Coriolan est une des pièces fétiches de Robert Lepage. Il en avait fait une version entièrement travestie en 1983, puis, dans son Cycle Shakespeare en 1993, il la présente au FTA en rafale avec Macbeth et La Tempête. Cette dernière mouture, créée l’été dernier pour le Festival de Stratford, a reçu tous les éloges. Elle en reprend le dispositif scénique et la « tradaptation » de Michel Garneau. Plus que jamais, cette nouvelle mise en scène de Lepage nous plonge dans un univers cinématographique abouti où la magie opère.
Dans cette tragédie romaine, Caius Marcus (Alexandre Goyette) est un chef de guerre qui a vaincu les Volsques à Corioles, ce qui lui vaut le nom de Coriolan. Détesté par le peuple qui le tient responsable de la famine à Rome, il est tout de même nommé au Sénat puis banni de Rome pour les propos qu’il tient, reflétant sa haine viscérale envers le peuple. En 493 av. J.-C., alors que l’Empire romain tente de se démocratiser, cela ne passe plus. Même si sa mère, Volumnia (Anne-Marie Cadieux) et son ami Menenius (Rémy Girard) ont tenté l’impossible pour qu’il s’adoucisse, Coriolan est incapable d’utiliser la langue des politiciens, soit le mensonge. Cela le mènera en pays ennemi où il créera une alliance avec le général des Volsques, Tullus Aufidus (Reda Guerinik), pour se venger du peuple romain, ce « monstre aux mille têtes ». Un gouvernement aux prises avec les besoins du peuple, une mère avide d’une renommée qui ne peut se réaliser que par le sang, les manigances et la corruption du pouvoir, nous trempons pleinement dans des problématiques qui semblent avoir traversé les époques.
Shakespeare, notre contemporain
L’esthétique du spectacle utilise les codes du cinéma (générique de début, cadrage, fondu enchaîné, etc.) et le jeu des interprètes est à l’avenant, ce qui ne sied pas toujours à la démesure shakespearienne. Si les rôles principaux sont solides, Alexandre Goyette tient la pièce à bout de bras. Anne-Marie Cadieux se démarque par l’extravagance et la générosité de son jeu. Reda Guerinik et Widemir Normil (Cominius) sont des comédiens qu’on souhaiterait décidément voir plus souvent. Notons une distribution qui fait une belle part à la diversité et cela avait été déterminé bien avant toute la controverse autour de SLĀV et de Kanata. Nous nous permettons de rappeler que le premier rôle dans la production de Stratford était tenu par un acteur racisé.
Depuis Les Sept Branches de la Rivière Ota, Lepage nous avait habitués à des scénographies à géométrie variable multipliant les lieux par un principe de décors sur rails et de projections; on peut dire qu’il maîtrise cet art à perfection dans Coriolan. Les transitions sont rapides et fluides, la mobilité des panneaux permet un cadrage original des scènes. Soulignons un travail d’images et de vidéo exceptionnel que l’on doit à Steve Blanchet et Pedro Pires. Depuis le Moulin à images, Blanchet est un collaborateur de premier plan à Ex Machina et permet à Lepage de réaliser ses « rêveries ». Une image particulièrement forte du spectacle : quand Coriolan quitte Rome en voiture et que le paysage défile, d’abord de vastes étendues sauvages, puis une accélération hallucinante donnant une vague impression qu’il court à sa perte pour entrer dans une autre réalité. Une transformation a eu lieu chez le protagoniste qui le mènera à prendre des décisions inhumaines et insensées face à ses amis et à sa famille.
La mise en scène de Lepage rend terriblement contemporain ce drame de guerre, en contournant habilement les besoins de figurants par l’utilisation des moyens de communication actuels, soit la radio, la télévision et les réseaux sociaux. Le propos sur le pouvoir et la démocratie trouve un écho percutant dans notre monde. La langue brute et directe de Garneau, mêlée aux décors de ruines romaines et aux costumes de guerriers actuels, ne jure pas, au contraire, tout ça nous renvoie à des images qui nous interpellent, des images des guerres qui sévissent aujourd’hui au Moyen-Orient ou en Afrique. Encore une fois, Lepage réussit à toucher à l’universel parce qu’il saisit les codes du monde qui nous entoure avec une sensibilité et un génie hors du commun.
Texte : William Shakespeare. Traduction et adaptation : Michel Garneau. Mise en scène : Robert Lepage. Avec Mikhaïl Ahooja, Ariane Bellavance-Fafard, Jean-François Blanchard, Louise Bombardier, Anne-Marie Cadieux, Jean-François Casabonne, Lyndz Dantiste, Rémy Girard, Alexandre Goyette, Reda Guerinik, Tania Kontoyanni, Gabriel Lemire, Jean-Moïse Martin, Widemir Normil, Eliott Plamondon, Philippe Thibault-Denis, Jess Viens, Tatiana Zinga Botao. Conception et direction de création : Steve Blanchet. Assistance à la mise en scène : Adèle Saint-Amand. Co-conception du décor et des accessoires : Ariane Sauvé. Conception des costumes : Mara Gottler. Conception des éclairages : Laurent Routhier. Conception des images : Pedro Pires. Musique et conception sonore : Antoine Bédard. Une production originale du Festival de Stratford 2018. Créée en collaboration avec Ex Machina. Production Théâtre du Nouveau Monde. Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 17 février 2019.
Coriolan est une des pièces fétiches de Robert Lepage. Il en avait fait une version entièrement travestie en 1983, puis, dans son Cycle Shakespeare en 1993, il la présente au FTA en rafale avec Macbeth et La Tempête. Cette dernière mouture, créée l’été dernier pour le Festival de Stratford, a reçu tous les éloges. Elle en reprend le dispositif scénique et la « tradaptation » de Michel Garneau. Plus que jamais, cette nouvelle mise en scène de Lepage nous plonge dans un univers cinématographique abouti où la magie opère.
Dans cette tragédie romaine, Caius Marcus (Alexandre Goyette) est un chef de guerre qui a vaincu les Volsques à Corioles, ce qui lui vaut le nom de Coriolan. Détesté par le peuple qui le tient responsable de la famine à Rome, il est tout de même nommé au Sénat puis banni de Rome pour les propos qu’il tient, reflétant sa haine viscérale envers le peuple. En 493 av. J.-C., alors que l’Empire romain tente de se démocratiser, cela ne passe plus. Même si sa mère, Volumnia (Anne-Marie Cadieux) et son ami Menenius (Rémy Girard) ont tenté l’impossible pour qu’il s’adoucisse, Coriolan est incapable d’utiliser la langue des politiciens, soit le mensonge. Cela le mènera en pays ennemi où il créera une alliance avec le général des Volsques, Tullus Aufidus (Reda Guerinik), pour se venger du peuple romain, ce « monstre aux mille têtes ». Un gouvernement aux prises avec les besoins du peuple, une mère avide d’une renommée qui ne peut se réaliser que par le sang, les manigances et la corruption du pouvoir, nous trempons pleinement dans des problématiques qui semblent avoir traversé les époques.
Shakespeare, notre contemporain
L’esthétique du spectacle utilise les codes du cinéma (générique de début, cadrage, fondu enchaîné, etc.) et le jeu des interprètes est à l’avenant, ce qui ne sied pas toujours à la démesure shakespearienne. Si les rôles principaux sont solides, Alexandre Goyette tient la pièce à bout de bras. Anne-Marie Cadieux se démarque par l’extravagance et la générosité de son jeu. Reda Guerinik et Widemir Normil (Cominius) sont des comédiens qu’on souhaiterait décidément voir plus souvent. Notons une distribution qui fait une belle part à la diversité et cela avait été déterminé bien avant toute la controverse autour de SLĀV et de Kanata. Nous nous permettons de rappeler que le premier rôle dans la production de Stratford était tenu par un acteur racisé.
Depuis Les Sept Branches de la Rivière Ota, Lepage nous avait habitués à des scénographies à géométrie variable multipliant les lieux par un principe de décors sur rails et de projections; on peut dire qu’il maîtrise cet art à perfection dans Coriolan. Les transitions sont rapides et fluides, la mobilité des panneaux permet un cadrage original des scènes. Soulignons un travail d’images et de vidéo exceptionnel que l’on doit à Steve Blanchet et Pedro Pires. Depuis le Moulin à images, Blanchet est un collaborateur de premier plan à Ex Machina et permet à Lepage de réaliser ses « rêveries ». Une image particulièrement forte du spectacle : quand Coriolan quitte Rome en voiture et que le paysage défile, d’abord de vastes étendues sauvages, puis une accélération hallucinante donnant une vague impression qu’il court à sa perte pour entrer dans une autre réalité. Une transformation a eu lieu chez le protagoniste qui le mènera à prendre des décisions inhumaines et insensées face à ses amis et à sa famille.
La mise en scène de Lepage rend terriblement contemporain ce drame de guerre, en contournant habilement les besoins de figurants par l’utilisation des moyens de communication actuels, soit la radio, la télévision et les réseaux sociaux. Le propos sur le pouvoir et la démocratie trouve un écho percutant dans notre monde. La langue brute et directe de Garneau, mêlée aux décors de ruines romaines et aux costumes de guerriers actuels, ne jure pas, au contraire, tout ça nous renvoie à des images qui nous interpellent, des images des guerres qui sévissent aujourd’hui au Moyen-Orient ou en Afrique. Encore une fois, Lepage réussit à toucher à l’universel parce qu’il saisit les codes du monde qui nous entoure avec une sensibilité et un génie hors du commun.
Coriolan
Texte : William Shakespeare. Traduction et adaptation : Michel Garneau. Mise en scène : Robert Lepage. Avec Mikhaïl Ahooja, Ariane Bellavance-Fafard, Jean-François Blanchard, Louise Bombardier, Anne-Marie Cadieux, Jean-François Casabonne, Lyndz Dantiste, Rémy Girard, Alexandre Goyette, Reda Guerinik, Tania Kontoyanni, Gabriel Lemire, Jean-Moïse Martin, Widemir Normil, Eliott Plamondon, Philippe Thibault-Denis, Jess Viens, Tatiana Zinga Botao. Conception et direction de création : Steve Blanchet. Assistance à la mise en scène : Adèle Saint-Amand. Co-conception du décor et des accessoires : Ariane Sauvé. Conception des costumes : Mara Gottler. Conception des éclairages : Laurent Routhier. Conception des images : Pedro Pires. Musique et conception sonore : Antoine Bédard. Une production originale du Festival de Stratford 2018. Créée en collaboration avec Ex Machina. Production Théâtre du Nouveau Monde. Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 17 février 2019.