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L’expédition sacrée de Soleil Launière

© Soleil Launière

Les créateurs d’Umanishish escomptent brouiller « par leurs perméabilités sensibles les contours invisibles de ce qui nous définit ». Les spectateurs et spectatrices du ZH Festival auront la chance de découvrir une version laboratoire de la performance de Soleil Launière, innue de Mashteuiatsh, mise en scène par Xavier Huard.

Déjà cinq ans que Launière crée des performances. Avec Umanishish, l’artiste estime repousser ses propres limites : « Je cherche à donner naissance à une expérience immersive en employant le corps, la voix et l’espace scénique, mais aussi en faisait appel aux dons de Gonzalo Soldi, concepteur vidéo et d’éclairages originaire de Lima au Pérou. Le travail de cet artiste, pour qui la technologie est une matière organique et instinctive, complète étonnamment le mien. Ensemble, nos possibilités créatives sont décuplées. »

Quand on lui demande de nous parler du personnage qu’elle incarne, Soleil Launière évoque spontanément le double, la dualité et le dédoublement, de riches concepts qui vont à l’encontre du binarisme ambiant et de la duplicité valorisée. « À l’intérieur, il y a la vie, explique-t-elle. À l’extérieur, le chaos. Une seule personne est sur scène, mais elle se rencontre. Parfois enfant, parfois adulte. L’entre-deux n’a pas d’âge ni de sexe. Il se souvient et appréhende un futur qui n’existe toujours pas. Ainsi, un corps en changement brise l’espace d’un univers fictionnel créé par des dispositifs technologiques exploratoires. Umanishish, qui signifie “fœtus d’orignal”, est une immersion à l’intérieur d’un monde inaccessible autrement que par l’art. »

S’il fallait, parmi les nombreux thèmes abordés par la performance, en retenir un seul, ce serait sans nul doute le rapport au nitassinan, le territoire ancestral du peuple innu, situé dans l’Est du Canada au Québec et au Labrador. « Chez les Innus, explique Launière, l’homme est interdépendant du territoire. Avant la colonisation, notre système n’était pas basé sur l’accumulation et la croissance du capital, comme c’est le cas aujourd’hui. Notre monde, notre planète, le nitassinan est le prolongement de ce que nous sommes, son agonie est l’effritement de notre humanité. Nous vivons là où les terres se font saccager. Umanishish est donc une œuvre qui aborde notre destruction, notre guérison, l’innocence, le pardon et la colère. »

Soleil Launière estime que le ZH Festival « offre aux artistes un territoire sans limites où nous inventons dans une liberté totale ». « Inutile de décrire l’ivresse et le plaisir de créer dans de tels paramètres, lance-t-elle. Mon processus en est à sa première étape, le public qui sera présent à la représentation sera un baromètre important pour la suite des choses et le futur de cette œuvre. Nous plongerons ensemble au centre de la bête, à l’intérieur de l’animal. Qui sait, cette expédition sacrée nous enseignera peut-être quelque chose de nouveau et d’inattendu. »

Umanishish

Mise en scène : Xavier Huard. Vidéo et éclairages : Gonzalo Soldi. Avec Soleil Launière. À la Maison de la culture Maisonneuve, à l’occasion du ZH Festival, le 17 juillet 2018.

Christian Saint-Pierre

Critique de théâtre, on peut également le lire dans Le Devoir et Lettres québécoises. Il a été rédacteur en chef et directeur de JEU de 2011 à 2017.