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Anne-Marie Ouellet : la vieillesse avec tendresse

© Yves Dubé

Après Impatience, qui mettait en scène des adolescents, la compagnie l’Eau du bain poursuit sa démarche documentaire en invitant sur scène des personnes âgées. « Nous voilà rendus, lance la metteure en scène Anne-Marie Ouellet, c’est une petite fête pour le plaisir d’être ensemble avant d’être morts. »

Pour la création du spectacle à l’Usine C en mars 2017, Ouellet avait travaillé avec les résidents d’un CHSLD. À Québec, le Carrefour international de théâtre a contacté les pensionnaires de la résidence privée Saint-Patrick. Entre les deux établissements, la metteure en scène a constaté une grande différence de traitement : « À Saint-Patrick, les gens sont autonomes. Ils vivent dans un petit appartement, ils ont un espace personnel au sein de la collectivité, ils profitent de beaucoup de services et d’activités. »

© Yves Dubé

 

Un choix politique et affectif

Si parler de la vieillesse, montrer des personnes âgées sur scène, dans une société qui a tellement peur de vieillir est un choix politique, c’est aussi et d’abord un choix affectif pour Anne-Marie Ouellet, motivée par une expérience personnelle d’accompagnement de son oncle, qui l’a amenée à passer du temps dans un CHSLD : « À chaque visite, j’étais fascinée. On voit des gens dans tous les stades d’autonomie. J’avais envie de créer autour de ce sentiment, de cette relation avec ces gens, proches de l’enfance, qui éprouvent beaucoup de joie, mais aussi de tristesse. Les gens dans les résidences vivent en marge de la société. On s’y installe que si on est obligé de le faire et les familles y vont le moins possible. »

Pour cette recréation à Québec, Anne-Marie Ouellet a mené, comme à Montréal, des ateliers avec les personnes âgées : « Ils sont loin des acteurs qu’on voit d’habitude, ils sont loin d’être performants et dans l’assurance. Pendant les rencontres, on écrit, on trouve des façons de mettre leur parole en action. Le texte écrit n’est pas appris, on construit le spectacle d’après la personnalité des gens en présence. Une partie de la structure du spectacle demeure la même : éclairage, vidéo et son. Ce qui change, c’est le contenu. »

Comment faire jouer des non-acteurs? « Ils ont des barèmes d’improvisation, explique Ouellet. Ils vont se présenter, parler de leur vie. J’essaie de trouver des stratégies pour ne pas en faire des acteurs. Tout au long du spectacle, on les accompagne avec de la musique. Ils portent des écouteurs intra-auriculaires, ce qui nous permet de les guider, de cadrer le temps de parole, de leur faire passer de la musique pour éveiller leurs souvenirs, pour les aider à se raconter. Ils peuvent ainsi s’abandonner au plaisir de dire ce qu’ils veulent, sans se soucier de la mise en scène. »

© Yves Dubé

 

Documentaire et fiction

Plutôt que de théâtre documentaire, nous sommes ici dans la docu-fiction. Les personnes âgées ont le droit d’inventer, de mentir. À certains moments, ils disent la vérité, à d’autres ils incarnent un personnage. La poésie est plus importante que ce qui est dit. Mais n’y a-t-il pas dans cette démarche le risque de placer le spectateur dans la position du voyeur?

« Oui, le risque existe et m’a fait peur, avoue Anne-Marie Ouellet. J’étais terrorisée à l’idée de faire un spectacle misérabiliste, que les gens soient mal à l’aise. Comment éviter ça? Je reste attentive à la notion de plaisir, à la façon de mettre les “acteurs” le plus à l’aise possible. La musique le permet, elle les enveloppe, les accompagne. Pendant le spectacle, je suis avec eux sur le plateau, prête à intervenir, disponible pour eux. Ils sont vraiment heureux d’être sur scène, c’est une expérience importante pour eux, et c’est très enrichissant pour nous de les côtoyer. »

Nous voilà rendus

Mise en scène : Anne-Marie Ouellet. Son : Thomas Sinou. Éclairages : Nancy Bussières. Vidéo : Hugo Dalphond. Une coproduction de la compagnie l’Eau du bain et de l’Usine C. Avec Georges Audet, Justyne Boutin, Claudette Cantin, Claire Nolet et Pauline Ouellet. À la Caserne Dalhousie, à l’occasion du Carrefour international de théâtre de Québec, du 3 au 5 juin 2017.