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La vie littéraire de Christian Lapointe

© Carte Blanche

Lors de la journée mondiale de l’alphabétisation (le 8 septembre), Radio-Canada annonçait que «plus de 53% des Québécois de 16 à 65 ans éprouvent de grandes difficultés de lecture, qui vont parfois jusqu’à l’analphabétisme». Par ailleurs, selon l’Institut de la statistique du Québec, les ventes de livres auraient chuté de 11% au Québec entre 2012 et 2016. Bien sûr, ces chiffres sont alarmants, comme le constat qui va avec. «À quoi ça sert d’apprendre l’histoire? Si je veux savoir quelque chose, je vais sur Wikipédia», me disait une ado l’autre jour.

Heureusement, il reste encore quelques joyeux utopistes qui n’ont pas encore baissé les bras, qui font de la promotion de la littérature et de la lecture un de leur cheval de bataille. Christian Lapointe, homme de théâtre, est de ceux-là. Pour lui, il est important d’encourager les gens à la lecture, car «elle est intimement liée à l’esprit critique». C’est dans cet esprit qu’il a imaginé Notre bibliothèque, un happening de lecture se déroulant d’abord à Québec, au Musée national des beaux-arts, puis à Montréal, au Théâtre de Quat’Sous, et finalement à Bruxelles, au Théâtre 140.

Un événement festif et rassembleur

L’idée est simple: quelques semaines avant l’événement, des microbibliothèques de rue sont installées dans les environs du théâtre, et les gens sont invités à y déposer des livres. Toutes sortes de livres. Au moment des soirées, ces livres sont apportés sur la scène du théâtre, où des lecteurs en liront des extraits à vue, sans préparation, chacun pendant 30 minutes. À Québec, 24 lecteurs et lectrices sont convoqués, ce qui représente six heures de lecture par soir, de 18h à minuit.

«Ce projet découle de l’aventure Artaud», dit Christian Lapointe. Une performance pendant laquelle l’homme de théâtre a lu les œuvres d’Artaud pendant trois jours et deux nuits à la Chapelle, lors de l’édition 2015 du FTA. «Dans la salle, raconte t-il, se trouvait Astrid Van Impe, nouvelle directrice du 140 à Bruxelles. Elle était bouleversée, et voulait qu’on fasse quelque chose ensemble. Je ne voulais pas relire Artaud, ni lui proposer une de mes pièces, mais faire œuvre de création. Aussi, nous avons eu l’idée de ce projet de bibliothèques.»

Sortir le théâtre du théâtre, le faire exister en dehors de ses murs et qu’il rayonne dans la cité est une volonté déclarée de bien des directeurs artistiques. Lapointe, lui, le fait: «Ce projet permet d’inscrire le théâtre dans la vie de son quartier de façon pérenne. L’idée c’est que, dans un quartier environnant un théâtre, on peut faire des actions citoyennes qui mènent à la création d’une œuvre d’art temporaire, une soirée de lecture. Ce que j’ai aimé de l’aventure d’Artaud, c’est qu’il n’y avait pas de billets, il fallait apporter des fleurs pour entrer. Ici, le prix d’entrée sera un livre. Échapper au mécanisme marchand de l’art est un enjeu, et c’est difficile. Ça permettra d’accumuler un fonds de livres pour alimenter les bibliothèques de rue.»

Autour du Périscope, lieu initialement prévu pour ce marathon de lecture, présentement en travaux, six ou sept bibliothèques de rue ont été installées, qui vont par la suite rester en place: «Nous faisons ce que les gens au pouvoir ne font pas, affirme Lapointe. Il y a une part de devoir citoyen pour moi là-dedans.»

Julie Gauthier

Les lecteurs viennent de tous les horizons. Si on retrouve parmi eux une majorité de gens de théâtre, Lapointe est allé chercher des personnes qui «s’intéressent à la question publique de la lecture et ont envie de participer à la vie d’un théâtre». Ainsi, nous retrouverons dans les rangs le rappeur Webster, le chanteur et compositeur Keith Kouna, Bernard Gilbert, directeur de la Maison de la littérature de Québec, Paul-Albert Plouffe, un des piliers de la Librairie Pantoute, ou encore Marie-Claude Plourde, traductrice. Tout ce beau monde sera accompagné par deux musiciens, Stéphane Caron et Frédérick Desroches.

«Dans les bibliothèques de rue, on trouve souvent de vieux livres pas très intéressants, on a donc amorcé la chose en déposant des livres. Ainsi, dans le fonds, on a des choses très chouettes. Pendant les soirées, on va passer de Karl Marx à Perrine Leblanc et Victor Hugo. Et il y a certainement des gens qui liront des livres de recettes de cuisine!»

De quoi nous mettre l’eau à la bouche…

Notre bibliothèque

Conception et direction artistique: Christian Lapointe. Collaboration à la direction artistique: Marie-Hélène Gendreau. Conception et construction des boites: Paul Boudreau/La bibliothèque de la rue, Denis Lapointe, Cléophas Robin et Guillaume Sylvain. Une production de Carte Blanche et du 140 (Bruxelles). Présenté par le Périscope à la Salle Multi du pavillon Central du Musée national des beaux-arts de Québec les 29 et 30 septembre 2017. Au Théâtre de Quat’Sous du 24 au 26 janvier 2018. Au Théâtre 140 (Bruxelles) le 29 septembre 2018. Au Théâtre de Quat’Sous, à l’occasion du FIL, le 30 septembre 2018.