Critiques

Mauvais Goût : les soubresauts scabreux d’une société désenchantée

Mauvais goûtJacinthe Perreault
Mauvais GoûtJacinthe Perreault

Quand on ne croit plus en rien, on consacre une grande partie de sa vie à consommer, expliquait récemment l’économiste français Philippe Moati. La pièce Mauvais Goût, écrite il y a quelques années par Stéphane Crète, en est l’illustration parfaite. Il fait un portrait nihiliste de la génération X, coincée entre des parents baby boomeurs et des enfants milléniaux. Une génération qui ne croit plus en rien, surtout pas dans la religion catholique, et qui, pour tromper son ennui et son impression d’échec sociétal, multiplie les partenaires sexuels, les amours; ne respecte rien ni personne, y comprit elle-même. 

Mauvais GoûtJacinthe Perreault

À la mort de son ami Dave, Patrick (Stéphane Crète) se retrouve avec son groupe d’amis, composé de Michèle (Sylvie Moreau), la veuve du défunt; Michel (Gabriel Sabourin), médecin qui fournit sans scrupules des pilules à ses proches; Rachel (Marie-Hélène Thibault), la blonde de Patrick; et Carole (Évelyne Rompré), une vieille connaissance des années de cégep. Si, officiellement, Dave est mort en s’étouffant avec un os de poulet lors d’un week-end de pêche avec Patrick, la vérité est beaucoup plus glauque, voire scabreuse. On ne dévoilera pas ce dont il s’agit, mais disons qu’on parle d’une pratique sexuelle assez marginale qui implique des excréments. (Oui, oui, c’est bien ça!)

Afin de ne pas être poursuivi par la justice, Patrick va être obligé de dévoiler à la veuve les penchants marginaux qu’il entretenait avec son ami. Ensemble, ils vont poursuivre le bal des hypocrites face aux autres protagonistes. 

Stéphane Crète réussit à équilibrer les moments loufoques où l’on est plongé dans l’humour absurde et surréaliste avec les scènes plus dramatiquement intenses qui montrent cette société en pleine déliquescence. 

Sans plus aucune croyance, ayant évidemment oublié leurs prières, ces quinquagénaires désabusés ne savent plus comment rendre hommage à leur ami disparu, étant même à court d’idées pouvant leur permettre de se rappeler de lui. 

Mauvais GoûtJacinthe Perreault

Face à eux, la jeunesse ne semble guère plus porteuse d’espoir. Lorsque Patrick s’entiche sans vergogne de Marie-Lune (Camille Léonard), 18 ans, meilleure amie de sa fille, la jeune femme tombe facilement dans les bras de cet abuseur sexuel du quotidien, allant même jusqu’à s’avilir pour satisfaire ses déviances. D’un autre côté, Max (Lévi Doré), son fils adolescent, ambitionne une carrière d’humoriste avec un monologue foncièrement raciste et cruel sur les pauvres et les autochtones. Personne, en dehors de Rachel, ne semble voir la monstruosité de ses propos, qu’il déclame sans aucune malice, ne mesurant pas lui-même la dimension sordide de ce qu’il raconte. 

Percutant, flamboyant et terriblement décomplexé, le texte de Stéphane Crète flirte autant avec les abîmes du mauvais goût (d’où le titre) qu’avec des répliques grandiloquentes. Le rire semble même nécessaire à certains moments pour désamorcer certains propos particulièrement choquants et outranciers. La mise en scène de Didier Lucien appuie le texte avec précision, faisant de l’hypocrisie sociale un personnage additionnel, invisible, mais terriblement présent.

Mauvais goût questionne la profondeur de nos croyances et notre capacité à discerner le bien et le mal, mais la pièce offre surtout une réflexion sur nous-mêmes. Mentir aux autres, c’est peut-être parfois nécessaire, mais se mentir à soi-même est certainement la pire et la plus dangereuse des perversions.

Mauvais Goût 

Texte : Stéphane Crête. Mise en scène : Didier Lucien. Assistante à la mise en scène : Jacinthe Perrault. Interprétation : Guillaume Chouinard, Stéphane Crête, Lévi Doré, Camille Léonard, Didier Lucien, Sylvie Moreau, Évelyne Rompré, Gabriel Sabourin et Marie-Hélène Thibault. Conception lumière et direction technique : Roxane Doyon. Régie : Pascale D’Haese. Bande sonore : Alain Lucien. À L’Espace libre jusqu’au 26 janvier 2019.