On ne s’attendait pas à voir associer les noms d’Arcade Fire et de Peggy Baker, sur la scène du théâtre Maisonneuve, dans une chorégraphie de la très précise, très douée, aussi technique que sensible. C’est pourtant la seconde fois que Baker, avec la complicité de ses interprètes, crée étroitement avec la compositrice Sara Neufeld, violoniste du groupe Arcade Fire, qui lui a inspiré le titre de cette pièce, Who We are in the Dark.
La pièce est intensément dramatique. Y sont convoqués toutes les émotions, passées, présentes et, semble-t-il, à venir, issues d’une nuit profonde. Un univers cosmique, secoué de turbulences violentes et mystérieuses, s’agite en un chaos imprévisible, plein d’explosions lumineuses. Les projections de Jeremy Mimnagh sur grand écran constituent un tableau impressionnant du noir céleste, dense et plombé, auquel sept danseurs·es vont se heurter.
Un univers de neige et d’électricité, traversé de rayons puissants et de chocs supersoniques, offre alors aux interprètes ce ciel effrayant sous lequel errer, se terrer, grandir, observer, se nicher, s’étendre et s’étirer par vagues, ensemble, dans les formidables roulements de tambour de Jeremy Gara qui les accompagne.
Les mouvements fluides de la danse, d’une grande qualité, vibrent sous l’archet de Neufeld, qui les enveloppe de sa mélopée lancinante, mélancolique, sa musique aspirant et retenant notre attention, puis la libérant soudain pour restituer son émotion au bénéfice de la danse. L’archet danse en solo, et les corps ondulants déclinent leur partition. Fascinant duel.
Atmosphère
Est-ce abstrait? Est-ce purement sensoriel, cette qualité du noir ? Est-ce un jeu ou des angoisses, cette atmosphère cataclysmique? Est-ce l’expression de grandes perplexités? La scénographie colore fortement la danse : touchers, roulades, portés, farandoles débridées, toutes les déferlantes de danse mettent leurs ondulations au risque d’une immersion fantastique.
Suspendu, un canevas fragilise la danse par sa présence forte : cette toile, puis une douzaine de bâches déchirées, tachées de bleu, de noir, de rouge sang, signées par le regretté John Heward, décédé fin 2018, offrent ses images d’étendards inquiétants, que les danseurs arracheront au terme d’un déchaînement sauvage.
Alors, le grand espace troublant redeviendra ce qu’il est, un monde obscur où tout peut arriver, un noir envahissant où s’affichera une aurore boréale multicolore, dans une débauche de rayons signée Marc Parent, avant que le jour pointe.
Composition
Le pari de Baker est audacieux, ambitieux. Comment réussit-elle à fusionner les langages corporels de la danse et de la musique, si distincts en sensations, avec tous ces éléments scéniques? Son secret réside sans doute dans ses lectures, des poèmes, des récits, des essais portant sur les mondes sans lumière qui nous traversent et nous entourent.
À partir de ces incitations, elle stylise son esthétique du mouvement en installant une performance multimédia. Et elle n’hésite pas à casser la fluidité de la danse, à rendre imparfaites et incertaines ces unités de corps solidaires, en ouvrant le visage de ses interprètes aux émotions portées par leur voix.
Lorsqu’elle invite Neufeld à occuper l’avant-scène, les corps viendront se frotter au plus près du violon. Les rythmes se frôlent alors étroitement ; silences, repos, correspondances sensorielles, tout concourt à l’harmonie et à l’écoute. Ces musiciens d’Arcade Fire, avec leurs tunes rock, disco-funk, indie pop, assument ici sans faille le pur plaisir d’enrichir cet univers électrique avec force et doigté.
La dernière scène de groupe, avant que le jour se lève, est particulièrement émouvante. Happée par la danse, la beauté supérieure et étrange de cette séquence monte en crescendo. Il est possible, à ce moment, de ressentir la fusion de tous les partenaires en action. Cette énergie brute des centres moteurs et nerveux des interprètes suit des tracés complexes, énergisants, pleins d’une dépense formidable des états intérieurs, innombrables et variés. Trois duos finaux amorceront le réveil et un bienfaisant retour au calme.
Rêves, cauchemars, agitation du sommeil, insomnie tenace, animalité, imaginaire des corps, la composition de Baker prête à chaque aspect de cette création un moment d’art propre, un vertige en solo, proposant au public d’apprécier à la fois l’ensemble et ses pièces détachées. Le carburant émotionnel se répand à travers le quatrième mur : pari tenu, la scène communique en direct l’émotion du temps.
Peggy Baker Dance Projects. Chorégraphie : Peggy Baker, avec Sarah Fregeau, Mairi Greig, Kate Holden, Benjamin Kamino, Sahara Morimoto, David Norsworthy, Jarrett Siddall. Musique live : Sarah Neufeld (violon) et Jeremy Gara (percussions), de Arcade Fire. Éclairages : Marc Parent. Projections : Jeremy Mimnagh. Costumes : Robyn Macdonald. Présentée par Danse Danse au théâtre Maisonneuve de la Place des Arts jusqu’au 2 mars.
On ne s’attendait pas à voir associer les noms d’Arcade Fire et de Peggy Baker, sur la scène du théâtre Maisonneuve, dans une chorégraphie de la très précise, très douée, aussi technique que sensible. C’est pourtant la seconde fois que Baker, avec la complicité de ses interprètes, crée étroitement avec la compositrice Sara Neufeld, violoniste du groupe Arcade Fire, qui lui a inspiré le titre de cette pièce, Who We are in the Dark.
La pièce est intensément dramatique. Y sont convoqués toutes les émotions, passées, présentes et, semble-t-il, à venir, issues d’une nuit profonde. Un univers cosmique, secoué de turbulences violentes et mystérieuses, s’agite en un chaos imprévisible, plein d’explosions lumineuses. Les projections de Jeremy Mimnagh sur grand écran constituent un tableau impressionnant du noir céleste, dense et plombé, auquel sept danseurs·es vont se heurter.
Un univers de neige et d’électricité, traversé de rayons puissants et de chocs supersoniques, offre alors aux interprètes ce ciel effrayant sous lequel errer, se terrer, grandir, observer, se nicher, s’étendre et s’étirer par vagues, ensemble, dans les formidables roulements de tambour de Jeremy Gara qui les accompagne.
Les mouvements fluides de la danse, d’une grande qualité, vibrent sous l’archet de Neufeld, qui les enveloppe de sa mélopée lancinante, mélancolique, sa musique aspirant et retenant notre attention, puis la libérant soudain pour restituer son émotion au bénéfice de la danse. L’archet danse en solo, et les corps ondulants déclinent leur partition. Fascinant duel.
Atmosphère
Est-ce abstrait? Est-ce purement sensoriel, cette qualité du noir ? Est-ce un jeu ou des angoisses, cette atmosphère cataclysmique? Est-ce l’expression de grandes perplexités? La scénographie colore fortement la danse : touchers, roulades, portés, farandoles débridées, toutes les déferlantes de danse mettent leurs ondulations au risque d’une immersion fantastique.
Suspendu, un canevas fragilise la danse par sa présence forte : cette toile, puis une douzaine de bâches déchirées, tachées de bleu, de noir, de rouge sang, signées par le regretté John Heward, décédé fin 2018, offrent ses images d’étendards inquiétants, que les danseurs arracheront au terme d’un déchaînement sauvage.
Alors, le grand espace troublant redeviendra ce qu’il est, un monde obscur où tout peut arriver, un noir envahissant où s’affichera une aurore boréale multicolore, dans une débauche de rayons signée Marc Parent, avant que le jour pointe.
Composition
Le pari de Baker est audacieux, ambitieux. Comment réussit-elle à fusionner les langages corporels de la danse et de la musique, si distincts en sensations, avec tous ces éléments scéniques? Son secret réside sans doute dans ses lectures, des poèmes, des récits, des essais portant sur les mondes sans lumière qui nous traversent et nous entourent.
À partir de ces incitations, elle stylise son esthétique du mouvement en installant une performance multimédia. Et elle n’hésite pas à casser la fluidité de la danse, à rendre imparfaites et incertaines ces unités de corps solidaires, en ouvrant le visage de ses interprètes aux émotions portées par leur voix.
Lorsqu’elle invite Neufeld à occuper l’avant-scène, les corps viendront se frotter au plus près du violon. Les rythmes se frôlent alors étroitement ; silences, repos, correspondances sensorielles, tout concourt à l’harmonie et à l’écoute. Ces musiciens d’Arcade Fire, avec leurs tunes rock, disco-funk, indie pop, assument ici sans faille le pur plaisir d’enrichir cet univers électrique avec force et doigté.
La dernière scène de groupe, avant que le jour se lève, est particulièrement émouvante. Happée par la danse, la beauté supérieure et étrange de cette séquence monte en crescendo. Il est possible, à ce moment, de ressentir la fusion de tous les partenaires en action. Cette énergie brute des centres moteurs et nerveux des interprètes suit des tracés complexes, énergisants, pleins d’une dépense formidable des états intérieurs, innombrables et variés. Trois duos finaux amorceront le réveil et un bienfaisant retour au calme.
Rêves, cauchemars, agitation du sommeil, insomnie tenace, animalité, imaginaire des corps, la composition de Baker prête à chaque aspect de cette création un moment d’art propre, un vertige en solo, proposant au public d’apprécier à la fois l’ensemble et ses pièces détachées. Le carburant émotionnel se répand à travers le quatrième mur : pari tenu, la scène communique en direct l’émotion du temps.
Who We are in the Dark
Peggy Baker Dance Projects. Chorégraphie : Peggy Baker, avec Sarah Fregeau, Mairi Greig, Kate Holden, Benjamin Kamino, Sahara Morimoto, David Norsworthy, Jarrett Siddall. Musique live : Sarah Neufeld (violon) et Jeremy Gara (percussions), de Arcade Fire. Éclairages : Marc Parent. Projections : Jeremy Mimnagh. Costumes : Robyn Macdonald. Présentée par Danse Danse au théâtre Maisonneuve de la Place des Arts jusqu’au 2 mars.