Nyotaimori, en japonais, désigne le fait de déguster des sushis servis à même le corps nu et immobile d’une femme. On comprendra que cette pratique apparaisse profondément misogyne et abrutissante à la protagoniste de la pièce du même nom, une journaliste-rédactrice pigiste se croyant émancipée et accomplie… ou du moins à quelques contrats complexes, exigeants et peu rémunérateurs de l’être. Pourtant, Maude sera elle-même tentée de se changer en meuble vivant, donc d’endosser ce qu’elle méprisait et décriait à l’origine, lorsqu’elle atteindra l’apogée de l’épuisement où la mène inéluctablement sa vie professionnelle tentaculaire, qui ne lui laisse de temps pour rien ni personne d’autre.
Le destin de cette héroïne bien de son temps sera mis en relation avec celui d’une ouvrière indienne dormant à l’usine entre ses fastidieuses journées de couture. Il y a aussi ce travailleur japonais, caresseur de voitures (afin d’en détecter les éventuels défauts de fabrication) qui adhère si bien à la philosophie «toyotiste» qu’il consacre ses loisirs à imaginer des façons d’accroître la productivité de l’entreprise. Ces trois destins seront mis en parallèle afin de démontrer le caractère universel de la misère humaine et de l’aliénation reliées au travail.
La première partie du dernier texte de Sarah Berthiaume s’avère absolument réjouissante, tant par l’acuité de ses réflexions sur cet esclavage volontaire auquel se soumettent bien des travailleurs contemporains que par l’humour habile avec lequel ces commentaires sont formulés. Et c’est sans compter l’interprétation savoureuse qu’en livrent Christine Beaulieu, Macha Limonchik et Philippe Racine. Pourtant, à la mi-parcours, tout se met à déraper. Non seulement le naturalisme du récit verse dans le réalisme magique, mais l’intérêt de l’histoire s’étiole, son rythme se dissout et le cumul d’anecdotes tend à se substituer à la fresque qu’on avait commencé à ébaucher.
On aura tôt fait d’arguer qu’autant le réalisme magique que le fait d’aborder une question sous plusieurs angles différents font partie de la signature de l’auteure. Cela n’implique pas nécessairement que le recours à ces formes d’écriture soit aussi heureux à tous les coups. Dans Antioche, présenté l’automne dernier à la salle Fred-Barry, le public acceptait de bonne grâce la convention selon laquelle Antigone fréquentât une jeune fille de notre époque parce que le procédé était efficacement utilisé. Dans Nyotaimori, la porte magique qui mène d’une usine textile d’Inde à une chaîne de montage au Japon comme à un stationnement sous-terrain montréalais semble une solution facile visant à réunir trois univers distincts. Or les échanges entre ces trois personnages forment la part la moins captivante de la pièce. Un raccourci qui ne mène nulle part, en somme.
On regrettera, alors que le spectacle s’étire longuement vers une fin plutôt prévisible, la justesse et le rythme implacables des dialogues du début. Lorsque la journaliste interviewe deux employés (une femme aigrie et un jeune homme naïf) d’une firme de publicité, par exemple. Si l’entièreté de la pièce avait été aussi caustique, d’aucuns auraient sans doute été tentés de crier au génie.
Sarah Berthiaume, qui, pour la première fois, met en scène son propre texte, en collaboration avec Sébastien David, a opté pour une scène centrale quadrifrontale et surélevée. S’il est difficile de voir ce que ce choix est censé apporter à l’expérience spectatorielle, il est aisé de voir en quoi il lui nuit. Peu importe où l’on se trouve dans la salle, il viendra un moment où l’on ne verra les comédiens que de dos, perdant ainsi accès aux précieuses expressions de leurs visages.
Qu’on ne s’y trompe pas: Nyotaimori est un bon spectacle, empreint d’intelligence et d’humour. Ce qui est navrant, c’est qu’il finit par s’essouffler plutôt que de se révéler époustouflant, alors qu’il était si bien lancé. Que l’on se rassure pourtant: la jeune, prolifique et talentueuse auteure a certainement encore bien des tours dans sa manche.
Texte: Sarah Berthiaume. Mise en scène: Sarah Berthiaume et Sébastien David. Scénographie, costumes et accessoires: Karine Galarneau. Éclairages: Cédric Delorme-Bouchard. Musique: Navet Confit. Avec Christine Beaulieu, Macha Limonchik et Philippe Racine. Une coproduction de la Bataille et du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 3 février 2018.
Nyotaimori, en japonais, désigne le fait de déguster des sushis servis à même le corps nu et immobile d’une femme. On comprendra que cette pratique apparaisse profondément misogyne et abrutissante à la protagoniste de la pièce du même nom, une journaliste-rédactrice pigiste se croyant émancipée et accomplie… ou du moins à quelques contrats complexes, exigeants et peu rémunérateurs de l’être. Pourtant, Maude sera elle-même tentée de se changer en meuble vivant, donc d’endosser ce qu’elle méprisait et décriait à l’origine, lorsqu’elle atteindra l’apogée de l’épuisement où la mène inéluctablement sa vie professionnelle tentaculaire, qui ne lui laisse de temps pour rien ni personne d’autre.
Le destin de cette héroïne bien de son temps sera mis en relation avec celui d’une ouvrière indienne dormant à l’usine entre ses fastidieuses journées de couture. Il y a aussi ce travailleur japonais, caresseur de voitures (afin d’en détecter les éventuels défauts de fabrication) qui adhère si bien à la philosophie «toyotiste» qu’il consacre ses loisirs à imaginer des façons d’accroître la productivité de l’entreprise. Ces trois destins seront mis en parallèle afin de démontrer le caractère universel de la misère humaine et de l’aliénation reliées au travail.
La première partie du dernier texte de Sarah Berthiaume s’avère absolument réjouissante, tant par l’acuité de ses réflexions sur cet esclavage volontaire auquel se soumettent bien des travailleurs contemporains que par l’humour habile avec lequel ces commentaires sont formulés. Et c’est sans compter l’interprétation savoureuse qu’en livrent Christine Beaulieu, Macha Limonchik et Philippe Racine. Pourtant, à la mi-parcours, tout se met à déraper. Non seulement le naturalisme du récit verse dans le réalisme magique, mais l’intérêt de l’histoire s’étiole, son rythme se dissout et le cumul d’anecdotes tend à se substituer à la fresque qu’on avait commencé à ébaucher.
On aura tôt fait d’arguer qu’autant le réalisme magique que le fait d’aborder une question sous plusieurs angles différents font partie de la signature de l’auteure. Cela n’implique pas nécessairement que le recours à ces formes d’écriture soit aussi heureux à tous les coups. Dans Antioche, présenté l’automne dernier à la salle Fred-Barry, le public acceptait de bonne grâce la convention selon laquelle Antigone fréquentât une jeune fille de notre époque parce que le procédé était efficacement utilisé. Dans Nyotaimori, la porte magique qui mène d’une usine textile d’Inde à une chaîne de montage au Japon comme à un stationnement sous-terrain montréalais semble une solution facile visant à réunir trois univers distincts. Or les échanges entre ces trois personnages forment la part la moins captivante de la pièce. Un raccourci qui ne mène nulle part, en somme.
On regrettera, alors que le spectacle s’étire longuement vers une fin plutôt prévisible, la justesse et le rythme implacables des dialogues du début. Lorsque la journaliste interviewe deux employés (une femme aigrie et un jeune homme naïf) d’une firme de publicité, par exemple. Si l’entièreté de la pièce avait été aussi caustique, d’aucuns auraient sans doute été tentés de crier au génie.
Sarah Berthiaume, qui, pour la première fois, met en scène son propre texte, en collaboration avec Sébastien David, a opté pour une scène centrale quadrifrontale et surélevée. S’il est difficile de voir ce que ce choix est censé apporter à l’expérience spectatorielle, il est aisé de voir en quoi il lui nuit. Peu importe où l’on se trouve dans la salle, il viendra un moment où l’on ne verra les comédiens que de dos, perdant ainsi accès aux précieuses expressions de leurs visages.
Qu’on ne s’y trompe pas: Nyotaimori est un bon spectacle, empreint d’intelligence et d’humour. Ce qui est navrant, c’est qu’il finit par s’essouffler plutôt que de se révéler époustouflant, alors qu’il était si bien lancé. Que l’on se rassure pourtant: la jeune, prolifique et talentueuse auteure a certainement encore bien des tours dans sa manche.
Nyotaimori
Texte: Sarah Berthiaume. Mise en scène: Sarah Berthiaume et Sébastien David. Scénographie, costumes et accessoires: Karine Galarneau. Éclairages: Cédric Delorme-Bouchard. Musique: Navet Confit. Avec Christine Beaulieu, Macha Limonchik et Philippe Racine. Une coproduction de la Bataille et du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 3 février 2018.