Fiona et Alice ont quitté pays et famille pour vivre à Rotterdam leur vie de couple, à l’abri des jugements de leur milieu. Au moment où Alice veut sortir du placard pour révéler à sa famille qu’elle est lesbienne, sans oser encore passer à l’acte, Fiona annonce à sa compagne qu’elle est un homme. Coup de tonnerre. Alice, qui dit avoir compris dès l’âge de 9 ans qu’elle était amoureuse des femmes, bascule littéralement dans le gouffre des questionnements soulevés par l’identité sexuelle.
Qu’est-ce que cela implique pour Fiona dont le premier pas consiste à changer de nom? Premier choc pour Alice ; son amoureuse sera désormais Adrien. Soit. Mais qu’en est-il du reste ? Que veut Adrien exactement au-delà de la prise d’hormones ? Aura-t-il recours aux chirurgies ? Puisqu’il se sait homme dans un corps de femme, comment transformera-t-il ce corps ? Lui qui «… veut seulement arrêter d’essayer d’être une femme ». Comment corriger cette distorsion entre le corps et l’esprit ? Autant de questions soulevées avec pertinence et… simplicité, comme si chacune d’elles énonçait tout haut ce que les spectateurs pensent tout bas. Le drame est multiple pour les deux amoureuses qui plongent dans l’inconnu. Fiona/Adrien, totalement centré sur cette profonde métamorphose, en oublie le monde extérieur, à commencer par le désarroi d’Alice, femme lesbienne amoureuse d’une femme qui n’en est pas une. Est-ce que cela fera d’elle une hétérosexuelle ?
La traductrice et metteure en scène Édith Patenaude (L’Absence de guerre) offre une remarquable mise en scène. La rupture dans la rondeur du couple s’inscrit dans un décor géométrique réparti sur deux niveaux. Les passages de l’un à l’autre se font dans une grande fluidité. Tout coule de source dans ce conflit pourtant déchirant. Une ligne oblique rouge traverse la scène telle la fine ligne qui sépare la vie intérieure du monde extérieur. Sujet de l’heure, le texte de Jon Brittain aborde la question de l’identité sexuelle avec franchise et humour. Mais comment l’identité profonde d’Adrien peut-elle se réaliser en harmonie avec l’entourage ? Encore faut-il que la révolution intime puisse déborder dans l’autre sans le détruire. La question de la tolérance est ici primordiale, mais aussi l’intégration de ces nouvelles données dans la psyché individuelle et collective.
Soulignons la prestation des quatre comédien·nes qui jouent dans un ensemble exceptionnel pour un soir de première. Lorsque Fiona/Adrien, porté par la très crédible Pascale Renaud-Hébert, appelle ses parents le 31 décembre au soir pour leur annoncer qu’elle est un homme, la tension psychique est portée par l’ensemble, en une poignante unité. L’incompréhension, la chute dans le vide d’Alice, sa résistance, sont soutenues par une admirable Marie-Hélène Gendreau, fragile et pourtant déterminée.
Vers une acceptation sociale du monde LGBTQ+
Dans l’ébranlement identitaire actuel, Rotterdam est une production essentielle sur les questions complexes de l’identité sexuelle et son acceptation sociale. En plaçant cette question à l’intérieur d’un couple lesbien, Brittain la rend à la fois plus tragique pour les protagonistes, mais aussi plus acceptable pour les spectateurs. C’est que le fond commun est toujours la tolérance, l’amour et surtout l’abolition de concepts clos. Voici une production d’une grande sensibilité, puissamment soutenue par la musique très cinématographique de Samuel Wagner et Margaux Sauvé. Un spectacle qu’il faut voir à travers le prisme de la diversité, pour que les personnes marginalisées ne soient plus ostracisées. C’est qu’au-delà de la normalité sociale décrétée, il y a la souffrance et le mal-être.
En marge et en continuité avec la pièce, La Bordée présente IGAnne du collectif Atwood de Québec. L’exposition de photographies sur l’univers des drag queens veut « narguer la censure ». Ne prenant qu’un seul modèle, ces photos glacées d’une esthétique exacerbée soulignent l’écart entre le réel qui lui est imposé et l’être fictif spectaculaire qu’il invente pour confronter la société. Enfin, dans la série Enjeux de scène, le théâtre de la rue Saint-Joseph accueille le 28 janvier Simon Boulerice (auteur et chroniqueur), Gabrielle Boulianne-Tremblay (autrice et comédienne Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau), Eric Leblanc (photographe, exposition IGAnne) et Geneviève Morin (poétesse) pour débattre des réalités LGBTQ+. Un rendez-vous ne pas manquer.
Texte : Jon Brittain. Traduction et mise en scène : Edith Patenaude. Assistance à la mise en scène : Maude Boutin St-Pierre. Distribution : Charles-Étienne Beaulne, Ariane Côté Lavoie, Marie-Hélène Gendreau, Pascale Renaud-Hébert. Décor : Gabrielle Doucet. Costumes : Mon Eliceiry. Éclairage : Jeff Labbé. Musique : Samuel Wagner, en collaboration avec Margaux Sauvé. À la Bordée jusqu’au 9 février 2019.
Fiona et Alice ont quitté pays et famille pour vivre à Rotterdam leur vie de couple, à l’abri des jugements de leur milieu. Au moment où Alice veut sortir du placard pour révéler à sa famille qu’elle est lesbienne, sans oser encore passer à l’acte, Fiona annonce à sa compagne qu’elle est un homme. Coup de tonnerre. Alice, qui dit avoir compris dès l’âge de 9 ans qu’elle était amoureuse des femmes, bascule littéralement dans le gouffre des questionnements soulevés par l’identité sexuelle.
Qu’est-ce que cela implique pour Fiona dont le premier pas consiste à changer de nom? Premier choc pour Alice ; son amoureuse sera désormais Adrien. Soit. Mais qu’en est-il du reste ? Que veut Adrien exactement au-delà de la prise d’hormones ? Aura-t-il recours aux chirurgies ? Puisqu’il se sait homme dans un corps de femme, comment transformera-t-il ce corps ? Lui qui «… veut seulement arrêter d’essayer d’être une femme ». Comment corriger cette distorsion entre le corps et l’esprit ? Autant de questions soulevées avec pertinence et… simplicité, comme si chacune d’elles énonçait tout haut ce que les spectateurs pensent tout bas. Le drame est multiple pour les deux amoureuses qui plongent dans l’inconnu. Fiona/Adrien, totalement centré sur cette profonde métamorphose, en oublie le monde extérieur, à commencer par le désarroi d’Alice, femme lesbienne amoureuse d’une femme qui n’en est pas une. Est-ce que cela fera d’elle une hétérosexuelle ?
La traductrice et metteure en scène Édith Patenaude (L’Absence de guerre) offre une remarquable mise en scène. La rupture dans la rondeur du couple s’inscrit dans un décor géométrique réparti sur deux niveaux. Les passages de l’un à l’autre se font dans une grande fluidité. Tout coule de source dans ce conflit pourtant déchirant. Une ligne oblique rouge traverse la scène telle la fine ligne qui sépare la vie intérieure du monde extérieur. Sujet de l’heure, le texte de Jon Brittain aborde la question de l’identité sexuelle avec franchise et humour. Mais comment l’identité profonde d’Adrien peut-elle se réaliser en harmonie avec l’entourage ? Encore faut-il que la révolution intime puisse déborder dans l’autre sans le détruire. La question de la tolérance est ici primordiale, mais aussi l’intégration de ces nouvelles données dans la psyché individuelle et collective.
Soulignons la prestation des quatre comédien·nes qui jouent dans un ensemble exceptionnel pour un soir de première. Lorsque Fiona/Adrien, porté par la très crédible Pascale Renaud-Hébert, appelle ses parents le 31 décembre au soir pour leur annoncer qu’elle est un homme, la tension psychique est portée par l’ensemble, en une poignante unité. L’incompréhension, la chute dans le vide d’Alice, sa résistance, sont soutenues par une admirable Marie-Hélène Gendreau, fragile et pourtant déterminée.
Vers une acceptation sociale du monde LGBTQ+
Dans l’ébranlement identitaire actuel, Rotterdam est une production essentielle sur les questions complexes de l’identité sexuelle et son acceptation sociale. En plaçant cette question à l’intérieur d’un couple lesbien, Brittain la rend à la fois plus tragique pour les protagonistes, mais aussi plus acceptable pour les spectateurs. C’est que le fond commun est toujours la tolérance, l’amour et surtout l’abolition de concepts clos. Voici une production d’une grande sensibilité, puissamment soutenue par la musique très cinématographique de Samuel Wagner et Margaux Sauvé. Un spectacle qu’il faut voir à travers le prisme de la diversité, pour que les personnes marginalisées ne soient plus ostracisées. C’est qu’au-delà de la normalité sociale décrétée, il y a la souffrance et le mal-être.
En marge et en continuité avec la pièce, La Bordée présente IGAnne du collectif Atwood de Québec. L’exposition de photographies sur l’univers des drag queens veut « narguer la censure ». Ne prenant qu’un seul modèle, ces photos glacées d’une esthétique exacerbée soulignent l’écart entre le réel qui lui est imposé et l’être fictif spectaculaire qu’il invente pour confronter la société. Enfin, dans la série Enjeux de scène, le théâtre de la rue Saint-Joseph accueille le 28 janvier Simon Boulerice (auteur et chroniqueur), Gabrielle Boulianne-Tremblay (autrice et comédienne Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau), Eric Leblanc (photographe, exposition IGAnne) et Geneviève Morin (poétesse) pour débattre des réalités LGBTQ+. Un rendez-vous ne pas manquer.
Rotterdam
Texte : Jon Brittain. Traduction et mise en scène : Edith Patenaude. Assistance à la mise en scène : Maude Boutin St-Pierre. Distribution : Charles-Étienne Beaulne, Ariane Côté Lavoie, Marie-Hélène Gendreau, Pascale Renaud-Hébert. Décor : Gabrielle Doucet. Costumes : Mon Eliceiry. Éclairage : Jeff Labbé. Musique : Samuel Wagner, en collaboration avec Margaux Sauvé. À la Bordée jusqu’au 9 février 2019.