Critiques

À travers mes yeux : Féconde solitude

À travers mes yeuxRolline Laporte

Les enfants du 21e siècle laissent s’atrophier leur imaginaire puisque nés dans un bassin technologique, chaque écran est une bouée à laquelle se raccrocher pour éviter de sombrer dans l’ennui. À travers mes yeux, la dernière production de la compagnie de danse québécoise Bouge de là, spécialisée en création jeune public, donnera sans doute envie aux parents de laisser davantage l’occasion à leurs rejetons de se vautrer dans l’inoccupation, et aux petits, l’impulsion de transformer l’absence momentanée de stimuli externes en une variété infinie de possibilités.

À travers mes yeuxRolline Laporte

Car c’est précisément ce qui se passe dans le spectacle À travers mes yeux. Une jeune fille, livrée à elle-même et n’ayant pour seuls compagnons qu’un bout de tissu – dont elle se fait aussitôt un costume – et un étrange ballon velu, déploie son imagination pour extraire du néant moult découvertes, activités et plaisirs. Elle jouera d’abord avec son ombre qui, en indéfectible alliée, se multipliera et lui fera imaginer trois autres fillettes prêtes à s’amuser. Ici, la danse et le jeu ne font qu’un, les sauts, pirouettes et grands battements servant avant tout à exprimer la joie et la liberté. Puisque là où règne l’imaginaire, rien n’est impossible. Et si le sol était en fait un gigantesque piano? Et si on pouvait se transformer en animaux?

À travers mes yeuxRolline Laporte

La directrice artistique Hélène Langevin, qui signait en 2010 le magnifique spectacle L’Atelier, une exploration en mouvements des grands courants de l’histoire de l’art, accorde encore ici beaucoup d’importance à l’aspect visuel de sa création. Des éclats de couleurs saturées et vibrantes viennent ponctuer de diverses façons la séance de jeu dansé : un immense rideau de bandelettes multicolores, de dynamiques effets d’éclairages signés Lucie Bazzo, quelques parcimonieuses projections, des accessoires intégrés à la chorégraphie et ainsi de suite. Ces assauts de pigments complètent aussi de façon très intéressante les costumes des interprètes, soit quatre variations graphiques sur le thème du noir et blanc.

On ne saurait, par ailleurs, passer sous silence la présence sur scène de l’interprète principale, Émilie Wilson, dont l’expressivité du faciès n’a d’égal que l’intensité du geste. Elle arrive à incarner l’ardeur du jeune enfant livré corps et âme aux péripéties qu’il s’invente. C’est beau, enthousiasmant, voire presque contagieux.

À travers mes yeux

Idéation, direction artistique et chorégraphie : Hélène Langevin. Scénographie et costumes : Marilène Bastien. Musique : Bernard Falaise. Éclairages : Lucie Bazzo. Son et vidéo : Guy Fortin. Conseillère à la dramaturgie : Claudine Robillard. Avec Emmanuelle Martin, Myriam Tremblay, Julie Tymchuk et Émilie Wilson. Spectacle présenté par Bouge de là en tournée.