Critiques

Mythomania : Amour en définition

Justine Latour

Ne reculant pas devant la recherche formelle et tentant depuis quelques années de faire naître une esthétique sophistiquée qui fait dialoguer théâtre et écrans, le metteur en scène Nicolas Berzi offre en compagnie du scénographe Jean-François Boisvenue un théâtre d’essai qui en fait parfois trop et qui risque de nous perdre. Exigeant théâtre de présence, de sons et d’écrans, Mythomania est une installation théâtrale qui émeut par sa plasticité, mais qui embrouille par sa dramaturgie chargée et (trop) multidirectionnelle, tentant de raconter l’amour postmoderne en flirtant avec toutes ses définitions.

Justine Latour

Au cœur d’une scénographie de cubes plus ou moins emboîtés qui deviendront surfaces écraniques, la comédienne Livia Sassoli interprète différents visages de l’amour. Elle recourt d’abord à l’imaginaire du conte, teinté de la naïveté de l’enfance et d’une certaine mélancolie, puis à celui de la philosophie antique, à partir de la théorie des âmes sœurs de Platon, avant de se retrouver immergée de considérations sur un amour virtuel bien contemporain, à travers une démultiplication de soi en quelques variations virtuelles de son image. Le spectacle se meublera aussi de touches de science physique, utilisant des théories neuves pour démonter le mensonge du couple fusionnel auquel nous serions tous biologiquement destinés.

Dans tout ce bazar, où est donc la mythomanie évoquée par le titre de l’œuvre? Probablement dans cette idée que le couple est un mensonge, que les multiples embranchements de l’amour dans lesquels nous sommes aspirés empêchent toute réalisation épanouissante ou totalisante de l’amour – lequel existe dans la mythologie bien davantage que dans le réel. Soit. Voilà qui donne une bonne base à d’éventuelles discussions post-spectacle entre amis. Mais de cette pièce polyphonique dans laquelle les idées sont dramaturgiquement plus ou moins bien connectées, le spectateur risque de manquer de prise ou de chercher trop longuement des bouées de sens auxquelles s’accrocher.

Justine Latour

Heureusement, il y a une expérience visuelle et sonore à embrasser, à condition d’être capable d’un peu d’abandon et de se laisser traverser davantage par le sensoriel. La musique électroacoustique de Simon Chioini, interprétée en direct sur scène par Blaise Émard, épouse le ballet d’images se promenant d’un écran à l’autre ou clignotant en simultané. L’expérience vidéo développée par Berzi et Boisvenue apparaît plus signifiante, à nos yeux, dans la portion du spectacle décortiquant les mutations de l’amour par le virtuel, à travers les démultiplications et variations du visage de la comédienne. Mais voilà qui est bien personnel: l’esthétique de Berzi fonctionne par stimulus de sons et d’images qui agiront différemment sur chacun, et qui laisseront plusieurs spectateurs indifférents ou complètement largués.

Mythomania

Texte et mise en scène: Nicolas Berzi. Scénographie et vidéo: Jean-François Boisvenue. Éclairages: Nicolas Berzi et Jean-François Boisvenue. Musique et son: Simon Chioini. Performance électroacoutisque: Blaise Émard. Avec Livia Sassoli. Une production d’Artiste Inconnu. À la Chapelle jusqu’au 25 novembre 2017.

Philippe Couture

À propos de

Critique de théâtre, journaliste et rédacteur web travaillant entre Montréal et Bruxelles, Philippe Couture collabore à Jeu depuis 2009. En plus de contribuer au Devoir, à des émissions d’ICI Radio-Canada Première, au quotidien belge La Libre et aux revues Alternatives Théâtrales et UBU Scènes d’Europe, il est l’un des nouveaux interprètes du spectacle-conférence La Convivialité, en tournée en France et en Belgique.