La scène s’éveille brusquement, secouée par une musique rock mariée à un cante (chant) flamenco. Puis, c’est le silence et Rocío Molina apparaît, sculpturale dans sa robe blanche, prolongée d’une ample traîne à volants qui évoquera tantôt l’écume qui suit Vénus naissant de la mer, tantôt un douillet matelas, tantôt une queue de sirène pour la danseuse qui rampera lentement sur le sol, pieds nus, tout en vrillant des mains dans la plus pure tradition flamenca.
La table est mise : Caída del cielo sera un spectacle tout en contrastes et son héroïne bravera toutes les interdictions. L’effet en est si libérateur, que l’auditoire, pourtant conditionné à maintenir une discrétion à toute épreuve dans la salle, lancera de multiples interjections d’encouragement tout au long de sa prestation à cette artiste andalouse pour qui, apparaissant toute-puissante au milieu de ses musiciens mâles, rien ne semble impossible.
Mêlant les ports de bras et les coups de pieds typiques du flamenco avec la liberté gestuelle de la danse contemporaine, c’est de tout son corps que Molina martèle la scène. Et ce n’est pas la seule hardiesse qu’elle s’autorise. Influencée par la grande Maria Pagés, dont elle a déjà fait partie de la troupe, la danseuse use entre autres d’accessoires et de costumes singuliers afin de renouveler son art. En fait, d’aucuns pourraient avancer que son rapport aux tissus, que le lien qui l’unit aux matières qu’elle revêt pour se livrer aux mouvements qu’elle a agencés est aussi symbiotique que celui qu’entretenait la mythique Loïe Fuller avec son propre attirail de danse.
Des costumes audacieux, une attitude impériale
S’extirpant de son fourreau blanc comme d’une chrysalide, révélant ainsi une nudité solennelle et inexpugnable, la danseuse revêtira tour à tour, et avec une impressionnante superbe, les habits du toréador (en s’appropriant du même coup le vocabulaire flamenco habituellement réservé aux hommes), un harnais d’où pend un sac de croustilles, métaphore humoristique d’un sexe masculin, puis un peignoir à capuche rappelant ceux des boxeurs. Or, qu’elle arbore ces tenues martiales ou encore les plus fluides et féminins des oripeaux, Rocío Molina reste du début à la fin de sa création (mise en scène par son complice Carlos Marquerie) une guerrière fascinante, dominant la scène, domptant la musique de tous les membres de son corps et subjuguant les spectateurs qui deviennent inéluctablement les apôtres du projet artistique défendu par la jeune femme, qui consiste essentiellement à faire d’un art traditionnel ce que bon lui semble.
Cette pugnace déesse se fera d’ailleurs laver les pieds par l’un de ses musiciens, après avoir revêtu, puis traîné sur toute la scène, une jupe de plastique enduite de peinture. Si le tableau géant ainsi esquissé (et retransmis sur le grand écran formant le mur du fond) propose de belles images, son élaboration représente aussi le moment le moins captivant de la soirée, puisqu’il est presque exempt de ces mouvements flamencos que Molina maîtrise si parfaitement. Le spectacle reprend bien de l’allant après ce numéro, mais la dépouille de la jupe souillée, gisant au centre de la scène, empêche la jeune femme d’occuper pleinement l’espace et obstrue à quelques moments la vue du public sur son jeu de pied foudroyant.
Ce n’est véritablement qu’au numéro final que l’on retrouve la fougue, l’humour et le plein charisme de l’interprète et chorégraphe dont la maestria laisse pantois et dont la puissance ébahit. C’est d’ailleurs dans la salle, au milieu de ses nouveaux disciples, qu’elle termine sa campagne, acclamée comme une héroïne tombée du ciel (caída del cielo), comme une figure d’émancipation féminine d’une trempe telle que l’on en rencontre peu au cours d’une vie.
Chorégraphie et direction musicale : Rocío Molina. Dramaturgie, mise en scène et éclairages : Carlos Marquerie. Musique : Eduardo Trassierra. Costumes : Cecilia Molano. Avec Rocío Molina, Eduardo Trassiera, José Ángel Carmona, José Manuel Ramos «Oruco» et Pablo Martín Jones. Une production de Danza Molina S. L. À la Salle Ludger-Duvernay du Monument-National, à l’occasion du Festival TransAmériques, jusqu’au 8 juin 2017.
La scène s’éveille brusquement, secouée par une musique rock mariée à un cante (chant) flamenco. Puis, c’est le silence et Rocío Molina apparaît, sculpturale dans sa robe blanche, prolongée d’une ample traîne à volants qui évoquera tantôt l’écume qui suit Vénus naissant de la mer, tantôt un douillet matelas, tantôt une queue de sirène pour la danseuse qui rampera lentement sur le sol, pieds nus, tout en vrillant des mains dans la plus pure tradition flamenca.
La table est mise : Caída del cielo sera un spectacle tout en contrastes et son héroïne bravera toutes les interdictions. L’effet en est si libérateur, que l’auditoire, pourtant conditionné à maintenir une discrétion à toute épreuve dans la salle, lancera de multiples interjections d’encouragement tout au long de sa prestation à cette artiste andalouse pour qui, apparaissant toute-puissante au milieu de ses musiciens mâles, rien ne semble impossible.
Mêlant les ports de bras et les coups de pieds typiques du flamenco avec la liberté gestuelle de la danse contemporaine, c’est de tout son corps que Molina martèle la scène. Et ce n’est pas la seule hardiesse qu’elle s’autorise. Influencée par la grande Maria Pagés, dont elle a déjà fait partie de la troupe, la danseuse use entre autres d’accessoires et de costumes singuliers afin de renouveler son art. En fait, d’aucuns pourraient avancer que son rapport aux tissus, que le lien qui l’unit aux matières qu’elle revêt pour se livrer aux mouvements qu’elle a agencés est aussi symbiotique que celui qu’entretenait la mythique Loïe Fuller avec son propre attirail de danse.
Des costumes audacieux, une attitude impériale
S’extirpant de son fourreau blanc comme d’une chrysalide, révélant ainsi une nudité solennelle et inexpugnable, la danseuse revêtira tour à tour, et avec une impressionnante superbe, les habits du toréador (en s’appropriant du même coup le vocabulaire flamenco habituellement réservé aux hommes), un harnais d’où pend un sac de croustilles, métaphore humoristique d’un sexe masculin, puis un peignoir à capuche rappelant ceux des boxeurs. Or, qu’elle arbore ces tenues martiales ou encore les plus fluides et féminins des oripeaux, Rocío Molina reste du début à la fin de sa création (mise en scène par son complice Carlos Marquerie) une guerrière fascinante, dominant la scène, domptant la musique de tous les membres de son corps et subjuguant les spectateurs qui deviennent inéluctablement les apôtres du projet artistique défendu par la jeune femme, qui consiste essentiellement à faire d’un art traditionnel ce que bon lui semble.
Cette pugnace déesse se fera d’ailleurs laver les pieds par l’un de ses musiciens, après avoir revêtu, puis traîné sur toute la scène, une jupe de plastique enduite de peinture. Si le tableau géant ainsi esquissé (et retransmis sur le grand écran formant le mur du fond) propose de belles images, son élaboration représente aussi le moment le moins captivant de la soirée, puisqu’il est presque exempt de ces mouvements flamencos que Molina maîtrise si parfaitement. Le spectacle reprend bien de l’allant après ce numéro, mais la dépouille de la jupe souillée, gisant au centre de la scène, empêche la jeune femme d’occuper pleinement l’espace et obstrue à quelques moments la vue du public sur son jeu de pied foudroyant.
Ce n’est véritablement qu’au numéro final que l’on retrouve la fougue, l’humour et le plein charisme de l’interprète et chorégraphe dont la maestria laisse pantois et dont la puissance ébahit. C’est d’ailleurs dans la salle, au milieu de ses nouveaux disciples, qu’elle termine sa campagne, acclamée comme une héroïne tombée du ciel (caída del cielo), comme une figure d’émancipation féminine d’une trempe telle que l’on en rencontre peu au cours d’une vie.
Caída del cielo
Chorégraphie et direction musicale : Rocío Molina. Dramaturgie, mise en scène et éclairages : Carlos Marquerie. Musique : Eduardo Trassierra. Costumes : Cecilia Molano. Avec Rocío Molina, Eduardo Trassiera, José Ángel Carmona, José Manuel Ramos «Oruco» et Pablo Martín Jones. Une production de Danza Molina S. L. À la Salle Ludger-Duvernay du Monument-National, à l’occasion du Festival TransAmériques, jusqu’au 8 juin 2017.