Un homme seul, assis. Il s’adresse à celui qui dort de l’autre côté du lit, celui qui ne répond plus, celui qui n’a pas réussi à le sauver – qu’on ne verra jamais qu’à travers ses mots. Tout est pareil que d’habitude, sauf que tout est différent. C’est que, dans son ventre, l’homme sent son vieux démon qui s’agite et l’empêche de dormir. Depuis qu’il avait rencontré l’autre pourtant, tout allait mieux, mais là, il le sait, il va céder, laisser derrière lui la chambre qu’ils ont repeinturée ensemble, et s’enfoncer tout nu dans la nuit de janvier, retrouver celui qu’il était avant.
Que l’on ne s’y trompe pas, ce texte d’Olivier Sylvestre, Le Désert, qui fut jadis présenté en lecture à la Zone Homa, n’est pas une simple histoire de rupture amoureuse, comme on pourrait le croire de prime abord, mais une plongée existentialiste dans l’esprit d’un homme dont le désir de se sentir vivant se mêle à des pulsions mortifères, à la recherche du frisson d’excitation causé par les premières fois, remplaçant une dépendance par une autre jusqu’à ce que le plaisir intense de la nouveauté se dissipe, et que le besoin d’évasion se fasse sentir, encore.
Le texte nous donne juste assez de clés pour que l’on comprenne, sans jamais que cela soit nommé, que le narrateur est un ancien toxicomane qui se débat avec l’envie pressante de recommencer. Une rencontre improbable et imprévue l’avait temporairement sorti de l’impasse, mais au cœur de la nuit, quand le plancher de la chambre semble se transformer en marécage, la tentation est plus forte. Par deux fois (mais on imagine facilement que la scène s’est répétée des dizaines de fois), l’autre le sauve de justesse, heureusement qu’il est là. Comme dans l’histoire de Pierre criant au loup, la troisième fois est fatale. Mais: «C’est tellement – Bon.»
La langue d’Olivier Sylvestre est hachée, élusive et faite de répétitions, comme une illustration des circonvolutions de l’esprit humain, de ses luttes intérieures, des erreurs qui se répètent. On retrouve dans Le Désert certains thèmes déjà présents dans La Beauté du monde, présentée à l’hiver 2015 aux Écuries et gagnante du Prix Gratien-Gélinas 2012: la relation amoureuse de type sauveur/sauvé, l’évasion par des moyens chimiques d’un quotidien dont la fadeur épouvante, et un personnage principal en perdition, confronté au vide de son existence, plongeant dans l’autodestruction.
La mise en scène de Frédéric Sasseville-Painchaud, également interprète du monologue, est à l’image du texte: elle prend son ampleur progressivement; juste quand on se met à trouver que le parti pris de dire le texte en voix hors champ ressemble à une solution de facilité, l’interprète sort de son mutisme et révèle ses talents de comédien, dans un décor intime et dépouillé qui laisse toute la place au texte et à la performance.
Le spectacle se termine par la rencontre qui est évoquée depuis le début du monologue. Mais est-ce la rencontre initiale ou une nouvelle rencontre, qui finira exactement comme la première: par un échec? Pris à partie un à un, le comédien nous regardant droit dans les yeux et s’adressant à nous à la deuxième personne, il est difficile de ne pas nous demander si nous n’avons pas nous aussi, un jour, essayé en vain de sauver quelqu’un de lui-même…
Texte: Olivier Sylvestre. Mise en scène, performance, scénographie et musique originale: Frédéric Sasseville-Painchaud. Conseil artistique et dramaturgie: Nathalie Boisvert. Éclairages: Émily Vallée-Knight. Une production du Dôme. Au Théâtre Prospero jusqu’au 3 février 2018.
Un homme seul, assis. Il s’adresse à celui qui dort de l’autre côté du lit, celui qui ne répond plus, celui qui n’a pas réussi à le sauver – qu’on ne verra jamais qu’à travers ses mots. Tout est pareil que d’habitude, sauf que tout est différent. C’est que, dans son ventre, l’homme sent son vieux démon qui s’agite et l’empêche de dormir. Depuis qu’il avait rencontré l’autre pourtant, tout allait mieux, mais là, il le sait, il va céder, laisser derrière lui la chambre qu’ils ont repeinturée ensemble, et s’enfoncer tout nu dans la nuit de janvier, retrouver celui qu’il était avant.
Que l’on ne s’y trompe pas, ce texte d’Olivier Sylvestre, Le Désert, qui fut jadis présenté en lecture à la Zone Homa, n’est pas une simple histoire de rupture amoureuse, comme on pourrait le croire de prime abord, mais une plongée existentialiste dans l’esprit d’un homme dont le désir de se sentir vivant se mêle à des pulsions mortifères, à la recherche du frisson d’excitation causé par les premières fois, remplaçant une dépendance par une autre jusqu’à ce que le plaisir intense de la nouveauté se dissipe, et que le besoin d’évasion se fasse sentir, encore.
Le texte nous donne juste assez de clés pour que l’on comprenne, sans jamais que cela soit nommé, que le narrateur est un ancien toxicomane qui se débat avec l’envie pressante de recommencer. Une rencontre improbable et imprévue l’avait temporairement sorti de l’impasse, mais au cœur de la nuit, quand le plancher de la chambre semble se transformer en marécage, la tentation est plus forte. Par deux fois (mais on imagine facilement que la scène s’est répétée des dizaines de fois), l’autre le sauve de justesse, heureusement qu’il est là. Comme dans l’histoire de Pierre criant au loup, la troisième fois est fatale. Mais: «C’est tellement – Bon.»
La langue d’Olivier Sylvestre est hachée, élusive et faite de répétitions, comme une illustration des circonvolutions de l’esprit humain, de ses luttes intérieures, des erreurs qui se répètent. On retrouve dans Le Désert certains thèmes déjà présents dans La Beauté du monde, présentée à l’hiver 2015 aux Écuries et gagnante du Prix Gratien-Gélinas 2012: la relation amoureuse de type sauveur/sauvé, l’évasion par des moyens chimiques d’un quotidien dont la fadeur épouvante, et un personnage principal en perdition, confronté au vide de son existence, plongeant dans l’autodestruction.
La mise en scène de Frédéric Sasseville-Painchaud, également interprète du monologue, est à l’image du texte: elle prend son ampleur progressivement; juste quand on se met à trouver que le parti pris de dire le texte en voix hors champ ressemble à une solution de facilité, l’interprète sort de son mutisme et révèle ses talents de comédien, dans un décor intime et dépouillé qui laisse toute la place au texte et à la performance.
Le spectacle se termine par la rencontre qui est évoquée depuis le début du monologue. Mais est-ce la rencontre initiale ou une nouvelle rencontre, qui finira exactement comme la première: par un échec? Pris à partie un à un, le comédien nous regardant droit dans les yeux et s’adressant à nous à la deuxième personne, il est difficile de ne pas nous demander si nous n’avons pas nous aussi, un jour, essayé en vain de sauver quelqu’un de lui-même…
Le Désert
Texte: Olivier Sylvestre. Mise en scène, performance, scénographie et musique originale: Frédéric Sasseville-Painchaud. Conseil artistique et dramaturgie: Nathalie Boisvert. Éclairages: Émily Vallée-Knight. Une production du Dôme. Au Théâtre Prospero jusqu’au 3 février 2018.