Critiques

7 Pleasures : Appel à la célébration

© Marc Courdais

La réputation de Hair, la comédie musicale américaine de 1967, succès sur Broadway comme à Paris, puis grâce au film de Milos Forman, a rejoint même ceux qui n’étaient pas nés. Tous savent qu’on y fêtait la nudité, la communauté hippie, les valeurs libertaires et rebelles, l’opposition à la Guerre du Vietnam. 7 Pleasures, la chorégraphie de Mette Ingvartsen, est un clin d’œil à Hair, mis en contexte actuel.

Rencontrant le public québécois, la créatrice danoise installée à Bruxelles rappelait que le Danemark a été le premier à libéraliser la pornographie en 1967, confiant que sa propre mère était hippie. Mature par sa clarté d’esprit et son aisance corporelle, elle propose l’audace d’un nouveau vivre ensemble : la pièce 7 Pleasures repose sur la sensorialité, face au consumérisme ambiant, à l’hypersexualité sur Internet et à l’omnipotence de la publicité.

Hommage au nu, arboré par douze fiers interprètes bientôt dévêtus, certains à même le public, cette pièce lente, en 7 tableaux imprévisibles, décline recherche et expérience : comment vivre ensemble, fusionnés par le contact, en matériau corporel pur? Sens dessus dessous, fluide et malléable, l’intime exposé est touché sans prévalence de code.

Fusion du multiple

Ils viennent de partout − Allemagne, Belgique, Suède, Israël… − et travaillent en synergie à Bruxelles. Ces interprètes se pressent, se roulent les uns sur les autres, collants et décollés, les yeux fermés, dormeurs agités par d’invisibles rêves. Sur la scène, on voit cette masse de chair onduler, ondoyer par-dessus divan, chaises, table et objets quotidiens. Les corps les enrobent, élastiques et réhumanisés selon les lois d’un autre monde. La nudité ajoute la fragilité à ce chaos reptilien.

Suit une longue scène de tremblements sur d’obsédantes percussions. Tout bouge, à la manière des nus de Jérôme Bel, mais rien ne s’y fige. Seins, épaules, membres, pénis, chacun se démonte sans renoncer à son humanité, c’est-à-dire sans ironie ni caricature, musical et dansant jusqu’à la transe. Pas de carcasse sèchement secouée, mais des pointes de sexualité et d’extase. Par la beauté singulière des accords, ces rythmes harmonisent la performance en livrant une tonalité fantastique.

Au tableau suivant, une logique complexe de composition orgiaque se déroule au sol. Il y a du jeu, du rêve, des emprises brutales, des allusions sexuelles; mais on s’en dégage par le toucher de son voisin, qui passe et glisse en comparse salvateur. Nulle violence ne s’imprime. Pourtant, les corps frottés finiront par rougeoyer, la peau subissant les effets de la chaleur.

Nocturnes

Les deux scènes qui suivent contrastent par la présence de personnages vêtus entre les corps nus. Dans les espaces créant de subtiles distances, le spectateur, comme le danseur, se repose l’œil à sa guise; il peut choisir entre ces costumes noirs intrusifs et la débauche surréelle. Beaucoup d’images lui traverseront l’esprit, promiscuité envahissante de ses propres voisins, relations sadiques, boîtes de nuit, films de guerre, documents crus, confrontations urbaines, mangas.

Ces relations corporelles détournent les accessoires. Tuyaux, sangles, ficelles, ustensiles quotidiens ou plante de salon, tout participe à une danse triomphant des repères fonctionnels. Prendre, faire circuler, détourner, partager, faire disparaître : rien dont la chair ne puisse reprendre le contrôle. Ce monde sensoriel, égalitaire et «transhumaniste», livrant tout au regard et à la sensation, appelle à la célébration. Même des odeurs de corps deviennent sensibles dans les gradins.

7 Pleasures

Chorégraphie : Mette Ingvartsen. Scénographie : Mette Ingvartsen et Minna Tikkainen. Éclairages : Minna Tikkainen. Musique : Peter Lenaerts. Musiques originales : Will Guthrie. Avec Johanna Chemnitz, Katja Dreyer, Bruno Freire, Elias Girod, Gemma Higginbotham, Dolores Hulan, Calixto Neto, Danny Neyman, Norbert Pape, Pontus Pettersson, Manon Santkin et Hagar Tenenbaum. Une production de Mette Ingvartsen/ Great Investment. À l’Usine C, à l’occasion du Festival TransAmériques, jusqu’au 27 mai 2017.