Le retour au pays de son père que nous propose Mohsen El Gharbi (en fait, l’œuvre a été créée au MAI en 2017) prend un relief particulier en ces temps de questionnements sur l’identité et l’acculturation. Charismatique, polyvalent, cet artiste doué, auteur, comédien, metteur en scène (et tout ça à la fois sur le plateau du Prospero), décompose sous nos yeux les diverses sources de son bagage culturel, se démultipliant en des dizaines de vies pour y retrouver le sens de la sienne.
Avec son double héritage, mère flamande, père tunisien, partagé entre deux langues qu’il ne maîtrise pas, pour finalement en choisir une autre, le français, et venir vivre à Montréal, au sein d’un Québec agité de courants culturels et identitaires, il a de quoi interpeller tous ceux et celles qui, comme lui, vivent divisés entre plusieurs fidélités.
C’est pour conjurer une hérédité qui l’inquiète, celle d’un père brutal récemment disparu, pour comprendre les racines du mal et rompre la chaîne de la violence qu’il part en Tunisie. En compagnie de son meilleur ami, promu réalisateur de documentaire, il s’en va donc filmer son arrière-grand-mère, seul membre survivant de sa filiation paternelle. Nous voilà embarqués avec lui et les pilotes de Tunisair, passant devant le douanier, puis argumentant avec le chauffeur de taxi, ce qui nous vaut une série de sketchs désopilants et pleins d’affectueuse dérision sur les mœurs de ces gens aussi sympathiques que peu orthodoxes. Le spectacle se présente d’abord comme une sorte de one-man show, avec ses anecdotes, ses étonnants changements d’accents, et une délicieuse compétition entre un musicien et un chanteur traditionnel, qui nous vaut une démonstration des dons musicaux de cet homme-orchestre. Sans compter les clins d’œil au public qui font tomber le quatrième mur.
Mais ce n’est pas seulement la vénérable centenaire qu’il va retrouver : par un habile tour de magie, c’est de sa jeunesse meurtrie et de sa longue, terrible mais aussi courageuse et même lumineuse existence dont il va être le témoin. Le monologue prend alors les formes d’un conte arabe, et nous voilà plongés dans le quotidien d’un village tunisien des débuts du 20esiècle, avec sa lumière, sa poésie, ses odeurs, mais aussi sa violence stupide. Sous nos yeux, sur la scène nue, s’évoquent l’épicerie du village, la madrasa, la maison du colon, le champ où s’échine la jeune femme. Le sourire côtoie l’horreur : après le rapt de la petite Mouna vendue à « Barbe grise » pour un mulet, après le viol conjugal, c’est le regard aimant de la mère, puis l’épisode des garçons de l’école coranique profitant de l’absence de leur maître pour jouer au ballon, mais payant leur gaminerie d’une terrible bastonnade, ou la complicité entre Mouna et la deuxième épouse du méchant vieillard.
À la fin du spectacle, cependant, se dégage une certitude : c’est par la tendresse -particulièrement entre hommes- que peut être vaincu le cycle de la violence. C’est du moins la conclusion qui se dégageait le soir où je l’ai vu. Car Mohsen El Gharbi, qui se réclame à la fois de la commedia dell’arte et de la tradition orale arabe, se réserve le droit d’improviser selon l’inspiration du moment. Ce qui entraîne d’inévitables longueurs et un apparent décousu, mais aussi le climat de liberté et d’espoir qui est la marque de cet artiste singulier. Créateur d’ici venu d’ailleurs, voix d’ailleurs qui nous parle de nous, Mohsen El Gharbi est une des paroles multiples qui font le Québec d’aujourd’hui.
Texte, interprétation et mise en scène : Mohsen El Gharbi. Conseil artistique : Jean-Marie Papapietro. Conseil dramaturgique : Patrick Cady. Concepteur lumière : Armando Gomez Rubio. Une production de L’Acteur en marche, présentée au Théâtre Prospero jusqu’au 20 octobre 2018.
Le retour au pays de son père que nous propose Mohsen El Gharbi (en fait, l’œuvre a été créée au MAI en 2017) prend un relief particulier en ces temps de questionnements sur l’identité et l’acculturation. Charismatique, polyvalent, cet artiste doué, auteur, comédien, metteur en scène (et tout ça à la fois sur le plateau du Prospero), décompose sous nos yeux les diverses sources de son bagage culturel, se démultipliant en des dizaines de vies pour y retrouver le sens de la sienne.
Avec son double héritage, mère flamande, père tunisien, partagé entre deux langues qu’il ne maîtrise pas, pour finalement en choisir une autre, le français, et venir vivre à Montréal, au sein d’un Québec agité de courants culturels et identitaires, il a de quoi interpeller tous ceux et celles qui, comme lui, vivent divisés entre plusieurs fidélités.
C’est pour conjurer une hérédité qui l’inquiète, celle d’un père brutal récemment disparu, pour comprendre les racines du mal et rompre la chaîne de la violence qu’il part en Tunisie. En compagnie de son meilleur ami, promu réalisateur de documentaire, il s’en va donc filmer son arrière-grand-mère, seul membre survivant de sa filiation paternelle. Nous voilà embarqués avec lui et les pilotes de Tunisair, passant devant le douanier, puis argumentant avec le chauffeur de taxi, ce qui nous vaut une série de sketchs désopilants et pleins d’affectueuse dérision sur les mœurs de ces gens aussi sympathiques que peu orthodoxes. Le spectacle se présente d’abord comme une sorte de one-man show, avec ses anecdotes, ses étonnants changements d’accents, et une délicieuse compétition entre un musicien et un chanteur traditionnel, qui nous vaut une démonstration des dons musicaux de cet homme-orchestre. Sans compter les clins d’œil au public qui font tomber le quatrième mur.
Mais ce n’est pas seulement la vénérable centenaire qu’il va retrouver : par un habile tour de magie, c’est de sa jeunesse meurtrie et de sa longue, terrible mais aussi courageuse et même lumineuse existence dont il va être le témoin. Le monologue prend alors les formes d’un conte arabe, et nous voilà plongés dans le quotidien d’un village tunisien des débuts du 20esiècle, avec sa lumière, sa poésie, ses odeurs, mais aussi sa violence stupide. Sous nos yeux, sur la scène nue, s’évoquent l’épicerie du village, la madrasa, la maison du colon, le champ où s’échine la jeune femme. Le sourire côtoie l’horreur : après le rapt de la petite Mouna vendue à « Barbe grise » pour un mulet, après le viol conjugal, c’est le regard aimant de la mère, puis l’épisode des garçons de l’école coranique profitant de l’absence de leur maître pour jouer au ballon, mais payant leur gaminerie d’une terrible bastonnade, ou la complicité entre Mouna et la deuxième épouse du méchant vieillard.
À la fin du spectacle, cependant, se dégage une certitude : c’est par la tendresse -particulièrement entre hommes- que peut être vaincu le cycle de la violence. C’est du moins la conclusion qui se dégageait le soir où je l’ai vu. Car Mohsen El Gharbi, qui se réclame à la fois de la commedia dell’arte et de la tradition orale arabe, se réserve le droit d’improviser selon l’inspiration du moment. Ce qui entraîne d’inévitables longueurs et un apparent décousu, mais aussi le climat de liberté et d’espoir qui est la marque de cet artiste singulier. Créateur d’ici venu d’ailleurs, voix d’ailleurs qui nous parle de nous, Mohsen El Gharbi est une des paroles multiples qui font le Québec d’aujourd’hui.
Omi Mouna (ou Ma rencontre fantastique avec mon arrière- grand-mère)
Texte, interprétation et mise en scène : Mohsen El Gharbi. Conseil artistique : Jean-Marie Papapietro. Conseil dramaturgique : Patrick Cady. Concepteur lumière : Armando Gomez Rubio. Une production de L’Acteur en marche, présentée au Théâtre Prospero jusqu’au 20 octobre 2018.