Après avoir en quelque sorte écrit pour le corps, en collaboration avec Frédérick Gravel, mais aussi pour le jeune public, notamment sous la bannière du Théâtre de l’Œil, Étienne Lepage revient à ses premières amours. Dans Toccate et fugue, l’auteur règle ses comptes avec sa génération et son époque. La soirée entre amis est aussi cruelle que Rouge gueule et aussi claustrophobique que L’enclos de l’éléphant, mais, il faut le reconnaître, pas aussi achevée, pas aussi maîtrisée.
C’est tout d’abord l’hyperactif Daniel, alias DJ Hong Kong (Maxime Denommée), qui débarque chez Caro (Karine Gonthier-Hyndman), une jeune doctorante désabusée, et même franchement dépressive, assez pour avoir oublié que ses amis devaient se retrouver chez elle ce soir-là pour célébrer son anniversaire. Suivront son ex Guillaume (Mickaël Gouin), son amie Élise (Sophie Cadieux), elle-même obnubilée par Félix (Francis Ducharme), le dernier à se pointer. Pas besoin d’être psychologue pour comprendre que ces trentenaires souffrent d’un spectaculaire éventail de névroses, des déséquilibres que les comédiens traduisent brillamment, navigant continuellement entre la détresse et le délire, la vérité et l’excès.
Dans la mise en scène de ce quasi huis clos, Florent Siaud, qui s’attaque pour la première fois à un texte québécois, a choisi d’épouser l’animalité des personnages, leurs qualités de proie et de prédateur, leurs prédispositions à la soumission et à la domination. Ainsi, le salon de Caro s’apparente rapidement à une jungle, un lieu où les pulsions de vie et de mort s’incarnent de manière (un peu) plus explicite qu’en société.
Les bêtes humaines se nourrissent de thon rouge, de crevettes et de saumon. Autour du canapé, sous le palmier ou auprès de l’oisillon agonisant, leurs échanges et leurs chassés-croisés, au rythme apparemment chaotique, sont en fait réglés au quart de tour. On rit de moins en moins en assistant à ces troublants rituels de « séduction », ces danses inquiétantes, ces tractations qui traduisent d’abord et avant tout le désespoir des individus qui les exécutent, leur vide existentiel, mais aussi leurs terribles préjugés.
Quand une femme mystérieuse et pour ainsi dire muette (Larissa Corriveau) entre dans cet écosystème déjà fragile en talons hauts et en jupe courte, la soirée prend une tournure encore plus malsaine. Pourquoi ont-ils tous accepté de payer pour ses services, quels qu’ils soient, et qui peut bien les avoir initialement requis ? Sur cette femme, véritable bouc émissaire, coupable par excellence, victime toute désignée, les uns et les autres projetteront leurs désirs les plus sombres. Elle sera notamment la prostituée, l’immigrante, l’anglophone, la défavorisée, la menteuse et la criminelle.
Malheureusement, le procédé, qui donne d’abord vraiment froid dans le dos, finit par tourner à vide. Quand le rideau tombe, on reste avec le sentiment que l’auteur n’a pas trouvé sa chute, que le sort fait à ces êtres qui nous ressemblent tant, dans leur fragilité aussi bien que dans leur perfidie, n’est pas aussi éclairant qu’il aurait pu l’être.
Texte : Étienne Lepage. Mise en scène : Florent Siaud. Décor, costumes et accessoires : Romain Fabre. Accessoires : Fanny Denault. Éclairages : Nicolas Descoteaux. Musique : Julien Éclancher. Vidéo : David B. Ricard. Maquillages : Angelo Barsetti. Avec Sophie Cadieux, Larissa Corriveau, Maxime Denommée, Francis Ducharme, Karine Gonthier-Hyndman et Mickaël Gouin. Une production du Théâtre d’Aujourd’hui et des Songes turbulents. Au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 6 mai 2017.
Après avoir en quelque sorte écrit pour le corps, en collaboration avec Frédérick Gravel, mais aussi pour le jeune public, notamment sous la bannière du Théâtre de l’Œil, Étienne Lepage revient à ses premières amours. Dans Toccate et fugue, l’auteur règle ses comptes avec sa génération et son époque. La soirée entre amis est aussi cruelle que Rouge gueule et aussi claustrophobique que L’enclos de l’éléphant, mais, il faut le reconnaître, pas aussi achevée, pas aussi maîtrisée.
C’est tout d’abord l’hyperactif Daniel, alias DJ Hong Kong (Maxime Denommée), qui débarque chez Caro (Karine Gonthier-Hyndman), une jeune doctorante désabusée, et même franchement dépressive, assez pour avoir oublié que ses amis devaient se retrouver chez elle ce soir-là pour célébrer son anniversaire. Suivront son ex Guillaume (Mickaël Gouin), son amie Élise (Sophie Cadieux), elle-même obnubilée par Félix (Francis Ducharme), le dernier à se pointer. Pas besoin d’être psychologue pour comprendre que ces trentenaires souffrent d’un spectaculaire éventail de névroses, des déséquilibres que les comédiens traduisent brillamment, navigant continuellement entre la détresse et le délire, la vérité et l’excès.
Dans la mise en scène de ce quasi huis clos, Florent Siaud, qui s’attaque pour la première fois à un texte québécois, a choisi d’épouser l’animalité des personnages, leurs qualités de proie et de prédateur, leurs prédispositions à la soumission et à la domination. Ainsi, le salon de Caro s’apparente rapidement à une jungle, un lieu où les pulsions de vie et de mort s’incarnent de manière (un peu) plus explicite qu’en société.
Les bêtes humaines se nourrissent de thon rouge, de crevettes et de saumon. Autour du canapé, sous le palmier ou auprès de l’oisillon agonisant, leurs échanges et leurs chassés-croisés, au rythme apparemment chaotique, sont en fait réglés au quart de tour. On rit de moins en moins en assistant à ces troublants rituels de « séduction », ces danses inquiétantes, ces tractations qui traduisent d’abord et avant tout le désespoir des individus qui les exécutent, leur vide existentiel, mais aussi leurs terribles préjugés.
Quand une femme mystérieuse et pour ainsi dire muette (Larissa Corriveau) entre dans cet écosystème déjà fragile en talons hauts et en jupe courte, la soirée prend une tournure encore plus malsaine. Pourquoi ont-ils tous accepté de payer pour ses services, quels qu’ils soient, et qui peut bien les avoir initialement requis ? Sur cette femme, véritable bouc émissaire, coupable par excellence, victime toute désignée, les uns et les autres projetteront leurs désirs les plus sombres. Elle sera notamment la prostituée, l’immigrante, l’anglophone, la défavorisée, la menteuse et la criminelle.
Malheureusement, le procédé, qui donne d’abord vraiment froid dans le dos, finit par tourner à vide. Quand le rideau tombe, on reste avec le sentiment que l’auteur n’a pas trouvé sa chute, que le sort fait à ces êtres qui nous ressemblent tant, dans leur fragilité aussi bien que dans leur perfidie, n’est pas aussi éclairant qu’il aurait pu l’être.
Toccate et fugue
Texte : Étienne Lepage. Mise en scène : Florent Siaud. Décor, costumes et accessoires : Romain Fabre. Accessoires : Fanny Denault. Éclairages : Nicolas Descoteaux. Musique : Julien Éclancher. Vidéo : David B. Ricard. Maquillages : Angelo Barsetti. Avec Sophie Cadieux, Larissa Corriveau, Maxime Denommée, Francis Ducharme, Karine Gonthier-Hyndman et Mickaël Gouin. Une production du Théâtre d’Aujourd’hui et des Songes turbulents. Au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 6 mai 2017.