Critiques

Astéroïde B 612 : L’espoir d’une réponse

Shanti Loiselle

Peu importe la teneur de sa cuvée, chaque saison de la Roulotte nous rappelle que ce théâtre, qui bourlingue sur l’île de Montréal depuis 1953, joue encore de belle manière ces rôles d’institution théâtrale: démocratisation culturelle, formation des artistes, transmission. Sur les ailes gracieuses de Saint-Exupéry, plus présent que jamais dans son œuvre phare, la mouture 2018 remplit bien gaiement ses mandats, sans oser la désobéissance.

Shanti Loiselle

L’essentiel du Petit Prince est préservé dans Astéroïde B 612, une adaptation d’Éric Noël mise en scène par Jean-Simon Traversy. Cette essence, c’est la manière douce de faire de la philosophie au gré des rencontres du protagoniste, de poser de bonnes questions dans l’espoir d’une réponse, de réfléchir avec délicatesse et symbolisme aux grands thèmes que sont la justice, le conformisme, la servitude, l’avidité, le savoir, l’écoute et la compassion. Si les maximes les plus souvent citées de l’œuvre résonnent bien ici, on ne les souligne pas de manière ostentatoire. Cela permet à tout le moins d’entendre le reste.

Bien droite dans son costume vert, les épaules décidées, Elisabeth Smith compose un Petit Prince plus gentiment mutin que lunaire, plus décidé que mélancolique. L’énergie varie peu, peut-être à cause des obligations de projection et de surprésence qu’impose un théâtre en plein air. Autour d’elle, Hélène Durocher, Simone Latour Bellavance et Philippe Robidoux composent une jolie galerie, dont la vedette demeure le renard, aussi finement articulé qu’articulé (dans le sens de). Étienne Lou tient le rôle légèrement ingrat de l’aviateur-témoin-dépositaire, rebaptisé Antoine, l’écrasé de 1944…

Shanti Loiselle

Traversy a opté pour une mise en scène d’images plutôt que de mouvements, à l’encontre d’une certaine tradition de l’entreprise amorcée jadis par Paul Buissonneau. Peu de cabrioles, donc, dans ce Sahara dont les dunes sont couvertes du texte original et derrière lesquelles des surprises sont tapies. Visuellement massive, la scénographie de Marie-Ève Fortier n’en est pas moins fonctionnelle et poétique à la fois. Les colorés costumes conçus par Sophia Graziani font contraste, mais se perdent un peu entre les pages du décor. L’ensemble est équilibré, empreint d’une sorte de politesse qui manque parfois de ressorts et d’éclats.

Restent alors la poésie de l’accidentel dans ce théâtre se produisant dans un environnement non contrôlé: le vent dans les cheveux de l’aviateur, quelques mouettes venues prêter main-forte aux oiseaux migrateurs en carton, le bruit des lointains jeux d’eau du parc qui semblent vouloir irriguer un peu le désert… Rien d’essentiel, mais de réels plaisirs pour les yeux comme pour le cœur.

Astéroïde B 612

Texte: Antoine de Saint-Exupéry. Adaptation: Éric Noël. Mise en scène: Jean-Simon Traversy. Scénographie et accessoires: Marie-Ève Fortier. Costumes: Sophia Graziani. Son: Gaspard Philippe. Marionnettes: Zach Fraser. Avec Hélène Durocher, Simone Latour Bellavance, Étienne Lou, Philippe Robidoux et Elisabeth Smith. Une production du Réseau Accès culture de la Ville de Montréal et du Théâtre la Roulotte. Dans les parcs de la ville de Montréal jusqu’au 17 août 2018.

Alexandre Cadieux

À propos de

Il enseigne à l’UQAM et à l’Université d’Ottawa. Anciennement critique au Devoir et membre de la rédaction de JEU, il travaille à une thèse de doctorat consacrée à Jean Duceppe.