel Leblanc-Poirier, Samuel Mercier, Marc-Antoine K. Phaneuf, Steve Savage, Stéphane Surprenant et Maude Veilleux. Mise en scène : Alix Dufresne. Avec Philippe Boutin, Maxim Paré-Fortin, Marilyn Perreault et Jérémie Francoeur. Un spectacle des Productions J’le dis là ! À la salle Jean-Claude-Germain du Théâtre d’Aujourd’hui du 25 avril au 13 mai 2017.

Mélanie Carpentier

À propos de

Journaliste spécialisée en danse pour Le Devoir et enseignante de français langue seconde, elle a été membre de la rédaction de JEU de 2017 à 2018.