Critiques

Okinum : La parole en offrande

Valérie Remise

Dans ce premier opus d’une résidence de trois ans qu’elle entreprend au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, Émilie Monnet convoque plusieurs médiums qui jalonnent sa pratique d’artiste pluridisciplinaire : théâtre, chant, performance, recherche sonore, technologies d’éclairage et vidéo. Elle en appelle également aux songes pour mieux se connecter à ses origines, interrogeant les images, les mots, les symboles qui hantent ses nuits de façon récurrente. Tout cela réuni dans une sorte de rituel narratif et poétique, où se succèdent les émotions les plus diverses.

Valérie Remise

Il faut dire que la créatrice a bénéficié du savoir-faire d’une équipe de production nombreuse, à commencer par la conceptrice sonore Jackie Gallant, présente sur scène avec elle, plus précisément à l’arrière-scène. La configuration circulaire de l’espace est assez remarquable : l’interprète de sa propre histoire – nous sommes ici dans le domaine plébiscité en ce moment de l’autofiction – évolue sur un tréteau de forme pentagonale (décor signé Simon Guibault), au début recouvert de peaux de castors, qui servira de support à des projections, puis, éclairé par en-dessous, évoquera le monde invisible, si présent dans les mythologies autochtones.

Dans son spectacle, l’auteure aborde trois thématiques principales : le pouvoir des rêves, notamment à travers la figure d’un castor géant, l’épisode vécu d’un cancer de la gorge, hautement symbolique en regard de la parole muselée des femmes autochtones, et l’apprentissage tardif de la langue de ses ancêtres, l’anishnabemovin. Celle-ci nous est transmise par des enregistrements sonores de sa conseillère culturelle, Véronique Thursky, et les voix de quelques autres personnes. Les sonorités si particulières de cette langue, que l’interprète fait alterner avec le français, principalement, et l’anglais, participent de l’enchantement du cérémonial.

Valérie Remise

Les images vidéo, parfois formes floues et mouvantes, paysages de rivières, puis extraits de reportages, projetées sur cinq écrans suspendus au-dessus du public entourant la scène, complètent le dispositif. Les passages sur l’extermination presque complète du castor à une époque où les Européens raffolaient des casques de fourrure, sur l’offrande, par cet animal ami, d’une médecine traditionnelle contre sa maladie – okinum signifie d’ailleurs « barrage », comme celui apparu dans sa gorge –, ou encore sur l’art traditionnel de la confection de dessins géométriques, comme des mandalas, par mordillage de l’écorce, sont particulièrement forts. Les enchevêtrements du récit personnel de l’artiste, de ses séjours difficiles à l’hôpital, font écho à tout ce qui a été enlevé aux Premières Nations au fil des siècles, et aboutissent à une colère assumée contre les rapports de pouvoir colonialistes qui perdurent encore aujourd’hui envers ces peuples.

Alors que la représentation d’un peu plus d’une heure se déroule dans une salle plutôt intime, où le public se trouve à proximité de l’interprète, l’amplification de la voix d’Émilie Monnet, dès le début, crée une distance certaine, un effet de désincarnation en contradiction avec les confidences et les éprouvantes réalités exprimées. Peut-être est-ce une question de dosage, mais l’ensemble aurait sans doute gagné en puissance en jouant davantage dans les nuances, en variant les registres.

Okinum

Texte, co-mise en scène et interprétation : Émilie Monnet. Conception sonore et interprétation : Jackie Gallant. Co-mise en scène : Emma Tibaldo et Sarah Williams. Assistance à la mise en scène : Elaine Normandeau. Lumières : Lucie Bazzo. Costumes : Swaneige Bertrand. Vidéo : Clark Fergusson. Décor : Simon Guibault. Une création des Productions Onishka, présentée à la salle Jean-Claude Germain du Centre du Théâtre d’aujourd’hui jusqu’au 20 octobre 2018.