Critiques

Passagers : Trajectoires intérieures en cirque majeur

PassagersAndrew Miller

Au début de Passagers, il y a le souffle des acrobates, qui n’en manqueront aucunement pendant la représentation. Le rythme de leurs respirations évoque le son d’un train au léger balancement, un mouvement soutenu, celui des kilomètres de paysages que le corps traverse sans les respirer, qui défilent par la fenêtre, trajectoire que peut interrompre momentanément un arrêt ou un freinage brusque. Les 7 doigts nous propulsent dans l’espace et le temps que traversent huit voyageurs. Ils discutent ensemble – entre autres de la vitesse de la lumière et de la dilatation du temps, rien de moins –, nous révèlent leurs états d’âme ou un brin de leur histoire, souvent en mode intériorisé. Les projections très réussies qui ponctuent le spectacle font écho aux actions, émotions et sensations de la trame atmosphérique et autofictionnelle appuyée par un texte bilingue, joué de façon naturaliste, dont on perd malheureusement parfois quelques syllabes. 

PassagersAndrew Miller

L’écriture circassienne finement ciselée de Shana Caroll, assistée d’Isabelle Chassé, constitue l’une des forces de Passagers avec une synergie remarquable du travail de mouvement et de la chorégraphie acrobatique. Les séquences respirent, modulées par les variations de tempo des musiques sous la direction de Colin Gagné qui a oeuvré avec un nombre important de collaborateurs, incluant certains acrobates, pour notre grand bonheur. 

PassagersAndrew Miller

Autre force : les interprètes polyvalents sont exceptionnels. Au mât chinois Conor Wild exécute des mouvements ouverts et en lenteur, inusités pour la discipline. Avec sa jonglerie originale souvent très proche du corps Sereno Aguilar Izzo possède une forte présence et devient le porteur émérite de Sabine Van Rensburg, aussi impressionnante au trapèze qu’au tissu. Aérienne et flexible, Maude Parent nous révèle sa voix suave dans un registre émotif. Samuel Renaud et Louis Joyal livrent un spectaculaire numéro de cadre russe. Le filiforme Brin Schoellkopf s’avère stylé autant sur son fil de fer que dans les tableaux de groupe. Sans oublier l’expression amusée de Freyja Wild avec ses hula hoop ou grattant son ukulélé qui contraste avec sa puissance lui permettant d’être à la base d’une colonne à trois. Parmi les trouvailles dans les gestes acrobatiques, mentionnons les portés avec une acrobate et son sac à dos d’où sortira un tissu aérien, ou, pendant le duo trapèze, des chutes rattrapées par le groupe qui relance la voltigeuse au porteur. 

Grâce à la scénographie d’Ana Capelluto, l’installation et le démontage des appareils se font de façon fluide. Le fil de fer sur une structure avec roues s’avère une solution astucieuse qui permet de varier l’angle de présentation. 

PassagersAndrew Miller

Et tout se termine en douceur, les acrobates face au public. Oscillant entre l’introspection individuelle et l’expression du groupe, l’intangibilité de la poésie et la densité de la performance acrobatique, Passagers constitue un excellent spectacle pour avoir l’heure juste sur la création actuelle d’ici en cirque contemporain.

Passagers

Idée originale, mise en scène et chorégraphie : Shana Carroll. Assistée d’Isabelle Chassé. Artistes : Sereno Aguilar Izzo, Louis Joyal, Maude Parent, Samuel Renaud, Brin Schoellkopf, Sabine Van Rensburg, Freyja Wild, Conor Wild. Scénographie : Ana Capelluto. Direction musicale : Colin Gagné. Vidéo : Johnny Ranger. Entraîneur chef : Francisco Cruz. Textes : Shana Carroll et Conor Wild. Présenté à la Tohu jusqu’au 5 janvier 2019.