Créée en 2003, portée à l’écran par Denis Villeneuve en 2010, reprise enfin à Québec en 2010 dans un marathon de 12 heures, entre Littoral et Forêts, Incendies s’impose 15 ans plus tard comme un objet théâtral essentiel. Le texte de Wajdi Mouawad, à la fois poétique et violent, offre aux comédiens une charge émotive explosive, faite de tendresse et de rage.
Emmurée les dix dernières années de sa vie dans un silence insupportable, Nawal, à son décès, impose ses dernières volontés à ses jumeaux Jeanne (Sarah Villeneuve-Desjardins) et Simon (Charles Étienne-Beaulne). Le notaire leur remet deux lettres, l’une destinée à leur père, toujours vivant, et l’autre à leur frère. Ignorant l’existence de ces deux parents, les jumeaux – elle volontaire, lui rébarbatif – entreprennent de les retrouver. Nous les suivons dans leur quête jusqu’au pays de leur mère, remontant le temps dans un Moyen-Orient en état de crise perpétuelle.
La scène du Trident s’étale comme un immense champ de bataille, panorama d’une terre dévastée par la guerre. En superposition sur ce décor désolé, les scènes viennent s’insérer par des jeux de lumière, des accessoires mobiles tels une table, un ring de boxe, des douches de sable, des maquettes de villages en adobe ocre… La scénographie, à l’image de la complexité du drame familial, devient une cartographie de cette recherche, qui, telle une enquête policière, se déploie sur plusieurs décennies.
La force de texte de Mouawad repose sur le dévoilement progressif d’un drame digne des tragédies grecques. On y découvre les effets dévastateurs des guerres sur la société. Ici, des vies sont emportées, mais surtout les survivants n’en sortent jamais indemnes. Incendies démontre que toutes les vies ainsi bafouées sont autant de brasiers où se consument notre humanité. Personne ne sait pourquoi il y a la guerre, sinon dans la poursuite insensée de vengeances, un enchaînement de causes et effets qui s’inscrivent dans une dynamique irrépressible dépassant le sens commun.
Le message de la grand-mère pour tenter d’abolir ce cercle infernal porte précisément sur la nécessité de sortir de l’ignorance, de s’instruire, d’apprendre. La détermination de Nawal à contrer la violence et la haine par l’amour lui vient de cette première liaison avec Wahab, alors qu’ils sont de jeunes adolescents embrasés par un amour pur et éternel. Mais la vie n’est pas si simple, alors que les destins personnels sont déterminés par des choix cornéliens dans des conditions extrêmes de survie.
Marie-Josée Bastien, experte dans l’occupation dynamique de l’espace, offre une mise en scène percutante. Nathalie Séguin (Nawal jeune), Véronika Makdissi-Warren (Nawal à 40 ans) et Lise Castonguay (Nawal à 60 ans) composent un superbe trio, ajustant leur jeu en résonance. Du bonheur naïf de l’adolescente au dur silence de la vérité dévoilée, elles tracent le crédible portrait d’un être détruit par les puissances du mal. Le personnage de Nihad (Gabriel Fournier), dans sa démesure et sa violence extrême, n’est pas sans rappeler certaines figures d’Apocalypse Now. Spectaculaire incarnation du mal absolu, il pousse l’absurdité jusqu’à regretter que son procès soit si ennuyeux. Seul agacement, ce Black Betty de Ram Jam suivi de la célèbre Roxanne de Sting. On aurait attendu une démence plus ancrée dans sa propre logique.
Les images puissantes, construites comme des tableaux, et le travail combiné (mise en scène, scénographie, éclairages et environnement sonore), réaffirment la puissance du théâtre, dans cette logique du «maintenant que nous sommes ensemble, ça va mieux», leitmotiv qui traverse la pièce à travers les personnages en quête de bonheur. Deux heures et vingt minutes qui passent comme un souffle suspendu au-dessus du gouffre de la folie.
Texte: Wajdi Mouawad. Mise en scène: Marie-Josée Bastien. Scénographie: Marie-Renée Bourget Harvey. Éclairages: Sonoyo Nishikawa. Musique: Stéphane Caron. Costumes: Sébastien Dionne. Avec Charles-Étienne Beaulne, Lise Castonguay, Gabriel Fournier, Marie-Hélène Gendreau, Véronika Makdissi-Warren, Dayne Simard, Jean-Sébastien Ouellet, Nathalie Séguin, Réjean Vallée et Sarah Villeneuve-Desjardins. Une production du Théâtre du Trident. À la Salle Octave-Crémazie du Grand Théâtre de Québec jusqu’au 31 mars 2018.
Créée en 2003, portée à l’écran par Denis Villeneuve en 2010, reprise enfin à Québec en 2010 dans un marathon de 12 heures, entre Littoral et Forêts, Incendies s’impose 15 ans plus tard comme un objet théâtral essentiel. Le texte de Wajdi Mouawad, à la fois poétique et violent, offre aux comédiens une charge émotive explosive, faite de tendresse et de rage.
Emmurée les dix dernières années de sa vie dans un silence insupportable, Nawal, à son décès, impose ses dernières volontés à ses jumeaux Jeanne (Sarah Villeneuve-Desjardins) et Simon (Charles Étienne-Beaulne). Le notaire leur remet deux lettres, l’une destinée à leur père, toujours vivant, et l’autre à leur frère. Ignorant l’existence de ces deux parents, les jumeaux – elle volontaire, lui rébarbatif – entreprennent de les retrouver. Nous les suivons dans leur quête jusqu’au pays de leur mère, remontant le temps dans un Moyen-Orient en état de crise perpétuelle.
La scène du Trident s’étale comme un immense champ de bataille, panorama d’une terre dévastée par la guerre. En superposition sur ce décor désolé, les scènes viennent s’insérer par des jeux de lumière, des accessoires mobiles tels une table, un ring de boxe, des douches de sable, des maquettes de villages en adobe ocre… La scénographie, à l’image de la complexité du drame familial, devient une cartographie de cette recherche, qui, telle une enquête policière, se déploie sur plusieurs décennies.
La force de texte de Mouawad repose sur le dévoilement progressif d’un drame digne des tragédies grecques. On y découvre les effets dévastateurs des guerres sur la société. Ici, des vies sont emportées, mais surtout les survivants n’en sortent jamais indemnes. Incendies démontre que toutes les vies ainsi bafouées sont autant de brasiers où se consument notre humanité. Personne ne sait pourquoi il y a la guerre, sinon dans la poursuite insensée de vengeances, un enchaînement de causes et effets qui s’inscrivent dans une dynamique irrépressible dépassant le sens commun.
Le message de la grand-mère pour tenter d’abolir ce cercle infernal porte précisément sur la nécessité de sortir de l’ignorance, de s’instruire, d’apprendre. La détermination de Nawal à contrer la violence et la haine par l’amour lui vient de cette première liaison avec Wahab, alors qu’ils sont de jeunes adolescents embrasés par un amour pur et éternel. Mais la vie n’est pas si simple, alors que les destins personnels sont déterminés par des choix cornéliens dans des conditions extrêmes de survie.
Marie-Josée Bastien, experte dans l’occupation dynamique de l’espace, offre une mise en scène percutante. Nathalie Séguin (Nawal jeune), Véronika Makdissi-Warren (Nawal à 40 ans) et Lise Castonguay (Nawal à 60 ans) composent un superbe trio, ajustant leur jeu en résonance. Du bonheur naïf de l’adolescente au dur silence de la vérité dévoilée, elles tracent le crédible portrait d’un être détruit par les puissances du mal. Le personnage de Nihad (Gabriel Fournier), dans sa démesure et sa violence extrême, n’est pas sans rappeler certaines figures d’Apocalypse Now. Spectaculaire incarnation du mal absolu, il pousse l’absurdité jusqu’à regretter que son procès soit si ennuyeux. Seul agacement, ce Black Betty de Ram Jam suivi de la célèbre Roxanne de Sting. On aurait attendu une démence plus ancrée dans sa propre logique.
Les images puissantes, construites comme des tableaux, et le travail combiné (mise en scène, scénographie, éclairages et environnement sonore), réaffirment la puissance du théâtre, dans cette logique du «maintenant que nous sommes ensemble, ça va mieux», leitmotiv qui traverse la pièce à travers les personnages en quête de bonheur. Deux heures et vingt minutes qui passent comme un souffle suspendu au-dessus du gouffre de la folie.
Incendies
Texte: Wajdi Mouawad. Mise en scène: Marie-Josée Bastien. Scénographie: Marie-Renée Bourget Harvey. Éclairages: Sonoyo Nishikawa. Musique: Stéphane Caron. Costumes: Sébastien Dionne. Avec Charles-Étienne Beaulne, Lise Castonguay, Gabriel Fournier, Marie-Hélène Gendreau, Véronika Makdissi-Warren, Dayne Simard, Jean-Sébastien Ouellet, Nathalie Séguin, Réjean Vallée et Sarah Villeneuve-Desjardins. Une production du Théâtre du Trident. À la Salle Octave-Crémazie du Grand Théâtre de Québec jusqu’au 31 mars 2018.