Critiques

L’Iliade : Battle rap

Gunther Gamper

Marc Beaupré ne craint pas de se frotter aux chefs-d’œuvre du théâtre, de les revisiter en les modifiant, pour en donner un objet complètement nouveau. On se souvient de l’excellent Caligula_remix, puis il y a eu Dom Juan_uncensored, Hamlet_director’s cut, et maintenant il s’attaque à l’immense poème épique d’Homère dans un spectacle qu’il aurait pu intituler L’Iliade_battle rap.

Gunther Gamper

Avec L’Iliade version Beaupré, on assiste à une mise en valeur de la musicalité du texte, ce qui nous ramène à l’origine de la tragédie, étymologiquement «le chant du bouc». Précédant de quelques siècles les tragiques (Eschyle, Sophocle, Euripide), Homère représente à lui seul le genre épique. Le plus grand défi aura été l’adaptation de ce texte en grec archaïque dans une langue française supportant bien l’oralité scandée, rythmée, parfois chantée pour répondre au projet du metteur en scène. S’il flirte avec la culture hip-hop dans son approche du texte, Beaupré ne tombe jamais dans le cliché du rap pour séduire la clientèle adolescente du Théâtre Denise-Pelletier.

L’Iliade raconte les derniers jours de la guerre de Troie opposant les Grecs aux Troyens. On parle de la guerre et on en discute abondamment, mais on ne la montre pas, c’est ce que relate Alessandro Baricco, l’autre source d’inspiration de Beaupré. C’est la manière d’intégrer le discours pacifiste des femmes présent en filigrane dans toute l’œuvre d’Homère. L’épopée homérique a également été expurgée de toutes références aux divinités et de nombreux personnages, pour ne garder que Ménélas, Agamemnon, Patrocle et Achille, résumant l’armada grecque, et Hector, Pâris, Andromaque et Cassandre, du côté troyen.

Gunther Gamper

Quand l’immense plateau est révélé suite à la montée du rideau, nous avons l’impression de nous retrouver dans un espace cher à Peter Brook, recouvert en grande partie de tapis turcs et laissant voir les murs nus du théâtre, avec tout l’appareillage électrique, les fils, les lumières, etc. Un espace vide où sont suspendus quelques éléments qui contribueront aux rythmes et à la musique composée et interprétée par Stéfan Boucher, assisté par Olivier Landry-Gagnon. Leur présence est capitale, ils accompagnent et appuient les interprètes, leur permettant de rendre avec une précision inouïe les nombreux moments en chœur.

Ce n’est pas le seul élément spectaculaire de cette pièce: les lumières mobiles d’Étienne Boucher donnent par moments une allure de concert rock au spectacle, qui atteint son apothéose dans le monologue de Patrocle, Émile Schneider incarnant avec justesse ce qui se rapproche le plus de l’icône rap évoquant une des valeurs implicites au mouvement hip-hop, le dépassement de soi. L’interprétation magistrale d’Emmanuel Schwartz ne laisse aucun doute sur la grandeur du héros considéré comme un demi-dieu. Toute la beauté de cette pièce repose sur la transposition de la violence guerrière en art, se matérialisant ici dans la gestuelle chorégraphiée du chœur et dans ses «chants» aux rythmes appuyés.

L’Iliade

Texte: Homère et Alessandro Barricco. Adaptation et mise en scène: Marc Beaupré. Musique: Stéfan Boucher, assisté d’Olivier Landry-Gagnon. Dramaturgie: Marie-Claude Verdier. Scénographie: François Blouin. Costumes: Sarah Balleux. Éclairages: Étienne Boucher. Maquillage et coiffure: Florence Cornet. Accessoires: Julie Measroch. Mouvement: Simon-Xavier Lefebvre. Langage des signes: Sarah Turbide. Avec Stéfan Boucher, Maya Kuroki, Olivier Landry-Gagnon, Justin Laramée, Catherine Larochelle, Louis-Olivier Mauffette, Jean-François Nadeau, Emile Schneider, Emmanuel Schwartz et Guillaume Tremblay. Une coproduction du Théâtre Denise-Pelletier et de Terre des Hommes. Au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 6 décembre 2017.

Jean-Claude Côté

À propos de

Collaborateur de JEU depuis 2016, il a enseigné le théâtre au Cégep de Saint-Hyacinthe et au Collège Shawinigan. Il a également occupé pendant six ans les fonctions de chroniqueur, critique et animateur à Radio Centre-Ville.