Une ambiance enfumée et un décor épuré accueillent l’assistance de Cendres. La fin du monde a déjà eu lieu. Ou, du moins, une fin du monde, mais combien de fins du monde pouvons-nous porter en nous ?
La pièce s’ouvre sur la nuit noire, des bruits de pas. Puis, l’unisson des chants et l’enregistrement musical se confondent. Tout est tellement égal que je ne déchiffre plus les sons, les mots, les notes. C’est à travers le récit que chaque voix se distingue.
Viviane (Gabrielle Marion Rivard), dont la déficience intellectuelle donne à voir le récit des événements depuis un mélange de candeur et de puissance de vivre, est lumineuse dans les décombres. Étienne (Olivier Rousseau), quant à lui, s’accroche aux cendres comme à un passé irrésolu. Il y a, sous son masque de grand frère qui s’occupe de Viviane, une maison peuplée de fantômes. Au point où, par moments, on ne sait plus très bien si c’est lui qui prend soin de sa sœur ou sa sœur qui incarne son pilier. Le duo d’adultes juvéniles qui habitent l’immeuble en ruine, après qu’un feu meurtrier a pris leurs parents, a des relents ducharmiens. Mais c’était peut-être un peu forcer la note que de les domicilier « rue Ducharme ». Reste encore Sophie (Marilyne Perreault), gestionnaire dans une compagnie d’assurances, qui a quitté le berceau familial à la recherche du succès. Quand, navigant entre les catastrophes naturelles et l’épuisement professionnel, elle décide de revenir à ses racines, c’est la dépossession qui l’attend.
Ce qu’il reste quand plus rien ne se distingue
La scène multiplie les scènes : une partie surélevée, à l’arrière, où se hisse le lointain; un corridor délimité de blanc où se joue le voyage; la scène du drame, couverte de tissus; la table sur laquelle on monte, danse et joue; la machine laver, où on lave son linge sale, au propre comme au figuré. Le minimalisme n’est donc qu’apparent. Les espaces scéniques se déploient sur la scène, comme le récit se déploie dans l’hybridité du théâtre, de la danse et de la musique. Et l’on comprend que les différences s’opposent moins qu’elles s’imbriquent et se repoussent. Famille ou solitude, vivre ou mourir, fin ou commencement, nord ou sud, les pôles se construisent, en tensions, dans la danse.
La gigue, solidement campée par les interprètes, s’intègre si bien aux déroulements des choses qu’elle en devient partie intégrante : tel un rythme pour l’impermanence, incarnation du mouvement, elle se fait le principe même de l’acte de raconter. Elle est le souffle théâtralisé. « Je veux mourir, mais mes jambes veulent danser », écrit le frère et répètent les sœurs. Aussi cette gigue est-elle porteuse d’une dimension tragique qui la dégage du stéréotype festif où le jour de l’An la confinait. Elle n’en perd pas moins le sens de retrouvailles que lui confèrent traditionnellement les mêmes festivités, mais en lui ajoutant la complexité inédite du langage. Quelque part où le corps peut dire, réunir, tirer du sens de l’insensé. Car danser, c’est peut-être l’acte même de pointer du doigt quand les mots manquent aux choses.
La musique traditionnelle, quant à elle, ne parvient pas à s’intégrer avec la même fluidité que la danse. Avec son lexique catholique, elle induit une touche religieuse et archaïque peu convaincante. Les microphones sur les deux comédiennes et la sonorité de l’enregistrement rendent la musicalité inorganique.
La possibilité en contre-partie
Cendres réussit toutefois un tour de force en abordant de biais des sujets lourds, tels que le deuil, la déficience intellectuelle, l’épuisement professionnel, les catastrophes, sans jamais tomber dans l’apitoiement. L’humour, souvent caricatural, confronte nos malaises avec une touche de légèreté. Finalement, la pièce se ferme comme elle a commencé. La nuit noire, des bruits de pas. Entre le début et la fin du monde, il y a un grand respire.
Texte : Emmanuelle Jimenez; Adaptation, mise en scène, chorégraphie et direction musicale : Menka Nagrani; Interprétation et création : Gabrielle Marion-Rivard, Marilyn Perreault, Olivier Rousseau; Interprète à la création des chorégraphies : Mélissandre Tremblay-Bourassa; Lumières : Anne-Sara Gendron; Scénographie et costumes : Erica Schmitz; Composition musicale : Maëva Clermont; Régie : Ian Yaworsky; Assistance à la mise en scène : Maude Bouchard et Félix Monette-Dubeau; Répétitrice occasionnelle : Yaëlle Azoulay. Une production de Les Productions des pieds et des mains présentée au théâtre Prospero du 19 février au 9 mars.
Une ambiance enfumée et un décor épuré accueillent l’assistance de Cendres. La fin du monde a déjà eu lieu. Ou, du moins, une fin du monde, mais combien de fins du monde pouvons-nous porter en nous ?
La pièce s’ouvre sur la nuit noire, des bruits de pas. Puis, l’unisson des chants et l’enregistrement musical se confondent. Tout est tellement égal que je ne déchiffre plus les sons, les mots, les notes. C’est à travers le récit que chaque voix se distingue.
Viviane (Gabrielle Marion Rivard), dont la déficience intellectuelle donne à voir le récit des événements depuis un mélange de candeur et de puissance de vivre, est lumineuse dans les décombres. Étienne (Olivier Rousseau), quant à lui, s’accroche aux cendres comme à un passé irrésolu. Il y a, sous son masque de grand frère qui s’occupe de Viviane, une maison peuplée de fantômes. Au point où, par moments, on ne sait plus très bien si c’est lui qui prend soin de sa sœur ou sa sœur qui incarne son pilier. Le duo d’adultes juvéniles qui habitent l’immeuble en ruine, après qu’un feu meurtrier a pris leurs parents, a des relents ducharmiens. Mais c’était peut-être un peu forcer la note que de les domicilier « rue Ducharme ». Reste encore Sophie (Marilyne Perreault), gestionnaire dans une compagnie d’assurances, qui a quitté le berceau familial à la recherche du succès. Quand, navigant entre les catastrophes naturelles et l’épuisement professionnel, elle décide de revenir à ses racines, c’est la dépossession qui l’attend.
Ce qu’il reste quand plus rien ne se distingue
La scène multiplie les scènes : une partie surélevée, à l’arrière, où se hisse le lointain; un corridor délimité de blanc où se joue le voyage; la scène du drame, couverte de tissus; la table sur laquelle on monte, danse et joue; la machine laver, où on lave son linge sale, au propre comme au figuré. Le minimalisme n’est donc qu’apparent. Les espaces scéniques se déploient sur la scène, comme le récit se déploie dans l’hybridité du théâtre, de la danse et de la musique. Et l’on comprend que les différences s’opposent moins qu’elles s’imbriquent et se repoussent. Famille ou solitude, vivre ou mourir, fin ou commencement, nord ou sud, les pôles se construisent, en tensions, dans la danse.
La gigue, solidement campée par les interprètes, s’intègre si bien aux déroulements des choses qu’elle en devient partie intégrante : tel un rythme pour l’impermanence, incarnation du mouvement, elle se fait le principe même de l’acte de raconter. Elle est le souffle théâtralisé. « Je veux mourir, mais mes jambes veulent danser », écrit le frère et répètent les sœurs. Aussi cette gigue est-elle porteuse d’une dimension tragique qui la dégage du stéréotype festif où le jour de l’An la confinait. Elle n’en perd pas moins le sens de retrouvailles que lui confèrent traditionnellement les mêmes festivités, mais en lui ajoutant la complexité inédite du langage. Quelque part où le corps peut dire, réunir, tirer du sens de l’insensé. Car danser, c’est peut-être l’acte même de pointer du doigt quand les mots manquent aux choses.
La musique traditionnelle, quant à elle, ne parvient pas à s’intégrer avec la même fluidité que la danse. Avec son lexique catholique, elle induit une touche religieuse et archaïque peu convaincante. Les microphones sur les deux comédiennes et la sonorité de l’enregistrement rendent la musicalité inorganique.
La possibilité en contre-partie
Cendres réussit toutefois un tour de force en abordant de biais des sujets lourds, tels que le deuil, la déficience intellectuelle, l’épuisement professionnel, les catastrophes, sans jamais tomber dans l’apitoiement. L’humour, souvent caricatural, confronte nos malaises avec une touche de légèreté. Finalement, la pièce se ferme comme elle a commencé. La nuit noire, des bruits de pas. Entre le début et la fin du monde, il y a un grand respire.
Cendres
Texte : Emmanuelle Jimenez; Adaptation, mise en scène, chorégraphie et direction musicale : Menka Nagrani; Interprétation et création : Gabrielle Marion-Rivard, Marilyn Perreault, Olivier Rousseau; Interprète à la création des chorégraphies : Mélissandre Tremblay-Bourassa; Lumières : Anne-Sara Gendron; Scénographie et costumes : Erica Schmitz; Composition musicale : Maëva Clermont; Régie : Ian Yaworsky; Assistance à la mise en scène : Maude Bouchard et Félix Monette-Dubeau; Répétitrice occasionnelle : Yaëlle Azoulay. Une production de Les Productions des pieds et des mains présentée au théâtre Prospero du 19 février au 9 mars.