Critiques

Antigone au printemps : Frères ennemis

Francis Sercia

Imaginons qu’en 2012, lors des manifestations du Printemps érable, à Montréal, la répression policière, déjà importante, ait été encore plus brutale, causant plusieurs morts parmi les étudiants et leurs supporteurs. Nous aurions alors connu chez nous une situation tragique plus proche de la Tunisie ou de l’Égypte, où les révolutions qui chassèrent du pouvoir des dictateurs comptèrent leurs morts par dizaines. En tentant un parallèle entre l’héroïne de Sophocle, symbole de la jeunesse révoltée contre la tyrannie, et une participante à notre agitation citoyenne d’il y a cinq ans, la pièce Antigone au printemps se trompe de cible et convainc peu.

Francis Sercia

Tout en conservant les noms des personnages de la tragédie grecque, ceux d’Antigone et de ses deux frères, Étéocle et Polynice, de leurs parents incestueux, Œdipe et Jocaste, et de l’autoritaire Créon, l’auteure, Nathalie Boisvert, a situé l’action au Québec, aujourd’hui. Les trois jeunes, réunis au chalet familial à Rivière Éternité, où remontent les souvenirs d’une enfance pleine de non-dits, entament la narration d’une « histoire impossible à raconter avec des mots ». Ils répéteront à quelques reprises comme un leitmotiv : « Ça se passe pas comme on l’imagine. Non. Non. » L’arrivée d’une lettre, qui leur apprend que Jocaste a marié son fils Œdipe, leur père, leur frère, bouleverse leur vie. Dès lors, le noyau familial se fissure, se disloque, éclate inexorablement.

Engagé dans l’armée du corrompu Créon, malgré les avertissements et imprécations de son frère, Étéocle (Xavier Huard, bien investi de son personnage, dur tentant d’enfouir sa vulnérabilité) se retrouve dans le camp de la force, au détriment de sa sensibilité et de toute empathie envers autrui. Les autres sont tous ces conspirateurs, étudiants, artistes, intellectuels, en guerre contre un pouvoir qui tolère de moins en moins la dissidence. Des militants auprès desquels s’engagent Polynice (Frédéric Millaire-Zouvi, juste et convaincant dans sa droiture) et Antigone (Léane Labrèche-Dor, à la voix trop aiguë, hésitant entre affirmation et ébahissement), avant que les choses ne dérapent.

Les manifestants envahissent la rue et la répression s’amplifie. Les deux frères, confrontés à leurs choix, s’affrontent dans un corps à corps, mais sont « avalés » par la foule en panique fuyant les soldats d’élite qui la chargent. Au final, Antigone pleure la mort des deux jeunes hommes, dont l’un sera honoré, l’autre vilipendé.

Francis Sercia

Comparaison boiteuse

Le metteur en scène, Frédéric Sasseville-Painchaud, a situé la scène dans un espace dépouillé. Le sol, recouvert de gravier, est traversé par une bande en diagonale figurant une allée ou une rue pavée, avec au centre, un peu décalé, un bloc de béton, le tout évoquant un terrain vague davantage qu’une place publique. Les jeux de lumière, souvent lancés par des projecteurs latéraux, découpent la pénombre en éclairant franchement les visages des interprètes, soulignant les mots d’un texte somme toute largement narratif. L’évocation des saisons, de la nature, du soleil de fin d’automne, par exemple, de sensuelle devient intrigante lorsqu’on nous raconte que, chaque jour, des centaines d’oiseaux noirs, des étourneaux, tombent du ciel.

Cet enrobage séduisant ne suffit pas à susciter l’adhésion au spectacle, dont la trame et le ton paraissent trop monocordes. Est-ce le texte, dont les prémisses de départ ne fonctionnent pas ? Il faut le dire : le Printemps érable n’a pas grand-chose à voir avec les tragédies du Moyen-Orient. Ou la mise en scène, qui n’a pas su lui donner l’envolée nécessaire à sa compréhension ? Ou le jeu des comédiens, en-deçà de l’émotion, de la réflexion, du dérangement qui auraient dû nous atteindre ? Un peu tout ça, sans doute, et la magie n’est pas au rendez-vous.

Antigone au printemps

Texte : Nathalie Boisvert. Mise en scène : Frédéric Sasseville-Painchaud. Scénographie : Xavier Mary. Éclairages : Chantal Labonté. Musique originale : Mykalle Bielinski. Avec Xavier Huard, Léane Labrèche-Dor et Frédéric Millaire-Zouvi. Une production du Dôme, présentée à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 22 avril 2017.