Dans un village anonyme que l’on voudrait plausible, une brute et son amie déjantée, envoûtée par le suicide de son mari, règnent en maître sur l’état d’esprit des lieux et ce n’est pas rigolo.
La mère qui crie sans arrêt aux limites de la saturation; le policier dont le gun occupe la place de son sexe qu’il voudrait démesuré; le Voisin (frère du policier) qui tergiverse quant à son orientation sexuelle; tous sont liés contre Michel (Dayne Simard), le nouvel arrivant au village, qu’ils ont tôt fait d’étiqueter comme « fif », eux qui se considèrent comme des « beefs ». Ce freluquet qui roule en vélo, écrit des poèmes, veut faire pousser des légumes bio, ne boit pas de bière, ne sacre pas, enfin bref « fif » parce qu’il n’est pas viril à leurs yeux. C’est que pour les « beefs », la virilité se confond avec le machisme convenu qui passe par les gros bras, le langage cru, la soif du sang, la posture agressive. Pour ces mâles de catégorie AA, la sensibilité est une tare. Or, dans cette opposition de deux visions de la masculinité, c’est de ces « beefs » que se dégage un climat de toxicité. C’est pourquoi Manon, la barmaid du village, lasse du stéréotype de « pitoune » auquel elle se sent forcée de jouer, tombe amoureuse de Michel, cet être exceptionnel dans ce milieu imbu de sa bêtise.
Avec ce premier texte, Dayne Simard signe une comédie caricaturale qui peint cinq personnages à coups de pinceau rapides et forcément superficiels. Des caractères stéréotypés qui nous rappellent des visages connus. Bien sûr, le personnage de Mamie Shirley, la mère, est plus proche de Ma Dalton, mais bon. L’effet caricatural tient à cette absence de nuances. Michel, désirant s’intégrer à tout prix, en commençant par vouloir amadouer la mère de Manon, cette bombe toujours au paroxysme de l’intolérance, accepte de jouer le jeu. Il n’offre aucune résistance et devient même si complaisant qu’il absorbe tous les conseils que Manon et le Voisin lui donnent. Il sacrifie sa vie antérieure sur l’autel du moule social local pour se conformer à l’image qu’on lui impose. Il ira même jusqu’à renier son seul allié objectif, chant du cygne du retour à la terre pour ce naïf citadin. La société l’emporte ici sur l’individu.
Comment sortir de la fange
Dynamique mise en scène de Anne-Marie Olivier et puissante transposition de l’esprit merdique de ce village dans une scénographie faite de terre et de boue dans laquelle pataugent les personnages. Belle trouvaille que cette première scène où Manon s’extirpe littéralement d’un tas de fumier dans lequel elle est enfouie jusqu’au cou. Que l’on soit au bar, chez le policier, chez Michel, en forêt, peu importe, il n’y a toujours que cette bouette, cette terre vaseuse qui macule tous les êtres. Excellente prestation de Nancy Bernier (Mamie Shirley, la mère), quoique trop exacerbée parfois, elle ne tombe toutefois jamais à côté de son rôle. Eliot Laprise (le policier) apporte la prestance nécessaire pour rendre ce macho tout à fait crédible. Nathalie Séguin (Manon) est toujours aussi juste, elle offre un jeu franc avec sa voix qui porte même dans les chuchotements. Et quelle prestation remarquable de David Bouchard (frère du policier) ! L’évolution de son personnage, d’abord victimisé, puis finalement ostracisé parce qu’il décide de s’émanciper de cette fange, ressort du lot. Au fond, même profondément blessé, il est le seul gagnant de cette quête de vérité, alors que tous les autres s’enfoncent dans des clichés inébranlables, entraînant dans leurs sillages Michel, l’idéaliste.
Dans les textes de présentation, autant l’auteur que la metteuse en scène nous assurent que le milieu présenté correspond à celui de leur enfance. Des milieux où on ne propose que les modèles du « gars viril et de la fille pitoune ». Et encore aujourd’hui, vingt ans plus tard, « on patauge toujours dans la même fange », dixit Olivier. Mais Beef devient ainsi une sorte de règlement de compte du créateur et de la créatrice. On ne sent aucune sympathie pour leurs antihéros. Il s’en dégage un humour qui n’est pas sans rappeler les personnages caricaturaux de Fabien Cloutier dans Bonne retraite, Jocelyne.
La superbe pièce musicale de Martien Bélanger ajoute une dimension fondamentale à la scène finale. Ce solo de guitare country-blues souligne le drame qui se joue dans cet appel vers les bas-fonds de l’esprit. Une sorte de spleen qui reste dans la tête des spectateurs au sortir du théâtre.
Texte de Dayne Simard. Mise en scène : Anne-Marie Olivier. Assistance à la mise en scène : Shanya Lachance Pruneau. Concepteurs : Martien Bélanger, Delphine Quenneville, Cécile Lefebvre, Guylaine Petitclerc. Distribution : Nancy Bernier, David Bouchard, Eliot Laprise, Nathalie Séguin, Dayne Simard. Production : La Brute qui pleure. À Premier Acte jusqu’au 9 février.
Dans un village anonyme que l’on voudrait plausible, une brute et son amie déjantée, envoûtée par le suicide de son mari, règnent en maître sur l’état d’esprit des lieux et ce n’est pas rigolo.
La mère qui crie sans arrêt aux limites de la saturation; le policier dont le gun occupe la place de son sexe qu’il voudrait démesuré; le Voisin (frère du policier) qui tergiverse quant à son orientation sexuelle; tous sont liés contre Michel (Dayne Simard), le nouvel arrivant au village, qu’ils ont tôt fait d’étiqueter comme « fif », eux qui se considèrent comme des « beefs ». Ce freluquet qui roule en vélo, écrit des poèmes, veut faire pousser des légumes bio, ne boit pas de bière, ne sacre pas, enfin bref « fif » parce qu’il n’est pas viril à leurs yeux. C’est que pour les « beefs », la virilité se confond avec le machisme convenu qui passe par les gros bras, le langage cru, la soif du sang, la posture agressive. Pour ces mâles de catégorie AA, la sensibilité est une tare. Or, dans cette opposition de deux visions de la masculinité, c’est de ces « beefs » que se dégage un climat de toxicité. C’est pourquoi Manon, la barmaid du village, lasse du stéréotype de « pitoune » auquel elle se sent forcée de jouer, tombe amoureuse de Michel, cet être exceptionnel dans ce milieu imbu de sa bêtise.
Avec ce premier texte, Dayne Simard signe une comédie caricaturale qui peint cinq personnages à coups de pinceau rapides et forcément superficiels. Des caractères stéréotypés qui nous rappellent des visages connus. Bien sûr, le personnage de Mamie Shirley, la mère, est plus proche de Ma Dalton, mais bon. L’effet caricatural tient à cette absence de nuances. Michel, désirant s’intégrer à tout prix, en commençant par vouloir amadouer la mère de Manon, cette bombe toujours au paroxysme de l’intolérance, accepte de jouer le jeu. Il n’offre aucune résistance et devient même si complaisant qu’il absorbe tous les conseils que Manon et le Voisin lui donnent. Il sacrifie sa vie antérieure sur l’autel du moule social local pour se conformer à l’image qu’on lui impose. Il ira même jusqu’à renier son seul allié objectif, chant du cygne du retour à la terre pour ce naïf citadin. La société l’emporte ici sur l’individu.
Comment sortir de la fange
Dynamique mise en scène de Anne-Marie Olivier et puissante transposition de l’esprit merdique de ce village dans une scénographie faite de terre et de boue dans laquelle pataugent les personnages. Belle trouvaille que cette première scène où Manon s’extirpe littéralement d’un tas de fumier dans lequel elle est enfouie jusqu’au cou. Que l’on soit au bar, chez le policier, chez Michel, en forêt, peu importe, il n’y a toujours que cette bouette, cette terre vaseuse qui macule tous les êtres. Excellente prestation de Nancy Bernier (Mamie Shirley, la mère), quoique trop exacerbée parfois, elle ne tombe toutefois jamais à côté de son rôle. Eliot Laprise (le policier) apporte la prestance nécessaire pour rendre ce macho tout à fait crédible. Nathalie Séguin (Manon) est toujours aussi juste, elle offre un jeu franc avec sa voix qui porte même dans les chuchotements. Et quelle prestation remarquable de David Bouchard (frère du policier) ! L’évolution de son personnage, d’abord victimisé, puis finalement ostracisé parce qu’il décide de s’émanciper de cette fange, ressort du lot. Au fond, même profondément blessé, il est le seul gagnant de cette quête de vérité, alors que tous les autres s’enfoncent dans des clichés inébranlables, entraînant dans leurs sillages Michel, l’idéaliste.
Dans les textes de présentation, autant l’auteur que la metteuse en scène nous assurent que le milieu présenté correspond à celui de leur enfance. Des milieux où on ne propose que les modèles du « gars viril et de la fille pitoune ». Et encore aujourd’hui, vingt ans plus tard, « on patauge toujours dans la même fange », dixit Olivier. Mais Beef devient ainsi une sorte de règlement de compte du créateur et de la créatrice. On ne sent aucune sympathie pour leurs antihéros. Il s’en dégage un humour qui n’est pas sans rappeler les personnages caricaturaux de Fabien Cloutier dans Bonne retraite, Jocelyne.
La superbe pièce musicale de Martien Bélanger ajoute une dimension fondamentale à la scène finale. Ce solo de guitare country-blues souligne le drame qui se joue dans cet appel vers les bas-fonds de l’esprit. Une sorte de spleen qui reste dans la tête des spectateurs au sortir du théâtre.
Beef
Texte de Dayne Simard. Mise en scène : Anne-Marie Olivier. Assistance à la mise en scène : Shanya Lachance Pruneau. Concepteurs : Martien Bélanger, Delphine Quenneville, Cécile Lefebvre, Guylaine Petitclerc. Distribution : Nancy Bernier, David Bouchard, Eliot Laprise, Nathalie Séguin, Dayne Simard. Production : La Brute qui pleure. À Premier Acte jusqu’au 9 février.