Critiques

Spoon : Artistes en herbe

Nicolas Cantin

Que serait un spectacle qui ne serait pas un spectacle? Une performance pour non-danseurs, une thérapie ou, encore, une improvisation. Or, le non-spectacle de Nicolas Cantin, Spoon, n’est rien de cela. Durant une heure, deux fillettes seules en scène jouent, parlent, dessinent et dansent, improvisant des scènes bien encadrées, qu’elles diront, concentrées, faire défiler en ordre.

Nicolas Cantin

Fiona a conscience de tout ce qu’elle fait. Elle aime être regardée, vue sur la scène dans son propre rôle. Elle n’a pas encore perdu sa fraîcheur vive. Gaïa, avec ses trois ans de moins, est une enfant subtile, pleine de joie et de rires enfantins. Elle aussi a compris que sa liberté se tient entre des murs noirs, des contraintes, des limites.

Entre le plaisir et le devoir de faire, tout tient dans le doigté qui fait émerger le naturel. Elles imitent, inventent et reproduisent, dans une confiance réciproque. Imaginez un enfant et un docteur qui ne soignerait pas un toutou; un enfant et un architecte qui ne construirait pas de maisons; un enfant et un professeur qui ignorerait le livre tendu; difficile! Jouer ou transmettre, c’est fabriquer une histoire toujours nouvelle.

Nicolas Cantin

Prodiges

Nicolas Cantin parle d’elles comme d’interprètes, car il a semé des graines artistiques; mais le spectacle est éloigné des conventions. Qu’elles se nomment ou déclinent leur famille, elles sont inimitables. Qu’elles jouent en miroir, elles sont libres de faire avec leur humeur. Gaïa danse joliment sur une musique qui l’inspire, elle chantera un blues à sa manière; c’est personnel, instantané, frais, revu par son âge et son charme sans fard. Fiona dessine, puis elle danse comme elle l’a vu, dans la transition de son âge. Ni l’une ni l’autre ne sont des enfants sauvages.

Sous le tapis, Gaïa se masque. Quand elle apparaît, elle entend rire le public, qui songe que faire du théâtre, quand on est lilliputien, c’est se moquer du sérieux des grandes personnes, hommes publics ou géants. Elle hésite, puis court vers le mur du fond, sur lequel elle imprime ses mains, comme l’artiste des cavernes. Sait-on ce que cela signifie, à travers les âges, des temps reculés comme aujourd’hui, à huit ans?

Nicolas Cantin

Les gestes improvisés de danse transposent l’écoute musicale. Cette immédiateté fascine l’adulte, le professionnel de la scène blasé. En arrière, il y a des heures de connivence entre chacune, Katya Montaignac et Nicolas Cantin. Il a fallu des regards, de la complicité, et lâcher du lest, pour que l’expérience ait lieu. Mais l’aventure scénique ne tiendrait pas sans ces présences, remparts dans l’ombre.

Imprévu

Le risque de l’improvisation est inversement proportionnel à l’âge. Cantin a proposé de la magie, de la fumée, de la musique. Ses objets fétiches, venus de spectacles anciens, seraient inutiles sans les micros, le masque, la couverture, les crayons. Il y a des bonbons, du maïs soufflé, des récompenses de cirque un peu ambiguës pour soutenir l’imagination.

Nicolas Cantin

Le jeu des définitions est très drôle. Les fillettes, relevant le défi de s’interpeller, répondent avec sérieux et fantaisie. Le bilinguisme ajoute à leur coquetterie un lien fort entre le dressage et la culture. L’école n’est jamais loin. À 11 ans, à 8 ans, on est déjà policée par la société, habituée à apprendre. Mais on voudrait ici toucher la chair des mots, l’origine de la danse, l’imprévu en séance, tous ces objets de livres savants.

Peut-on imaginer ces fillettes rentrer dans le rang collectif? Elles disent très bien que le théâtre, c’est aussi la crise de nerfs. Imiter, faire et refaire, plus qu’un jeu, c’est un enjeu qu’elles sont à même de commenter. Pour les uns, là est la magie! Pour les fillettes, c’est de céder à l’insatiable désir de plaire. N’est-ce pas la clé pour grandir?

Spoon

Un spectacle de Nicolas Cantin. Complicité artistique : Katya Montaignac. Éclairages : Karine Gauthier. Avec Fiona Chevarier et Gaïa Won De Jong. Une coproduction de Nicolas Cantin, de Daniel Léveillé Danse, du Festival TransAmériques et de la Chapelle. À la Chapelle, à l’occasion du Festival TransAmériques, jusqu’au 29 mai 2017.