Le bal de finissants marque la fin des études secondaires, mais aussi celle de l’adolescence. Rite de passage souvent lourd sous une apparente légèreté, il cristallise désirs, espoirs, besoin d’affirmation et pression de la réussite. Il vire parfois à l’aigre, voire au drame, quand s’en mêlent le stress de fin d’année, les abus d’alcool ou de drogue. Combien de Cendrillon au mascara qui coule et de comateux éthyliques dans des après-bals qui déchantent ?
Marilyn Perreault s’est inspirée de ce moment censé être magique devenu un cauchemar. Comme dans Ligne de bus (Théâtre I.N.K, 2014), dont elle signait également texte et mise en scène, elle reconstitue après-coup les événements d’un drame, en observant le comportement de jeunes adultes en devenir.
Ils sont six camarades de classe et se présentent les uns les autres sans gentillesse: M. la timorée, K. le footballeur imbu de sa personne, B. la petite dure, X. le garçon indécis quant à son genre et son orientation sexuelle, H. le petit dealer complexé… et L., la nouvelle de l’école, belle du Sud à l’accent chantant, qui éveille désirs et jalousies. De curiosité à coqueluche de la classe, elle deviendra une proie quand basculeront les sentiments mitigés qu’elle inspire, et que l’amour-propre, le manque de confiance et la pulsion de domination de ces jeunes les transformeront en prédateurs.
Quinze ans après le drame, la victime, L., et M., témoin muette, racontent le drame, avec peu de mots, formulés avec difficulté : ce sont surtout les mouvements chorégraphiés qui parviennent, dans ce théâtre d’images, à dire ce qui a été tu et enterré à l’époque. Le public est alors entraîné dans un étourdissant maelström à rebours, une chute libre vers un drame annoncé.
Dans le rôle de L., Lesly Velàsquez, fine comédienne d’origine mexicaine, compose une figure stoïque («Je n’ai pas pleuré», dira-t-elle), émouvante reine de bal déchue, ses souliers à la main. Autour d’elle, tous les jeunes interprètes rendent bien la fougue et la naïveté, la violence aussi de ces bouillonnants ados. Avec une gestuelle au ralenti, ils exécutent un inquiétant ballet, recomposant en plusieurs fragments les événements de la soirée. Une caméra filme la scène d’en haut et l’image est projetée en fond de scène, avec des effets qui créent des tableaux un peu abstraits, avec des traînées de gestes comme des coups de pinceaux sur une toile. Ce regard en surplomb nous permet d’appréhender la réalité sous un autre angle, mais ce choix esthétique ne nous détourne jamais des actes horribles qui sont évoqués, soit le viol collectif d’une jeune fille par ses «camarades» de classe.
Devant une salle composée en grande partie d’adolescents, la pièce de Marilyn Perreault retentissait de toute sa pertinence. Le propos s’inscrit, bien sûr, dans la vague des mouvements de revendications et de dénonciations récents, tels Idle no more et #metoo. L’intimidation qu’a vécue L. après son agression l’a poussée à changer d’école, de quartier, de look. Le lourd silence, tombé après l’agression comme une chape de plomb, empêche la jeune femme de se débarrasser de la peur qu’elle éprouve désormais. Quant à la timide M, elle a assisté, impuissante, à l’agression. Depuis cette nuit-là, aphone au sens propre, elle vit avec la culpabilité de ne pas avoir réagi, empêché, dénoncé.
Mais, ultimement, on voit poindre la guérison. L’auteure, refusant de choisir peut-être, nous laisse toutefois devant une finale ouverte, où l’on ne saurait dire ce qui, de la vengeance ou du pardon, sera l’acte de survie de la jeune femme.
Texte et mise en scène: Marilyn Perreault. Décor: Patrice Charbonneau-Brunelle. Conception vidéo: HUB Studio et Antonin Gougeon Moisan. Éclairages: Stéphane Ménigot. Costumes: Marjolaine Provençal. Musique: Laurier Rajotte. Avec Harou Davtyan, Marie Fannie Guay, Nora Guerch, Xavier Malo, Marc-André Poliquin et Lesly Velàsquez. Une production du Théâtre I.N.K, présentée au Théâtre Aux Écuries jusqu’au 27 octobre 2018.
Le bal de finissants marque la fin des études secondaires, mais aussi celle de l’adolescence. Rite de passage souvent lourd sous une apparente légèreté, il cristallise désirs, espoirs, besoin d’affirmation et pression de la réussite. Il vire parfois à l’aigre, voire au drame, quand s’en mêlent le stress de fin d’année, les abus d’alcool ou de drogue. Combien de Cendrillon au mascara qui coule et de comateux éthyliques dans des après-bals qui déchantent ?
Marilyn Perreault s’est inspirée de ce moment censé être magique devenu un cauchemar. Comme dans Ligne de bus (Théâtre I.N.K, 2014), dont elle signait également texte et mise en scène, elle reconstitue après-coup les événements d’un drame, en observant le comportement de jeunes adultes en devenir.
Ils sont six camarades de classe et se présentent les uns les autres sans gentillesse: M. la timorée, K. le footballeur imbu de sa personne, B. la petite dure, X. le garçon indécis quant à son genre et son orientation sexuelle, H. le petit dealer complexé… et L., la nouvelle de l’école, belle du Sud à l’accent chantant, qui éveille désirs et jalousies. De curiosité à coqueluche de la classe, elle deviendra une proie quand basculeront les sentiments mitigés qu’elle inspire, et que l’amour-propre, le manque de confiance et la pulsion de domination de ces jeunes les transformeront en prédateurs.
Quinze ans après le drame, la victime, L., et M., témoin muette, racontent le drame, avec peu de mots, formulés avec difficulté : ce sont surtout les mouvements chorégraphiés qui parviennent, dans ce théâtre d’images, à dire ce qui a été tu et enterré à l’époque. Le public est alors entraîné dans un étourdissant maelström à rebours, une chute libre vers un drame annoncé.
Dans le rôle de L., Lesly Velàsquez, fine comédienne d’origine mexicaine, compose une figure stoïque («Je n’ai pas pleuré», dira-t-elle), émouvante reine de bal déchue, ses souliers à la main. Autour d’elle, tous les jeunes interprètes rendent bien la fougue et la naïveté, la violence aussi de ces bouillonnants ados. Avec une gestuelle au ralenti, ils exécutent un inquiétant ballet, recomposant en plusieurs fragments les événements de la soirée. Une caméra filme la scène d’en haut et l’image est projetée en fond de scène, avec des effets qui créent des tableaux un peu abstraits, avec des traînées de gestes comme des coups de pinceaux sur une toile. Ce regard en surplomb nous permet d’appréhender la réalité sous un autre angle, mais ce choix esthétique ne nous détourne jamais des actes horribles qui sont évoqués, soit le viol collectif d’une jeune fille par ses «camarades» de classe.
Devant une salle composée en grande partie d’adolescents, la pièce de Marilyn Perreault retentissait de toute sa pertinence. Le propos s’inscrit, bien sûr, dans la vague des mouvements de revendications et de dénonciations récents, tels Idle no more et #metoo. L’intimidation qu’a vécue L. après son agression l’a poussée à changer d’école, de quartier, de look. Le lourd silence, tombé après l’agression comme une chape de plomb, empêche la jeune femme de se débarrasser de la peur qu’elle éprouve désormais. Quant à la timide M, elle a assisté, impuissante, à l’agression. Depuis cette nuit-là, aphone au sens propre, elle vit avec la culpabilité de ne pas avoir réagi, empêché, dénoncé.
Mais, ultimement, on voit poindre la guérison. L’auteure, refusant de choisir peut-être, nous laisse toutefois devant une finale ouverte, où l’on ne saurait dire ce qui, de la vengeance ou du pardon, sera l’acte de survie de la jeune femme.
Fiel
Texte et mise en scène: Marilyn Perreault. Décor: Patrice Charbonneau-Brunelle. Conception vidéo: HUB Studio et Antonin Gougeon Moisan. Éclairages: Stéphane Ménigot. Costumes: Marjolaine Provençal. Musique: Laurier Rajotte. Avec Harou Davtyan, Marie Fannie Guay, Nora Guerch, Xavier Malo, Marc-André Poliquin et Lesly Velàsquez. Une production du Théâtre I.N.K, présentée au Théâtre Aux Écuries jusqu’au 27 octobre 2018.