Après Trick or Treat (1999) et Août, un repas à la campagne (2006), le duo franco-ontarien, formé par le dramaturge Jean Marc Dalpé et le metteur en scène Fernand Rainville, se réunit de nouveau autour de La Queens’ présentée à la Licorne jusqu’au 23 février.
À la mort de leur mère, deux sœurs, Sophie (Dominique Quesnel) et Marie-Élizabeth (Marie-Thérèse Fortin), héritent du motel fondé par leur père il y a plusieurs années. Sophie, attachée à ses racines, désire ardemment conserver le patrimoine familial. Marie-Élizabeth, pianiste de renommée internationale établie à l’étranger, souhaite quant à elle se départir de ce passé qu’elle déteste. Le problème, c’est que si Marie-Élizabeth vend; Sophie n’a pas les moyens de racheter sa part et subira un déracinement forcé. Sophie réussira-t-elle à faire plier l’intransigeante Marie-Élizabeth ?
À cheval entre le nord de l’Ontario (Timmins) et le nord de la Russie (Saint-Pétersbourg), mais toujours au nord, La Queens’ propose un dialogue impossible entre l’enracinement et le déracinement, l’appartenance et le rejet, l’héritage et l’aliénation. Les deux sœurs, situées chacune aux antipodes de ces dichotomies, échouent à tracer le pont entre leurs divergences. « Le nord est une supercherie », déclarera Marie-Élizabeth, elle qui pourtant se trouve en tournée au nord du 50° parallèle, aux médias russes qui cherchent à tisser des liens entre les territoires à travers un imaginaire commun. On comprend dans cet accident du sort que les sœurs représentent moins les pôles opposés d’un enjeu que deux composantes d’un même argument. Tout comme leur rapport à la musique — l’une pianiste classique, l’autre chanteuse de cabaret — agit moins comme une opposition que comme des tonalités différentes au sein d’un même champ. Ainsi, leur impossibilité d’entrer en contact, de nouer, de communiquer ne les empêche pas seulement de se comprendre l’une l’autre, mais aussi, finalement, de se comprendre elles-mêmes.
Dans son mythe, Icare a deux visages. Il est à la fois admiration et révolte, nature et culture. Entre Marie-Élizabeth et Sophie, le mythe est désarticulé, Icare est dédoublé. Son identité n’est plus tissée de « et », elle n’est que « ou ». Il n’en demeure pas moins qu’il n’a qu’un seul destin, la mort devant laquelle toutes nos luttes sont futiles. « Il n’y a rien de plus admirable que la futilité », déclare Moussa. Et c’est bien la lutte acharnée, mais inutile pour condamner ses racines ou par attachement à une chose vaine — en l’occurrence, un motel sur le bord de la Transcanadienne — qui ouvre la tragédie de l’ego, soit non plus ce que les autres nous ont légué, mais ce que nous, nous léguons aux autres.
Autour d’elles, se forment et se déforment des alliances, mais les relations n’existent que comme possibilités. À l’image de cette région qui se développe sur l’exploitation minière, les liens entre les personnages tiennent à l’exploitation des failles de l’autre pour ses propres intérêts. Pendant que la pièce se déroule par grand froid, ce sont les dissonances de l’égocentrisme qui installent l’hiver mordant sur la scène. C’est peut-être ce climat glacial qui éteint les personnages secondaires de La Queens’ qui, malgré une interprétation solide, demeurent artificiels. La dépendance de Caroline (Alice Pascual) semble parfaitement accessoire, l’avidité de Marcel (David Boutin) le rend unidimensionnel et l’opportunisme de Moussa (Hamidou Savadogo) échappe.
Si le récit, sombre, plonge dans une fin abrupte qui laisse un arrière-goût d’inachèvement, il est ponctué de moments comiques. Et puis, on se laisse aisément prendre à aimer détester le snobisme de Marie-Élizabeth, diva on tour, et les crises de Sophie, drama queen des fonds de taverne.
Texte : Jean Marc Dalpé. Mise en scène : Fernand Rainville. Avec David Boutin, Marie-Thérèse Fortin, Alice Pascual, Dominique Quesnel et Hamidou Savadogo. Assistance à la mise en scène : Jean Gaudreau. Scénographie : Patricia Ruel. Costumes : Mireille Vachon. Lumières : André Rioux. Musique : Larsen Lupin. Direction artistique du spectacle : Jean-Denis Leduc. Une production de La Manufacture présentée à La Licorne jusqu’au 23 février 2019.
Après Trick or Treat (1999) et Août, un repas à la campagne (2006), le duo franco-ontarien, formé par le dramaturge Jean Marc Dalpé et le metteur en scène Fernand Rainville, se réunit de nouveau autour de La Queens’ présentée à la Licorne jusqu’au 23 février.
À la mort de leur mère, deux sœurs, Sophie (Dominique Quesnel) et Marie-Élizabeth (Marie-Thérèse Fortin), héritent du motel fondé par leur père il y a plusieurs années. Sophie, attachée à ses racines, désire ardemment conserver le patrimoine familial. Marie-Élizabeth, pianiste de renommée internationale établie à l’étranger, souhaite quant à elle se départir de ce passé qu’elle déteste. Le problème, c’est que si Marie-Élizabeth vend; Sophie n’a pas les moyens de racheter sa part et subira un déracinement forcé. Sophie réussira-t-elle à faire plier l’intransigeante Marie-Élizabeth ?
À cheval entre le nord de l’Ontario (Timmins) et le nord de la Russie (Saint-Pétersbourg), mais toujours au nord, La Queens’ propose un dialogue impossible entre l’enracinement et le déracinement, l’appartenance et le rejet, l’héritage et l’aliénation. Les deux sœurs, situées chacune aux antipodes de ces dichotomies, échouent à tracer le pont entre leurs divergences. « Le nord est une supercherie », déclarera Marie-Élizabeth, elle qui pourtant se trouve en tournée au nord du 50° parallèle, aux médias russes qui cherchent à tisser des liens entre les territoires à travers un imaginaire commun. On comprend dans cet accident du sort que les sœurs représentent moins les pôles opposés d’un enjeu que deux composantes d’un même argument. Tout comme leur rapport à la musique — l’une pianiste classique, l’autre chanteuse de cabaret — agit moins comme une opposition que comme des tonalités différentes au sein d’un même champ. Ainsi, leur impossibilité d’entrer en contact, de nouer, de communiquer ne les empêche pas seulement de se comprendre l’une l’autre, mais aussi, finalement, de se comprendre elles-mêmes.
Dans son mythe, Icare a deux visages. Il est à la fois admiration et révolte, nature et culture. Entre Marie-Élizabeth et Sophie, le mythe est désarticulé, Icare est dédoublé. Son identité n’est plus tissée de « et », elle n’est que « ou ». Il n’en demeure pas moins qu’il n’a qu’un seul destin, la mort devant laquelle toutes nos luttes sont futiles. « Il n’y a rien de plus admirable que la futilité », déclare Moussa. Et c’est bien la lutte acharnée, mais inutile pour condamner ses racines ou par attachement à une chose vaine — en l’occurrence, un motel sur le bord de la Transcanadienne — qui ouvre la tragédie de l’ego, soit non plus ce que les autres nous ont légué, mais ce que nous, nous léguons aux autres.
Autour d’elles, se forment et se déforment des alliances, mais les relations n’existent que comme possibilités. À l’image de cette région qui se développe sur l’exploitation minière, les liens entre les personnages tiennent à l’exploitation des failles de l’autre pour ses propres intérêts. Pendant que la pièce se déroule par grand froid, ce sont les dissonances de l’égocentrisme qui installent l’hiver mordant sur la scène. C’est peut-être ce climat glacial qui éteint les personnages secondaires de La Queens’ qui, malgré une interprétation solide, demeurent artificiels. La dépendance de Caroline (Alice Pascual) semble parfaitement accessoire, l’avidité de Marcel (David Boutin) le rend unidimensionnel et l’opportunisme de Moussa (Hamidou Savadogo) échappe.
Si le récit, sombre, plonge dans une fin abrupte qui laisse un arrière-goût d’inachèvement, il est ponctué de moments comiques. Et puis, on se laisse aisément prendre à aimer détester le snobisme de Marie-Élizabeth, diva on tour, et les crises de Sophie, drama queen des fonds de taverne.
La Queens’
Texte : Jean Marc Dalpé. Mise en scène : Fernand Rainville. Avec David Boutin, Marie-Thérèse Fortin, Alice Pascual, Dominique Quesnel et Hamidou Savadogo. Assistance à la mise en scène : Jean Gaudreau. Scénographie : Patricia Ruel. Costumes : Mireille Vachon. Lumières : André Rioux. Musique : Larsen Lupin. Direction artistique du spectacle : Jean-Denis Leduc. Une production de La Manufacture présentée à La Licorne jusqu’au 23 février 2019.