Critiques

Les Secrets de la Petite Italie : Une famille en pièces

Caroline Laberge

Après Mambo Italiano (2000) et Les Chroniques de Saint-Léonard (2014), Steve Galluccio est de retour chez Duceppe avec Les Secrets de la Petite Italie. Mise en scène par Monique Duceppe, comme les deux précédentes, la pièce est l’une de ces comédies dramatiques familiales à la sauce italienne dont le public de la compagnie raffole.

Caroline Laberge

Difficile d’imaginer un théâtre qui fasse davantage appel aux conventions. Unité de lieu, de temps et d’action. Situation initiale, élément perturbateur, déclenchement et péripéties des plus prévisibles. Sans parler des personnages dessinés à l’emporte-pièce et du souci constant de susciter le rire. À vrai dire, le salon kitsch de cette famillia pour le moins dysfonctionnelle déborde littéralement de ressorts dramatiques.

Abandonné par sa femme le Jour de la San Giuseppe, Tony (Roger La Rue) voit ses proches débarquer les uns après les autres. Son fils Steve (Davide Chiazzese) et sa femme Cristina (Pascale Montreuil), un couple on ne peut plus désassorti. Lia (Danièle Lorain) et Mara (Marie Michaud), les amies de la famille, médisantes et névrosées. Aussi au salon, cloué à son fauteuil roulant, on trouve Lino (Michel Dumont), le patriarche hanté par la guerre.

Caroline Laberge

Sur la disparition d’Amanda, toutes les théories circulent, de l’amant jusqu’à l’enlèvement. On comprend vite que tout ce beau monde a fait du mensonge un art. Toute une galerie de personnages entretenant le déni et le repli sur soi, empêtrés dans la dépression, l’infidélité, l’intolérance et les préjugés. C’est cette culture du secret que le départ de la mère de famille vient irrémédiablement briser. Quand débarque l’autre fils, celui qu’on n’avait pas vu depuis des années, celui qu’on avait chassé à coup de batte de baseball alors qu’il n’avait que 16 ans, dont on avait l’habitude de dire qu’il était mort parce qu’il avait osé devenir Ivana, tout à coup le drame prend toute la place.

À ce moment-là, nonobstant toutes les couches de clichés et de caricatures appliquées auparavant, l’émotion est à son comble. C’est qu’il y a dans le règlement de comptes poignant entre Ivana et les siens, et ce malgré un sens aigu du mélodrame qu’on flaire à cent lieux, une vérité, une authenticité, en somme une lucidité qui balaie tout le reste. S’expriment alors d’étonnantes nuances sur les enjeux familiaux, sociaux, culturels et générationnels rattachés à la question du genre.

Caroline Laberge

Cette justesse tient essentiellement au texte, bien entendu, mais aussi beaucoup à l’interprétation de François-Xavier Dufour, qui trouve dans ce rôle casse-gueule l’un de ses plus grands en carrière. Dans les vêtements vaporeux d’Ivana, le comédien navigue tout naturellement entre la dérision et la confession, à même de faire valoir l’immense courage du personnage en même temps que sa troublante fragilité.

Les Secrets de la Petite Italie

Texte: Steve Galluccio. Mise en scène: Monique Duceppe. Scénographie et accessoires: Normand Blais. Costumes: Pierre-Guy Lapointe. Éclairages: Éric Duval. Musique: Christian Thomas. Avec Davide Chiazzese, François-Xavier Dufour, Michel Dumont, Roger La Rue, Danièle Lorain, Marie Michaud et Pascale Montreuil. Au Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 2 décembre 2017.

Christian Saint-Pierre

Critique de théâtre, on peut également le lire dans Le Devoir et Lettres québécoises. Il a été rédacteur en chef et directeur de JEU de 2011 à 2017.